Le texte "1994-2004: Vers une nouvelle vision - Berger (1915-2009)" retrace la genèse du projet World Art Treasures.
C'est peu dire qu'une nouvelle vision est en train de naître, si l'on n'ajoute aussitôt que, pour la première fois, c'est d'une vision authentiquement universelle qu'il s'agit. Elle ne procède en effet pas de celles que lui ont imposé les différents empires, égyptien, romain, chinois, voire napoléonien, fondées sur la toute-puissance, pas plus que sur celles issues des hégémonies religieuses, poly ou monothéistes; elle échappe aux idéologies politiques, au marxisme-léninisme dont on a cru un temps qu'elles allaient dominer le monde, tout comme elle échappe à la vision néolibéraliste, compagne de la mondialisation et de la globalisation fondées sur la seule économie de marché. On pourrait encore alléguer, à un autre niveau, les visions issues de la science, telles que le rationalisme de Galilée et de Descartes, alliées aux découvertes techniques, dont l'invention de l'horloge a si longtemps accrédité une vision mécaniste du monde, encore fortement présente dans le réductionnisme dont commence seulement à se libérer notre époque. La nouvelle vision dont je parle échappe à ces Weltanschauungen "traditionnelles". Aussi paradoxal que cela puisse paraître, cette nouvelle vision se constitue en effet, non par des représentations ou des contenus nouveaux, mais par un processus d'émergence
L'évolution des modèles cognitifs et la connaissance.
La Connaissance à l'inverse de l'information repose sur engagement, systèmes de valeurs et de croyances, sur l'intention. La connaissance bâtie à partir de l'information est pour faire quelque chose, pour agir. L'information et la connaissance ainsi que le dit G. Bateson sont : «La nouvelle d'une différence».

Cette différence permet de construire un autre point de vue, de rendre visibles les objets invisibles, les liens inattendus.

  • Tenant du constructivisme, J. Piaget dit que : «L'acquisition d'une information se traduit par une "perturbation" qui va entraîner chez l'individu un "déséquilibre" du champ cognitif et exiger un travail de synthèse pour assimiler, intégrer, critiquer, admettre, ajouter cette nouvelle dans un champ cognitif alors enrichi (modèle en INRC)».
  • Logique et science de l'esprit, avec les conférences de Cambridge et de Macy aboutissent aux grands axes de développement des sciences cognitives avec Herbert Simon, Chomsky. L'intelligence humaine est considérée comme semblable à l'ordinateur et la cognition peut être définie comme la computation de représentations symboliques à partir de règles (éléments qui représentent ce à quoi ils correspondent). Ils présupposent une représentation du monde, une intentionalité, mais entraîne le traitement séquentiel de l'information (interaction avec la forme des symboles pas avec leur sens). Le cerveau ne peut pas effectuer des traitements séquentiels trop importants, car trop localisé (goulot d'étranglement de Von Neuman).
  • Le connexionnisme et le traitement de l'information dans le cerveau considéré comme un ensemble de cellules constamment actives qui reçoit de l'information, la développe, la perçoit, prend des décisions (neurones détecteurs de traits), qui sont des attributs de l'objet représenté : orientations, contraste, vitesse, couleur, système perceptif et système évaluatif (lieu conceptuel, associations mnémoniques, action), notion de canaux étiquetés Le traitement de l'information n'est plus conçu comme unifié, mais comme acentré : Qu'en est-il de l'esprit à travers la science ou l'expérience vécue, comment les phénomènes habituellement attribués à un soi pourraient-ils émerger en dehors d'un soi proprement dit, cela nous renvoie aux propriétés d'auto-organisation ou d'émergence des systèmes cognitifs. En effet, le cerveau n'est plus géré au moyen de règles ou grâce à un dispositif central.
  • L'émergence : De structure distribuée, doué de capacités autonomes et auto-organisatrices, le cerveau opère de façon distribuée, ses connexions se transforment au cours de l'expérience, chaque élément fonctionne dans son environnement local. La cognition est l'émergence d'états globaux dans un réseau de composants simples. Tous les éléments doivent coopérer. L'information et l'interaction sont nécessaires à la construction des connaissances. La connaissance est une croyance justifiée, vérifiée, produite et soutenue par l'information vue sous l'angle syntaxique (volume) ou des contenus (sémantique).
  • L'énaction ou l'action productive : le couplage structurel de « nos choix et de ce que nous retenons de nos choix » fait émerger un monde (un monde de significations, qui évolue en permanence et qui en forme un nouveau (comme dans l'histoire de l'évolution) au fur à mesure de l'action.
Ref: Jo Link-Pezet, E. Lacombe
difficilement cernable, non par manque d'information, mais parce que l'information elle-même est en pleine mutation.

Circonstanciellement se trouve à l'origine un homme, Tim Berners-Lee qui, consultant au CERN, rêve d'un instrument, le WEB, qui pourrait mettre en rapport, non seulement les militaires, les scientifiques ou les universitaires, ce qu'avaient déjà assuré les premiers développements d'Internet, mais l'ensemble des hommes, d'individu à individu, de groupe à groupe, n'importe où et n'importe quand dans le monde : "The fundamental principle behind the Web was that once that someone somewhere made available a document, database, graphic, sound, video or screen at some stage in an interactive dialogue, it should be accessible (subject to authorization of course) by anyone, with any type of computer, in any country. And it should be possible to make a reference - a link -to that thing , so that others could find it." (Weaving the Web, Orion BusinessBooks, 1999, p.40). Et l'auteur de souligner expressément la portée philosophique de son entreprise : "This was a philosophical change from the approach of previous computer systems." ( ibid. ) (c'est moi qui souligne) .

Le projet est si neuf, aujourd'hui encore, qu'à l'époque déjà Tim Berners-Lee n'hésite pas à souligner : "Getting people to put data on the Web was a question of getting them to change perspective, fom thinking of the user's access to it as interaction with, say, an online lbrary, but as navigation through a set of virtual pages in some abstract space. (c'est moi qui souligne).

C'est donc l'interaction des "usagers" entre eux et de la technique qui constitue, non pas le contenu de la vision mais, ce qui est beaucoup plus important, la raison d'être et les conditions de réalisation de celle-ci comme processus vécu.

Il s'ensuit encore, conséquence difficile à comprendre, encore plus à accepter, en particulier par les autorités de quelque nature qu'elles soient, que le WEB, non pas se soustrait à tout contrôle, comme d'aucuns l'ont très vite soupçonné de faire et, partant, condamné, mais qu'il y échappe par sa nature et sa vocation même : "There was no central computing "controlling" the Web, no single network ... not even an organization anywhere that can "ran" the Web. The Web was not a physical "thing" that existed in a certain "place". It was a "space" in which information could exist. (ibid p.39) (c'est moi qui souligne).

Ainsi le Web ne se confond pas avec une base de données, quelque gigantesque qu'elle puisse être. Même s'il peut se prêter à tous les usages classiques en les augmentant grâce à son pouvoir de calcul exponentiel, il ne se réduit jamais, il ne faut pas craindre de le répéter, tant les habitudes mentales sont tenaces, à n'être que le prolongement des structures traditionnelles. En un mot, il est toujours en voie de réinvention.

Encore faut-il des guetteurs pour s'en aviser. C'est ce rôle qu'assume le Flash Informatique de février 1994 dans lequel Jacqueline Dousson s'interroge : Mosaic, vers une nouvelle culture?" Imaginez, écrit-elle, vous êtes devant votre écran, vous cliquez et vous lisez le dernier bulletin duPittsburg Supercomputing Center, vous recliquez et vous consultez les ouvrages de l'éditeur O'Reilly, reclic et vous voilà au MIT... C'est une réalité, aujourd'hui, vous pouvez accéder à tout cela, et à bien d'autres choses encore... ". Et de signaler le rôle décisif de Mosaic, développé par le NCSA (National Center for Supercomputing Applications in Champaign-Urbana), l'un des premiers navigateurs à avoir mis le WEB à la disposition du grand public. Question finale : "Et l'EPFL dans tout cela ? Car si l'EPFL est déjà en train de se mettre en forme (http://www.epfl.ch/ pour les initiés)... le but à atteindre est que, de n'importe quel point du globe, relié à Internet, l'on puisse connaître ce qu'est l'EPFL, ce qu'on y fait, qui contacter. "

Personne n'aurait pensé, sans doute même pas l'auteur de l'article, paru, rappelons, en février 1994, il y a tout juste 10 ans, (à preuve son expression "pour les initiés", c'est moi qui souligne ) que la "nouvelle culture", annoncée avec un point d'interrogation, allait non seulement se développer, mais faire basculer la planète entière dans l'explosion des réseaux sans cesse plus nombreux, sans cesse plus performants. Personne n'aurait pensé...C'était sans compter avec Bill Gates ! : "The emergence of Mosaic and the World Wide Web is the most exciting development in a decade", écrit l'"International Herald Tribune" dans son numéro du 3 novembre 1994 , en ajoutant avec une lucidité hors pair : "Microsoft has already begun to purchase reproduction rights to the masterpieces of the museums all over the world to produce specific CD-ROMs on art (among others those of the "National Gallery of London". The openness of INTERNET through WWW is one way; the commercial way of Microsoft is another. At this point, it is not to me to judge; both are surely shaping our future, but questions are raised and initiatives should be taken."

C'est à dessein que je souligne cette phrase capitale. L'avenir d'INTERNET va se jouer sur une orientation d'une nouvelle complexité, qu'on ne saurait réduire sans dommage au seul marché commercial.

Coïncidence étrange et douloureuse, notre fils Jacques-Edouard Berger, né en 1945, est brusquement enlevé par une crise cardiaque à la fin 1993. Au cours de sa vie trop brève, entièrement consacrée à l'art, il fait de nombreux voyages, pratiquement dans le monde entier. Tout en rassemblant des oeuvres d'art qui sont devenues sa collection personnelle, il conduit pendant des années des groupes sur le chemin des civilisations anciennes auxquelles il était particulièrement attaché, l'Egypte, la Chine, l'Inde, le Japon, la Birmanie, le Laos, la Thaïlande, à quoi s'ajoutent ses très nombreux périples tant en Europe qu'aux Etats-Unis.

Tout en partageant ses découvertes et sa passion avec les autres, il n'a cessé de photographier les lieux et les oeuvres qu'il aimait. A preuve l'impressionnante collection de plus de 100.000 diapositives qu'il a réunies et dont il tirait la matière de ses cours, de ses conférences, de ses publications : "L'oeuvre, et plus précisément l'oeuvre d'art, n'est-elle pas le révélateur le plus complexe et le plus fidèle de nos mutations?"

C'est alors qu'alertés par les perspectives du WEB, nous commençons à l'EPFL en juin 1994 avec Francis Lapique le site A la rencontre des trésors d'art du monde, World Art Treasures en précisant d'entrée de jeu : " Tirant parti de la spécificité multidimensionnelle du réseau, notre propos est de jeter à la fois une nouvelle lumière sur l'art et la façon de le contempler. A la différence de la manière habituelle, qui consiste surtout à établir des banques de données dans une perspective historique ou documentaire, notre ambition est de concevoir et de réaliser une approche originale pour chaque parcours en prenant en compte et en soulignant à chaque fois un trait particulier afin non seulement de fournir de l'information, mais de susciter une expérience nouvelle en accord avec la nouvelle technologie". Il s'agit, non pas de faire pièce à Bill Gates, ce qui serait aussi présomptueux que dérisoire, mais de montrer qu'Internet et le Web comportent de multiples voies potentielles et donc que, à côté de l'impératif économique qui guette, les valeurs spirituelles et artistiques ont leur chance et leur place dans les réseaux.

Le premier "programme" est mis sur Internet en juillet 1994 déjà, peu de temps après l'émergence du WEB et du navigateur Mosaic. Il est consacré à un aperçu des principales expressions artistiques (Egypte, Chine, Inde, Japon, Laos, Cambodge, Thaïlande). Le deuxième programme, Pèlerinage à Abydos, se propose de fournir via Internet l'équivalent du pèlerinage entrepris il a quelque 3000 ans par Séthi Ier pour ériger à Abydos le temple qui porte son nom, l'un des hauts lieux de l'Egypte ancienne, pèlerinage accompli à son tour nombre de fois par Jacques-Edouard Berger et auquel il a consacré une étude dans son livre Pierres d'Egypte. L'enjeu du traitement informatique est de tenter de reconstituer l'itinéraire même du pèlerin, non seulement abstraitement et intellectuellement, mais "spirituellement" et "existentiellement", pourrait-on dire, en ménageant des étapes réglées à partir de la première salle à ciel ouvert jusqu'au sanctuaire secret habité par Osiris, Isis et Horus. Autrement dit, le "pèlerin" est invité à retrouver le sens de l'initiation, non pas simplement au moyen d'explications faites avec des mots ou proposées par des illustrations, mais en accord avec l'expérience intérieure qui s'accomplit virtuellement d'étape en étape sur son écran. Le paradoxe de l'entreprise, c'en est un, voulu et de propos délibéré, consiste donc à fournir via l'électronique un cheminement proche de l'expérience spirituelle réelle, comme si le réseau, en s'affranchissant de l'espace fixe, tout au moins de la primauté de l'espace dans lequel s'inscrivent traditionnellement signes et images, libérait le temps dans la fluidité du parcours initiatique, comme si le sentiment du sacré devenait perceptible, tout au moins l'approche du sentiment. Partage inaugural puisque que suivront bientôt Portraits du Fayoum (janvier 1995), Sandro Botticelli (mai 1995), Un regard partagé (décembre 1995), Jardins enchantés de la Renaissance (mars 1996), Vermeer (juin 96), Angkor (mai 1997), Vertige Divin (mai 97), Georges de La Tour (septembre 1997), Borobudur (décembre 1997), Le Caravage ( mars 1998), pour citer les programmes qui appartiennent à une période déjà historique quant aux dates et à l'avancement de la technique. Coïncidence non moins surprante et attachante, cette entreprise novatrice va bénéficier dès le début d' une collaboration amicale aussi généreuse que diverse qui porte entre autres sur la numérisation de plusieurs milliers de diapositives, sur leur légendage progressif, sur la recherche et la vérification des sources et, plus récemment, les progrès des logiciels aidant, sur la mise sur Internet de conférences où l'on retrouve, avec la voix de Jacques-Edouard, les sujets qu'il avait choisis ainsi que, plus d'une fois, les commentaires de certains voyages. Sans compter le travail généreux et dévoué des membres du Comité de Fondation, et celui des aides occasionnelles qui lui ont été assurées.
C'est ainsi que se présente le site en ce début de l'année 2004 : FONDATION JACQUES-EDOUARD BERGER: Rencontre des Trésors d'Art du Monde

Le fondement de la mutation en cours doit être cherché dans le changement de la nature du lien. Aucun être, aussi simple, aussi complexe, soit-il, ne subsiste ni ne peut subsister isolément. Les liens sont la condition même de notre existence, de toute existence. Liens endogènes, qui relient entre eux les composants d'un organisme; liens exogènes qui relient les êtres entre eux avec leur environnement. Le principe moteur du lien, ce qui en constitue à la fois l'inspiration, la manifestation et la réalisation, revient à ce que l'on peut appeler le phénomène d'activation. Autrement dit, le lien existe dans la mesure où il est activé, c'est-à-dire vécu dans la relation d'un sujet avec un "objet" (chose ou être), ou, plus exactement, dans leur interaction.

Or le propre du Web est, rappelons-le, de permettre d'établir un lien d'un bout à l'autre de la planète, du fond de la mémoire la plus lointaine aux nouvelles les plus récentes du jour, avec quiconque, immédiatement, partout. Voici donc que la connexion vécue en temps réel instaure un imaginaire qui, au lieu de s'en remettre en priorité aux références, comme nous le faisions habituellement jusqu'ici, se forme au fur et à mesure que le lien s'exprime. Au lieu donc de s'en remettre aux instruments, aux méthodes et aux techniques classiques, par exemple l'histoire de l'art et les livres qu'elle produit, le WEB permet de créer un champ multimédia dans lequel on peut à la fois se plonger et intervenir. C'est probablement l'un des apports significatifs de World Art Treasures. L'aventure à laquelle participent ceux qui en ont pris l'initiative ne cesse de s'enrichir et de s'approfondir. Peut-être même n'est-il pas exagéré de dire Jacques-Edouard, physiquement disparu, non pas "revit" au sens courant du terme, mais connaît une sorte de "cyberexistence" que nous partageons nous aussi. Ce qui laisserait entendre que dans notre monde en changement accéléré, de nouvelles dimensions émergent N'est-ce pas ce qu'annoncent à leur manière les jeunes qui suivent notre aventure sur Mars : "But now young people are saying maybe we all go into space but we go mentally, virtually, electronically. We don't go with our bodies. As the technology gets better the virtual reality could ge quite profound." (Herald Tribune, January 28 , 2004). L'homme à venir ne peut être que l'homme du devenir, et l'homme du devenir ne peut advenir que s'il se lie aux autres dans l'instance d'une action étroitement associée aux possibilités croissantes des nouvelles technologies.

RB (janvier 2004)

La Fondation Jacques-Édouard Berger (J-E. Berger)
Jacques-Édouard Berger, né en 1945, a été brusquement enlevé par une crise cardiaque en 1993. Sa vie, trop brève, a été entièrement consacrée à l'art et à la beauté. Au cours de ses nombreux voyages pratiquement dans le monde entier, il a rassemblé des oeuvres d'art qui sont devenues sa collection personnelle. Il a également conduit (Voyages Pour l'Art) pendant des années des groupes sur le chemin des civilisations anciennes auxquelles il était particulièrement attaché, entre autres l'Egypte, la Chine, l'Inde, le Japon, la Birmanie, le Laos, la Thaïlande, à quoi s'ajoutent ses très nombreux périples tant en Europe qu'aux Etats-Unis.Tout en partageant ses découvertes et sa passion avec ses compagnons de voyage, il n'a cessé de photographier les lieux et les oeuvres qu'il aimait. A preuve l'impressionnante collection de diapositives qu'il a réunies et dont il tirait la matière de ses cours et de ses conférences, qu'il concevait en fonction du pouvoir de révélation de l'oeuvre d'art. Perspective originale qu'on retrouve dans "Pierres d'Egypte" et "L'oeil et l'éternité", deux livres qui expriment le sens profond de l'Egypte. Conservateur quelques années au Musée des beaux-arts de Lausanne, il a organisé plusieurs expositions et rédigé nombre de préfaces et d'articles. Son brusque départ a provoqué une consternation considérable et a incité des amis à créer la Fondation qui porte son nom et dont le but principal est de répandre l'amour de l'art. World Art Treasures est une entreprise qui entend relever le défi.

"Il y a des hommes qui ont façonné notre conscience: Confucius, Bouddha, Platon, saint Augustin, Leibniz, Newton, plus près de nous, Tagore, Einstein, Bohr.
Il y a des oeuvres d'art qui ont frappé notre regard au point de métamorphoser notre perception de la réalité.
Evénements, hommes et oeuvres ont donc bâti l'Histoire. Mais l'oeuvre, et plus précisément l'oeuvre d'art, n'est-elle pas le révélateur le plus complexe et le plus fidèle de nos mutations?"





détient et gère un fonds photographique d'environ 100,000 diapositives — véritable mémoire des voyages culturels des années 1970-1990 — un fonds documentaire — comptant ouvrages et environ 150 heures d'enregistrement audio — une collection d'objets. Les cours-conférences, que nous proposons, exploitent ce fonds documentaire. À ce jour plus d'une centaine de conférences ont été réalisées. Concernant le fonds photographique, une part importante de celui-ci est accessible en ligne.

Voyages culturels
J-E. Berger a mis sur pied de nombreux voyages en Europe, aux Etats-Unis, au Proche-Orient et en Extrême-Orient. Tous les itinéraires ont été conçus de façon à privilégier une approche sensible des civilisations concernées, de leur culture, de leur religion, de leurs arts: sites archéologiques, monuments, musées et galeries y sont abordés en suivant les trois axes parallèles de l'histoire, de l'histoire des idées et de l'histoire de l'art, en préparant ou en prolongeant les visites par autant de conférences.

Le voyage est sans doute l'un des phénomènes de société les plus marquants de notre seconde moitié du XXe siècle; mais il convient de le considérer moins comme une "heureuse parenthèse" que comme un développement, ou mieux une révélation de notre conscience.
Le XXe siècle a tout inventé, dit-on. Il a surtout inventé le voyage: la Grèce est à nos portes, l'Egypte nous est à peine étrangère, et l'Inde se conquiert en moins d'un tour de cadran d'horloge. Qu'ils sont loin ceux qui, il y a cent ans à peine, prenaient des mois pour se préparer à tout, au départ, mais aussi aux traversées, au chaud, au froid, aux longues journées à cheval, aux bivouacs, aux dangers, à l'inconnu, qui arrivaient à Marseille ou à Toulon, face à la frégate qui devait les emmener, en se sentant déjà "ailleurs", qui revenaient au bout d'un an, de deux ans, de plus encore, arborant la moustache à l'ottomane, la prunelle persane de celui qui a vaincu les déserts, se campant, pour conter l'épopée à ceux qui sont restés, sur la dépouille d'un tigre, un pistolet oublié à la ceinture... Aujourd'hui, aller à Bombay se mesure en quelques milliers de pieds d'altitude, avec le Mont-Blanc à gauche, Naples si le temps est découvert, un désert, les méandres d'un fleuve, et le hurlement du train d'atterrissage. Il ne nous appartient pas, bien sûr, de regretter le temps des grands voiliers et de Philéas Fogg; mais nous voulons qu'avec nous, vous retrouviez l'émerveillement du voyage, que vous preniez conscience de ces voies qu'ont tracées pour nous Alexandre le Grand, Ptolémée le Géographe, Marco Polo, de la Grèce aux royaumes de l'Inde, à la conquête de l'horizon

Collection d'objets
Cette collection rassemble des objets d'Egypte (période prédynastique - ancien Empire - moyen Empire - nouvel Empire - nouvel Empire & Basse Epoque - Basse Epoque - basse Epoque & gréco-romaine - gréco-romaine - copte - XIXe siècle) de Chine (période néolithique - Shang - Zhou occidentaux et orientaux - Royaumes combattants - Han - Wei - Six Dynasties - Tang - Song - Yuan et Ming - Qing - XXe), d'Inde (XII-XVIIe - XVIII-XIXe - XIXe - XXe), d'Indonésie, du Japon, de Birmanie, du Népal, du Tibet, du Cambodge et de Thaïlande.

Vous pouvez consulter cette collection en ouvrant la rubrique Collection

Fonds photographique
Véritable mémoire des voyages culturels des années 1970-1990, la Fondation détient et gère un fonds d'environ 100,000 diapositives.

Contact

Fondation Jacques-Edouard Berger
Avenue de la Harpe 12
Case postale 249
CH-1001 Lausanne
Switzerland
e-mail: fondationjeb@gmail.com

Cette centaine de cours d'une durée d'environ 90 minutes se développent selon trois axes: 1) l'analyse continue des grands mouvements, tendances, écoles, qui jalonnent le cours de l'histoire 2) la lecture de certains hauts lieux et sites majeurs qui, de par leur importance, ont présidé aux mutations de l'esthétique 3) l'étude approfondie des artistes, peintres, sculpteurs ou architectes, dont l'oeuvre est à considérer comme clé.

Index des conférences ( chacun des cycles mentionnés compte quinze conférences ):

Les Enigmes de la peinture - Quinze oeuvres en quête de regard
Tout tableau est énigme. Quel que soit le motif choisi, l'œil du peintre s'aventure aux limites du réel, de ce que nous appelons d'ordinaire le "réel"; c'est là précisément que commence l'aventure de la création la montagne Sainte-Victoire est un aride tas de caillasse; mais La Montagne Sainte-Victoire, telle que nous la fait voir Cézanne, se transcende en un formidable microcosme, où l'on retrouve la pierre originelle, modelée, froissée, broyée par le génie du créateur et par la pâte même de son pinceau.

Voilà bien le miracle de l'art porter le banal au sublime, le médiocre à l'absolu. Madame Moitessier, grande bourgeoise, fille d'un haut fonctionnaire de l'Administration des Eaux et Forêts, était sans doute tout à la fois bonne épouse et bonne mère, la taille un peu lourde, comme on les aimait en ces temps-là, le regard placide et le geste aussi lent que les passions. Dans l'effigie souveraine de la National Gallery de Washington, Ingres en a fait une Junon souveraine, à l'épiderme si lisse que les siècles, pour longtemps encore, s'y useront sans parvenir à aliéner l'évidente conscience de sa beauté.

Mais il est d'autres peintres aux voies non moins énigmatiques Fragonard, par exemple, maître adulé des Menus Plaisirs, qui abandonna sa touche élégante, rapide, caustique souvent, pour métamorphoser les fêtes de Rambouillet en vertigineuses errances au long des rapides d'un Styx ombrageux; Klimt, commandeur des élégances byzantino-japonisantes de la Vienne "sécessionniste", qui para forêts et clairières, jardins et rocailles, d'entrelacs aussi savants, aussi chatoyants, que ceux qu'imposait alors aux élues sa compagne Emilie Flöge.

Il en est enfin dont la carrière entière est mystère Bosch, le premier, dont les visions échevelées entretiennent aujourd'hui encore le débat des exégètes sommeil perturbé, rêves psychotiques, hermétisme à clé, ou message crypté? Giorgione, qui, dans un langage infiniment plus solaire, demeure tout aussi indéchiffrable, tant il était habité par l'humanisme savant de Venise, dont nous avons perdu jusqu'aux règles. Le Greco enfin, dont le maniérisme exacerbé n'est certes pas imputable à un quelconque défaut de vision, mais exprime plutôt l'impact d'un choc culturel ses origines crétoises, byzantines, entrant sourdement en conflit avec sa formation dans les milieux privilégiés de la Renaissance triomphante.

Le cours du présent semestre ne prétend pas répondre à toutes ces énigmes; il se propose d'interroger quinze œuvres dans leur perspective originelle, en tentant une lecture au second degré, qui tienne compte des données du temps, des idées, des croyances, du contexte culturel. Un Florentin du XVe siècle n'abordait pas la peinture de son temps, sa "peinture contemporaine", comme le visiteur d'un musée d'aujourd'hui Botticelli se situait à la lumière des Médicis en pleine gloire, de l'ascension de Cosme et de Laurent, de l'humanisme triomphant, de l'Eglise mise en crise par les premières prédications de Savonarole; il était alors le peintre d'un nouvel idéal, d'un idéal engagé, et non pas seulement le chantre mélancolique des Madones et des nymphes évanescentes!

Nous aborderons donc la peinture sur un mode "polyphonique", sans oublier pour autant que l'énigme peut s'étendre à bien d'autres dimensions de l'art :

  • le monde mouvant des attributions comment se fait-il qu'au gré des découvertes, un tableau change de main; ainsi Le Concert du Musée du Louvre, donné à Giorgione par la tradition, et récemment réattribué au Titien?
  • l'iconographie et ses mystères comment identifier le sujet d'un tableau en se référant à la culture du milieu qui l'a suscité; le Grand Paysage du Musée du Louvre, par exemple, dans lequel Poussin, épris de classicisme comme tous ses contemporains, a introduit les éléments clés du mythe d'Orphée et Eurydice?
  • ombre et lumière du génie pourquoi certains artistes, tel Bouguereau à la fin du XIXe siècle, ont-ils été considérés comme des demi-dieux de la peinture, pour disparaître sitôt après leur mort dans les limbes de l'oubli? Pourquoi d'autres ressurgissent-ils à point nommé, comme Georges de La Tour, pour connaître une consécration à laquelle ils n'auraient pas osé rêver de leur temps?

Gageons que nous aurons bientôt à reparler de peinture!

Les voies oubliées (l'architecture et le sacré)
Il y a des événements qui ont fait l'histoire l'unification du subcontinent indien sous l'égide de l'empereur Ashoka au IIIe siècle av. J.-C., par exemple, l'ouverture de la Route des Chevaux, future Route de la Soie, par Wu-di, souverain des Han, juste avant notre ère, la bataille d'Actium, la rencontre du Camp du Drap d'Or, ou encore la Déclaration solennelle des Droits de l'Homme, le 26 août 1789. Il y a des hommes qui ont façonné notre conscience Confucius, Bouddha, Platon, saint Augustin, Leibniz, Newton et, plus près de nous, Tagore, Einstein, Bohr.

Il y a des œuvres d'art qui ont frappé notre regard au point de métamorphoser notre perception de la réalité les frontons de Phidias au Parthénon, la Descente du Gange gravée sur le granit de Mahabalipuram par les Pallava, les fresques de Giotto aux Scrovegni de Padoue, les Ménines de Vélasquez, jusqu'aux Demoiselles d'Avignon de Picasso, qui marquèrent en 1907 la naissance de l'art moderne.

Evénements, hommes et œuvres ont donc bâti l'Histoire; mais l'œuvre, et plus précisément l'œuvre d'art, n'est-elle pas le révélateur le plus complexe et le plus fidèle à la fois de nos mutations? Il y a dans les bas-reliefs du temple d'Amon à Karnak toute la foi immuable de l'ancienne Egypte; dans le Jugement Dernier de Michel-Ange à la Sixtine, toutes les angoisses, les tourments, les ombres et les espoirs de la Renaissance en crise; et jusque dans l'Arche de la Défense, tous les défis de notre siècle.

Mais il y a aussi des œuvres plus secrètes, des lieux plus retirés; ceux-là sont le plus souvent laissés de côté, gommés, comme si l'on s'effarouchait de la singularité même du message qu'ils proposent.

Ainsi en Chine des centaines de milliers de visiteurs parcourent chaque année les terrasses, les cours et les pavillons de la Cité Interdite, éblouis par la splendeur sacrale que surent déployer là les derniers Qing; mais personne, ou presque, ne se rend à Chengde, proche pourtant, où des temples obscurs, oppressants, laissent sourdre toutes les inquiétudes de la dynastie. En Inde, on se bouscule à Udaipur pour se fondre un instant dans ce rêve de marbre blanc sublimé par le reflet des eaux; et l'on ne s'arrête pas à Orchha (mais où est Orchha?), aride peut-être, sévère sans doute, mais si révélatrice de l'âme profonde des Rajputs, qui refusèrent farouchement toutes les afféteries du goût régnant à la cour. On se sent prêt à toutes les concessions pour partir à la découverte du site divin d'Angkor, et l'on oublie ces temples que les Khmers élevèrent au long des plaines de l'actuelle Thaïlande et du Laos, temples passionnants pourtant, en ceci qu'il fallut y remodeler le visage des dieux pour répondre à la fois au dogme des conquérants et aux croyances séculaires de leurs sujets.

Ce semestre-ci, nous explorerons ensemble quelques-unes de ces vallées retirées où l'Histoire a su se faire oublier.

Les clés du regard (la peinture des grandes écoles)
"Aux peintres et aux poètes appartient un droit toujours égal à tout oser", déclarait Horace, il y a près de deux mille ans.

Vingt siècles plus tard, le propos demeure étrangement vrai peintres et poètes ont su préserver non seulement leur droit, mais leur mission d'oser la nature privilégiée de leurs dons, ce que l'on appelle d'ordinaire le Génie, leur confère ce pouvoir inéluctable et comme fatal de s'aventurer sans cesse au-delà du quotidien, et de nous entraîner à leur suite, de nous guider vers d'autres contrées, d'ouvrir nos yeux à d'autres mondes.

Dans l'élan de leur création, certains furent soutenus par la ferveur de tous, de leurs proches, de leurs commanditaires, d'une ville entière parfois la chronique se souvient que la Maestà du grand Duccio traversa Sienne en procession, en triomphe, lorsqu'elle fut transportée de l'atelier de l'artiste au Dôme où elle devait prendre place; plus tard, Raphaël peignit les Appartements de Jules II dans un climat de vénération célébrative sans pareil; on dit encore que les amateurs de peinture assistaient Vermeer comme s'ils participaient à un office sacré.

Mais le droit d'Horace ne fut pas toujours perçu avec autant de sereine équanimité l'artiste souvent déconcerte ses contemporains, heurte leurs traditions, ébranle leurs convictions; c'est alors le scandale, le fameux scandale qui, une ou deux générations plus tard, affirme et cautionne à la fois la gloire de son auteur le coup d'éventail d'une impératrice sur la gorge d'Olympia valut à Manet les prémices de sa gloire posthume; l'évanouissement réprobateur d'une lady devant la Macbeth de Füssli déclencha en sa faveur l'estime jalouse de la gentry, on peut même imaginer que l'implacable message de Giotto aux Scrovegni de Padoue dut faire murmurer en son temps nombre de fidèles.

Louanges ou anathèmes, l'artiste et son œuvre sont à la fois les catalyseurs et les révélateurs de notre société.

Quinze peintres majeurs, quinze œuvres maîtresses, nous retiendront tour à tour ce semestre. Autant de clés pour aborder l'évolution des cultures, les mouvements d'idées des sociétés, les réactions des artistes, parfois amis, souvent rivaux, les tours et les détours de la critique, à travers six siècles d'histoire de notre conscience occidentale.

Le génie des lieux (l'architecture et l'art des jardins)
"Aux peintres et aux poètes appartient un droit toujours égal à tout oser", déclarait Horace, il y a près de deux mille ans.

Il est des lieux "habités", nul n'en disconviendra. Les fêtes astrologiques de la Salle des Mois au Palais Schiffanoia de Ferrare, les allées de sphinges muettes des jardins de la Villa d'Este à Tivoli, ou, plus loin, les pavillons précieux de la résidence de l'empereur Qianlong à la Cité Interdite de Pékin, sont peuplés de génies dont le visiteur d'aujourd'hui, flânant au gré de ses pensées, ressent parfois la présence et les pouvoirs.

Pouvoir du rêve, pouvoir de l'enchantement, pouvoir de l'illusion... C'est ici un jet d'eau, puissant comme une colonne, qui soutient au milieu des cascatelles une couronne de bronze doré portant la flamme fragile de onze bougies; c'est là un salon d'honneur à l'ordonnance classique, dont tout un pan s'effondre par le miracle du trompe-l'œil, apocalypse pour faire sourire; là encore, c'est un jeu de miroirs brisés, enchâssés dans l'or des stucs, qui distord la réalité, la brise, la fragmente, la recompose à son gré, la renvoie à l'infini.

Alors s'éveille le génie des lieux, lutin qui sourit de notre désarroi, rit de nos appréhensions, et se délecte de notre plaisir.

Pour que naisse le lutin, à l'instar de la mandragore des vieux contes, il a fallu l'union "alchimique" d'un commanditaire inspiré, empereur, prince, cardinal, margrave comme tous ceux dont Voltaire aimait à se gausser en se levant de leur table, ou tout simplement milliardaire, et d'un artiste, d'un maître d'œuvre visionnaire à qui ne résistent ni les lois de la perspective, ni celles de la gravité, un faiseur de miracles, somme toute, un magicien.

Certains de ces lieux existent encore, et ont su préserver leurs sortilèges. C'est à en découvrir quinze que nous vous invitons ce semestre.

De la Renaissance à nos jours, de la proche Bavière aux confins de l'Inde et de la Chine, nous retrouverons d'étape en étape le sublime privilège de rêver.

Quinze pharaons en quête d'Absolu
L'Egypte pharaonique est un domaine d'étude fascinant, c'est chose avérée. Son histoire se situe aux sources mêmes de la nôtre, et en constitue l'un des chapitres les plus brillants; son art a envoûté tour à tour les Grecs, les Romains, les Byzantins, les maîtres à penser de notre Renaissance, et jusqu'aux ornemanistes de l'Empire qui, dans les premières années du XIXe siècle, se plurent à orner de sphinx les accoudoirs de leurs fauteuils; ses idées enfin, certaines d'entre elles du moins, se sont ancrées à ce point dans nos consciences qu'elles ont réussi à survivre à toutes les tourmentes, et à devenir par nous, en nous, immortelles.

Dans le cadre de ces cours-conférences, nous avons eu l'occasion, par deux fois déjà, de consacrer un semestre entier à l'Egypte en 1979, l'année même de la création de ce cycle par René Berger, alors directeur-conservateur du Musée cantonal des Beaux-Arts; nous étions soixante-deux, les archives en témoignent, à nous retrouver fidèlement chaque semaine à l'Auditoire XVI. Puis en automne 1983, à l'Aula déjà.

Cette année-ci, le propos sera quelque peu différent dans la longue nomenclature des dynastes qui se sont succédé sur le trône du Double-Pays, j'ai choisi quinze souverains dont le rôle me paraît capital, de Narmer, qui présida aux rituels de fondation de la première cité royale de l'histoire, à Constantin, qui ne fut pharaon que de titre, mais sut pourtant offrir à l'Egypte l'appui du christianisme naissant.

Semaine après semaine, chacun de ces souverains sera replacé dans le contexte de l'un des hauts lieux dont il a contribué à exalter la magnificence Sakkara, où Djéser fit élever la première pyra-mide à degrés, Karnak, que les Ramessides dotèrent d'une salle hypostyle sans pareille, portée par cent trente-quatre colonnes monumentales, ou encore Tanis, dont Psousennès Ier assura l'ultime splendeur.

De ces hauts lieux, nous partirons à la découverte de sites moins prestigieux peut-être, mais d'autant plus attachants qu'ils sont secrets, tels Kom el-Ahmar, Biyahmou ou Tehna el-Gébel; à interroger leurs vestiges, nous apprendrons à affiner notre perception de l'esthétique, du goût, illustrés par les chefs-d'oeuvre reconnus des capitales.

Aux grands musées d'Europe et des Etats-Unis, nous emprunterons leurs pièces maîtresses pour les replacer, le temps d'une conférence, dans leur temps et dans leur lieu originels le prince Ankhaf du Musée de Boston reviendra ainsi à Guizeh, au milieu de ses pairs; l'exquise porteuse d'offrandes du Metropolitan de New York rejoindra son maître Meketre au fond de son hypogée de Deir el-Bahari; et l'auguste Nefertiti de Berlin retrouvera le fantôme d'Akhenaton à Tell el-Amarna.

Des premières palettes taillées dans le schis te il y a près de cinq mille ans aux peintures murales dont les Coptes recouvrirent les bas-reliefs des vieux temples, c'est la genèse de notre génie même que nous retrouverons.

Art et civilisation de l'Inde classique
Badami! Peu de sites au monde (ou du moins de ce que je connais du monde) m'ont autant frappé que le grand rocher de grès rouge, hiératique et tourmenté à la fois, qui enserre le lac Bhutanath on dirait la monture de l'un de ces bijoux barbares dont l'or, travaillé en méandres puissants, exalte l'infinie profondeur d'une chrysoprase ou d'un béryl. Au sommet, les ruines d'un fort, à ce point éprouvé par les assauts que ses bastions dépeuplés ne servent plus d'abri qu'aux singes, et ses cours de pâture aux chèvres qui s'y égarent. Aucune tristesse, aucune amertume pourtant là-haut; seulement le sentiment insidieux et somme toute grisant que le temps n'a de prise sur rien, même pas sur les pas du voyageur. Au pied du roc, le long des ghats, c'est le tumulte des voix, des appels, des chants, et le claquement constant des saris que l'on bat sur les pierres plates de la rive. Entre ciel et terre, à mi-hauteur, s'ouvrent les grottes il y a quatorze siècles que l'on y vénère Vishnou l'Immuable, Shiva le Tempétueux, la douce Parvati, Indra sur son éléphant, Agni auréolé de flammes. Le prince Mangalesha, fils royal de l'auguste lignée des Chalukyas, leur fit offrande à tous du rocher, du lac, du fort et des ghats, du ciel et de la terre, du parfum des fleurs, du destin de son peuple et de l'inexorable majesté du silence. Et les dieux veillent!

L'île d'Eléphanta! Une heure de traversée en bateau, à se frayer un chemin entre les carcasses de cargos rouillés, fantomatiques, aux noms et aux pavillons indéchiffrables; un débarquement que rendent à la fois périlleux et comique toutes les mains qui se tendent pour vous assister, pour vous aider à prendre pied; un escalier qui se perd dans le roc, au long duquel peinent quelques dizaines de touristes, quelques centaines de pique-niqueurs venus de Bombay, en vestons noirs et saris roses, quelques milliers d'écoliers que discipline à grand-peine leur uniforme blanc et bleu à l'anglaise; quelques pas encore et c'est l'inexplicable miracle un silence soudain, total, absolu, vous enveloppe, vous possède et paraît ne devoir jamais vous lâcher, à l'instant même où vos yeux, jusqu'alors sollicités par le n'importe quoi qui vous entoure, se portent sur ceux de Shiva, dans la pénombre de la grotte-sanctuaire. Car on réalise alors qu'un jour, ce jour, à l'instant où l'on s'y attendait peut-être le moins, ici, au détour d'une colonne, on a croisé le regard de Dieu.

Fatehpur Sikri! Au-delà d'Agra, dans les collines ingrates de l'Uttar Prades h épuisées par la sécheresse, s'ouvre une porte monumentale au fronton de marbre blanc, puis une mosquée démesurée, des palais, des pavillons, des cours, des jardins, vides depuis des siècles, oubliés, négligés, mutilés, pillés. L'empereur Akbar a refermé ses yeux tout cela n'était qu'un rêve!

J'ai eu le privilège de vivre ces sortilèges; je me réjouis d'en partager le souvenir avec vous.

Art et civilisation de la Chine classique
En septembre 1740, le père Parennin, alors missionnaire de la Compagnie de Jésus à Pékin, écrivait à M. Dortous de Mairan, secrétaire perpétuel de l'Académie royale des Sciences à Paris "Si les savants d'Europe pouvaient parcourir toute la Chine, à ne considérer même que sa surface, combien de choses curieuses ne trouveraient-ils pas, dont on n'a encore rien dit? (...) Ce serait un sujet tout neuf qui donnerait de l'occupation à nos gens pour plus d'un siècle, et pendant ce temps-là, ils laisseraient en repos les Phéniciens, les Egyptiens, les Chaldéens, les Grecs et d'autres nations qui ont tenu autrefois un rang considérable, et qui ne sont plus rien."
La Providence resta sourde aux voeux du bon père, et pour longtemps nous n'eûmes de la Chine, de son art et de ses lettres, qu'une vision partiale parce que partielle.

Au XVIIIe siècle, les amateurs durent se contenter du goût des Compagnies, qui allaient quêter dans les lointains comptoirs d'Orient de quoi satisfaire leur curiosité vases de porcelaine fine au décor inéluctablement blanc-bleu, céladons opalescents, magots grimaçants, tels qu'on les retrouve dans les intérieurs qu'a peints Hogarth, dans les scènes de genre de Boucher ou dans les natures mortes de Chardin.

Au XIXe siècle, les Compagnies furent supplantées par les Expositions Universelles; alors déferlèrent jusque sur les pianos ces monceaux d'émaux cloisonnés, de bronzes dorés, d'ivoires ajourés, qui firent les délices des esthètes partisans de cet éclectisme de salon que l'on a baptisé depuis "goût Pierre Loti".

Dans la première moitié de notre siècle encore, les potiches des derniers empereurs Ming étaient considérées comme la plus haute expression du génie chinois; les chevaux et les cavaliers Tang, s'il s'en trouvait, passaient pour des "curiosités". On ignorait presque tout de l'art des Han; et, hormis quelques collectionneurs aussi passionnés qu'excentriques, on méconnaissait jusqu'aux bronzes des premières dynasties.

Et puis les choses changèrent.

La Chine s'ouvrit aux curieux. Du coup, les études, les recherches, les publications se multiplièrent; les expositions itinérantes et leurs catalogues provoquèrent à chaque station les sursauts d'émerveillement d'un public pourtant gâté déjà qui ne se souvient des premiers chefs-d'oeuvre regroupés au Petit Palais à Paris en 1973, ou au Kunsthaus de Zurich en 1980?

C'est que la terre de Chine est riche des nécropoles, des temples, des palais entiers, des villes parfois, y sommeillent encore. Aux archéologues de leur rendre vie!

En 1968, on mettait au jour , à Mencheng, non loin de Pékin, deux tombes inviolées qui livrèrent un mobilier funéraire d'une exceptionnelle richesse, vases, coupes, lampes à huile, et surtout, pour assurer l'immortalité des âmes qui reposaient là, deux linceuls de jade aux plaquettes articulées de fils d'or.

Une année plus tard, à Leitai, on ouvrait la sépulture d'un général des forces Han sur lequel veillait une armée de bronze conduite par un fabuleux cheval volant, le sabot posé sur le dos d'une hirondelle.

En 1971, en construisant un hôpital à Mawangdui, en banlieue de Changsha, on ressuscitait le marquis de Dai et sa famille, qui vécurent au IIe siècle av. J.-C.; aux côtés de leurs cercueils avait été déposée, pour les servir dans l'au-delà, une vaisselle de laque à motifs noirs et rouges d'une qualité sans égale. Tirées de leurs écrins, les bannières funéraires peintes qui les accompagnaient supplantèrent tout ce que l'on connaissait jusqu'alors de plus précieux en matière d'art textile.

Aux portes de Xian, en mai 1974, débutait la plus extraordinaire aventure de toute l'histoire de l'archéologie en creusant un puits, dit-on, des paysans dégagèrent la tête du premier des six mille guerriers de terre cuite qui affrontaient l'éternité en veillant sur leur maître, celui que l'on appelle aujourd'hui le Grand Empereur, Qin Shihuangdi, dont le renom dépasse ceux d'un Ramsès II ou d'un Tout-ankh-Amon. Et dire que le tombeau lui-même, le tumulus, n'a pas encore été effleuré par les chercheurs!

A peine avait-on élevé le gigantesque vaisseau de béton qui abri te la fouille qu'à Suixian, près de Wuhan, l'attention des spécialistes était sollicitée par une nouvelle découverte une tombe encore, celle du prince Yi, qui s'illustra à l'époque des Royaumes Combattants. Son trésor comptait, outre les objets traditionnels, un ensemble unique de cent vingt-quatre instruments de musique, dont un carillon de soixante-cinq cloches de bronze couvrant quinze octaves.

Le panorama des arts de la Chine a beaucoup évolué déjà; tout laisse prévoir qu'il évoluera beaucoup encore au fil des ans. Depuis deux cent cinquante ans, le père Parennin a donc toujours raison!

Splendeurs et misères du Génie (1780-1880)
Chacun s'accorde à reconnaître que nous devons tout au XIXe siècle l'essor scientifique, le développement technologique, le sens de l'ordre et de la rigueur en toutes choses, le goût de ce qui est exact, irréfutable, tel que le célébrèrent les dictionnaires et les encyclopédies qui foisonnèrent en ces temps bénis, une éducation sans défaut, des moeurs irréprochables, le respect des institutions, le mépris de la marge, et tant d'autres vertus, parmi lesquelles l'épargne et le profit, que l'on se plut à couronner de lauriers!
Aujourd'hui, le XIXe siècle laisse en travers de la gorge une saveur douce-amère; douce pour ceux qui ont la nostalgie de son inébranlable foi en l'ordre des choses, amère pour les autres, en particulier pour ceux qui voudraient aller de l'avant, tout en traînant derrière eux des racines trop lourdes, des chaînes aussi pesantes que le regard de Littré au frontispice de ses ouvrages.

Mais ce XIXe siècle fut-il aussi monolithique que nous voulons bien le croire?

Certes non! Et qu'on en juge par l'historiette qui va suivre, dont le héros se prénomme Jean-Baptiste comme tout le monde, homme de bien, qui eut cette seule vertu de naître en 1780 et de mourir en 1880, en pleine conscience de son temps.

A son berceau, les fées lui inculquèrent un solide respect de sa Majesté le roi Louis XVI, un pieux amour de la reine Marie-Antoinette, et pour l'en récompenser lui fredonnèrent à la nuit tombante les dernières arias de l'Iphigénie en Tauride de M. Glück, qui faisait fureur alors jusqu'en leur monde enchanté.

Pour ses dix ans, Paris avait pris la Bastille, et la Constituante s'efforçait, à grand renfort de tirades vibrantes, d'ériger un monde nouveau.

A vingt ans, sous le Directoire, son coeur sensible s'émut aux accents du pianoforte et aux élans d'une sonate nouvelle de M. Ludwig van Beethoven; on la baptisera bientôt la Pathétique.

En 1810 (il a alors trente ans), sa prestance lui permet de figurer en bonne place aux fastes du mariage de Napoléon et de l'archiduchesse Marie-Louise. Sa sensibilité (toujours elle!) vibre à la lecture de La Dame au Lac d'un Anglais à la mode, M. Walter Scott.

Il fête ses quarante ans sous Louis XVIII, et ses enfants (j'allais oublier de vous dire qu'il s'était marié aux premiers jours de l'Empire) lui offrent Ivanhoé pour lui remémorer l'ère des grands justiciers.

1830 Jean-Baptiste a cinquante ans. C'est juste trop tard pour prendre part active à la querelle d'Hernani, mais assez tôt pour sentir son oeil se mouiller à la lecture des Harmonies poétiques de Lamartine.

Dix ans plus tard, Louis-Philippe, son aîné de sept ans, préside aux destinées de la France. L'heure est à une certaine gravité aimable, puisque ce diable de Rossini lui-même se prend à écrire un Stabat Mater.

Soixante-dix an s l'âge du repos. Repos bien mérité, faut-il croire, car la Deuxième République crée une caisse de retraite pour la vieillesse. Jean-Baptiste n'en revient pas!

En 1860, notr e héros est assez vert encore pour entreprendre chaque matin à pas comptés le tour de son quartier. Défoncé, le quartier, depuis que M. Garnier y élève un Opéra sur ordre de l'Empereur (encore un empereur...).

Et puis, c'est Sedan. C'est aussi Wagner et son Or du Rhin. Jean-Baptiste commence à croire que les trépidations du monde ne sont plus pour lui.

Enfin, sous Jules Ferry, notre valeureux centenaire rend son âme au Créateur; il n'a résisté ni aux accents de Parsifal, ni aux propos inconvenants de l'Hérodiade de Massenet.

Jean-Baptiste mourut-il en "monolithe", lui qui avait tout connu, de Louis XVI à Jules Ferry, de Beaumarchais à Labiche, de Glück à Wagner, de Houdon à Rodin, de Greuze à Manet?

Les fastes du baroque et du rococo
L'histoire du baroque et du rococo s'écrit en lettres de marbre, de jaspe, de bronze et de stuc dans toutes les capitales où s'est forgée l'Europe nouvelle à Rome, autour de la monumentale colonnade que Le Bernin fit ériger pour servir de propylée à Saint-Pierre, à Prague, sur le pont Charles où Braun, Brokoff et leurs élèves multiplièrent les effigies des saints patrons de la Bohême, à Vienne, où les perspectives de Schönbrunn s'étirent jusqu'à la Gloriette, portique impérial et vain, dont von Hohenberg fit le symbole de l'infaillibilité des souverains, à Berlin, à Paris, à Madrid, et jusque dans ces vallées ombrées de la douce Bavière, où des essaims de putti de stuc chantent leur bonheur de célébrer l'ordre divin.

Les hauts lieux du baroque déconcertent tout visiteur l'ampleur des chantiers, la hardiesse de la conception, la rigueur de la réalisation, laissent sans voix. C'est que, dira-t-on, le XVIIe fut le siècle du Soleil à son zénith par la grâce de Louis XIV, et qu'au XVIIIe brillèrent ces Lumières dont le règne de Louis XV fut comme auréolé. On en viendrait presque à oublier qu'en 1660, le roi ordonnait que soient brûlées Les Provinciales, et qu'en 1752, son successeur condamnait L'Encyclopédie! Faut-il en croire que les ténèbres sont proches parentes de la clarté? Peut-être Le Caravage l'avait-il pressenti en inventant, à l'aube du siècle, le clair-obscur, ce duel passionné du diurne et du nocturne, qui est le fondement même de la dramaturgie baroque.

Scénique au suprême degré, le baroque, et plus tard le rococo, jouent en toute maîtrise sur la complémentarité des contraires le vide exalte le plein, le plein fait résonner le vide; la volute et les entrelacs font vibrer la pureté austère des horizontales et des verticales; la lumière exorcise l'ombre, l'or fait résonner le blanc jusqu'à l'incandescence.

Quinze étapes, placées sous l'égide de quinze œuvres clés, nous feront ainsi parcourir l'Europe, de la Rome de Sixte-Quint aux folies des parcs de Frédéric II de Prusse, avec quelques escales privilégiées, insolites ou attachantes, telle la forêt de Bethléem, en pleine Bohême, où un sculpteur de génie donna visages d'ermites et d'ascètes à la tourmente des rochers, telle encore la villa Palagonia en Sicile, qu'un prince illuminé ceintura de légions de monstres ricanants et grimaçants.

Au passage, nous retrouverons ces maîtres absolus dont on oublie trop souvent qu'ils participèrent eux aussi à l'épopée de leur siècle, Zurbarán, Vélasquez, Poussin, Rembrandt ou Vermeer.

L'histoire du baroque et du rococo s'écrit aussi en lettres de feu...

Art et civilisation de la Renaissance européenne
Etrange concept que celui de "renaissance"...Ambigu surtout, à la fois rassurant et inquiétant rassurant en ceci qu'il englobe un champ de recherches, d'intuitions, d'illuminations tel que l'homme occidental, jusqu'à celui du XXe siècle, demeure persuadé d'y avoir une fois pour toutes forgé son identité; inquiétant aussi, car à parcourir les musées, à percevoir les paradoxes que suscitent certains dialogues d'œuvres, on prend aussitôt conscience de sa fragilité même.

Rien n'est plus solaire que le sourire de la Joconde; rien n'est plus lunaire, nocturne et mystérieux que celui de la Vénus de Piero di Cosimo. Et pourtant, tous deux ont été peints la même année, ou presque.

C'est sans doute par de tels paradoxes que la Renaissance affirme sa grandeur.

Quinze chefs-d'œuvre, peintures, sculptures, pièces d'orfèvrerie, nous serviront de guides chacun d'entre eux révélera un aspect privilégié de notre approche.

Ainsi, la Cité idéale de Piero Della Francesca rompra le silence de ses places désertes pour nous parler de perspective; la parure des Deux Courtisanes de Carpaccio illustrera le goût qu'a développé la Venise des doges pour les fastes de l'Orient; et la salière que Benvenuto Cellini offrit à François Ier sera l'emblème de ce primat qu'accordèrent alors les artistes au vertige, au délire de l'ornement.

Nous parcourrons ensemble les villes où se forgea l'"homo novus", l'homme nouveau, Mantoue, Ferrare, Vérone, Parme, Venise, Florence, Rome; nous y évoquerons la superbe des princes-mécènes, législateurs, tyrans ou condottieri, les Gonzague, les Este, les Farnèse, les Médicis; nous rencontrerons à leurs côtés ceux qui ont assuré leur immortalité, Mantegna, Botticelli ou Bronzino; et au passage, nous nous arrêterons aussi bien aux œuvres illustres qu'ils leur dédièrent, telles les Batailles de Paolo Uccello, qu'à d'autres plus secrètes, plus obscures, comme ces Sibylles de la Casa Romei à Ferrare que, dit-on, Lucrèce Borgia aimait à interroger lorsqu'elle venait chercher refuge en ces lieux apaisés.

Il y a plus d'un siècle déjà que l'on interroge la Renaissance. Mais après les travaux magistraux de Jacob Burckhardt, de Bernard Berenson, de Roberto Longhi, d'André Chastel et de tant d'autres, nous gardons la certitude qu'elle a beaucoup à dire encore.

Art et civilisation de l'Egypte pharaonique
Il y a deux siècles environ, en 1764, l'Europe savante découvrait, et avec quel enthousiasme, un ouvrage qui allait marquer profondément les nouvelles orientations de sa culture l'Histoire de l'Art chez les Anciens de Johann Joachim Winckelmann.
On doit aux intuitions de Winckelmann l'affirmation de ce néo-classicisme qui fit surgir par toute l'Europe des XVIIIe et XIXe siècles de nobles colonnades à chapiteaux, des frontons historiés, des figures drapées à la solennité glacée.

Mais si l'Arc du Carrousel à Paris, le Capitole de Richmond, le Bâtiment de l'Amirauté à Leningrad, et même le Lion de Lucerne, témoignent en faveur de son goût, on n'en est pas moins en droit de lui reprocher d'avoir limité notre curiosité au seul domaine de la Grèce et de Rome.

Ses considérations sur l'Egypte sont graves "Les Egyptiens ne se sont guère écartés de leur premier style; aussi n'ont-ils jamais atteint dans l'Art ce degré de perfection où parvinrent les Grecs. Les causes de ces obstacles sont diverses la forme de leur corps, leur façon de penser, leurs coutumes, leurs lois civiles et religieuses, leur peu d'estime pour les artistes, jointes à un manque de talent et d'élévation de ceux-ci." Et plus loin "Pour terminer l'article des Egyptiens, je dirai que l'histoire de l'Art de ce peuple, ainsi que l'aspect actuel du pays, ressemble assez à une grande plaine déserte, qu'on peut pourtant parcourir des yeux du haut de deux ou trois grandes tours."

Propos excessifs, dus à un manque évident d'information, dira-t-on. Peut-être... Mais il demeure vrai qu'aujourd'hui encore, on se sent mieux dans la peau d'un descendant de Périclès que dans celle d'un ritualiste thébain, même associé à la grandeur de Ramsès II!

Et pourtant nous devons tant à la vieille Egypte notre intuition si fragile de l'éternité, notre foi en l'ordre profond des choses, bien d'autres de nos aspirations, souvent à peine conscientes, ont été vécues, et en toute sérénité, par ceux qui peuplaient alors la vallée du Nil.

Ainsi, approcher l'Egypte, ce n'est pas seulement faire oeuvre d'archéologue ou d'historien de l'art; c'est retrouver quelques-unes de nos racines profondes. Car, expérience troublante, mais qu'ont partagée nombre de ceux qui ont parcouru Luxor, Edfou ou Philae, on ne visite pas un temple égyptien on le retrouve.

Le Japon, art et civilisation
... "La Reine Ti-so-la-é a revêtu sa robe d'apparat, sa robe à longues manches, longue de treize pieds, de lourd satin vert d'eau ramagé d'écarlate et brodé de lys d'or; ses cheveux couleur d'encre sont nattés et tressés; des grappes de rubis lui font un diadème, et pieds croisés, assise devant son encrier de laque fine, rempli d'une encre noire, encore moins noire que ses cheveux, elle a l'air, la Reine Ti-so-la-é, au milieu de sa robe bouffante, d'un grand nénuphar blanc entre des roseaux glauques à fins panaches roses."
Soeur de La Dame à l'Eventail de Whistler , de Madame Butterfly de Puccini, la reine Ti-so-la-é, dont Jean Lorrain conte le funeste destin dans La Jonque dorée, ouvre le cortège fragile et somptueux des héroïnes japonaises dont l'Occident peupla ses rêves dès la fin du siècle passé.

Révélé par les Goncourt au x peintres, aux poètes, aux esthètes, le monde exquis de l'estampe, l'ukiyo-e, gagna bientôt le Faubourg, s'immisça dans les salons porcelaines translucides, écrans de papier, paravents chatoyants, ivoires et pierres dures détrônèrent sans coup férir les opalines d'antan. Ainsi naquit la japonaiserie...

Le temps a passé; et pourtant Ti-so-la-é veille toujours, régnant en despot e irréductible sur un monde fané d'idées reçues, sur un Japon fatigué comme un éventail oublié.

Il est temps de rendre au Japon son vrai visage, et à son art sa vraie force subtilité, inventivité, hardiesse, mais aussi rigueur et humilité. Quoi de plus déconcertant que la géométrie secrète qui présida à l'agencement des différents pavillons du Horyu-ji? Quoi de plus implacable que le grand Bouddha du Todai-ji? Quoi de plus sauvagement contenu que la statue de Uesugi Shigefusa au musée de Kamakura?

L'art de l'Inde
Les multiples visages de l'Inde I : les hommes et les dieux, Bénarès, Sarnath, Sravanabelgola, Goa - Les multiples visages de l'Inde II : les hommes et les lois divines, Aurangabad - Une première affirmation de l'art indien : les stupas de Sanchi (dynastie Satavahana, 200 av. J.-C. - 200 ap. J.-C.) - L'apogée de l'épopée bouddhique : les grottes peintes et sculptées d'Ajanta et d'Ellora (dynastie Vakataka, 275-550) - Un chef-d'oeuvre en marge de l'histoire : Elephanta (période gupta ou post-gupta, 550-730) - Les cours adverses I : les rois de la plaine, Badami, Aihole, Pattadakal (dynastie Chalukya, 543-755) - Les cours adverses II : les rois de la mer, Mahabalipuram, Kanchipuram (dynastie Pallava, 325-897) - Une cité à la seule gloire des dieux Bhubaneshwar (dynastie Ganga, 750-1250) - Amour sacré et amour profane : Khadjuraho (dynastie Chandella, 950-1203) - Un hymne cosmogonique de pierre voué au soleil : Konarak (dynastie Ganga, 750-1250) - Le délire de l'ornement : Halebid, Belur, Somnathpur (dynastie Hoysala, 1100-1300) - L'ère de la démesure : Tanjore (dynastie Chola, 846-1173) - Le "baroque'' indien : Maduraï (dynastie Pandya, 1190-1310) - La fin de l'épopée indienne : Hampi (dynastie Vijayanagar, 1335-1600) - L'Inde sous le signe des conquérants : les citadelles et les forts, Agra, Delhi, Daulatabad (dynastie moghole, 1526-1707) - L'Inde fabuleuse : pavillons de perles et kiosques de diamants, Jaïpur (dynastie moghole) - Les emblèmes du rêve : les tombeaux, Delhi, Agra, Sikandra (dynastie moghole) - L'utopie d'un règne sans frontières : Fatehpur Sikri (dynastie moghole) - De l'Inde aux confins de l'Orient, le Népal I : Kathmandu, Badhgaon, Patan - Des stupas aux pagodes, le Népal II : Pasupatinath, Swayambunath, Bodhpath.
L'Europe rocaille - le néo-classicisme - le romantisme - l'académisme - les révolutions esthétiques
La sérénité du quotidien : J.-B. Chardin, J.-E. Liotard - La frénésie de la fête : A. Canaletto, P. Longhi, G. B. Tiepolo - Le vertige divin : le style rocaille en Bavière, Ettal, Ottobeuren, Die Wies - Le vertige humain : villas et folies italiennes, Pisani, Valmarana, Bagheria, La Favorita - L'affirmation de la Raison : W. Hogarth et l'Art moral - L'affirmation de la Vertu : Winckelmann, A. Canova et l'Art sublime - L'utopie et le rêve : G. B. Piranèse, C.-N. Ledoux et les illuministes à la veille de la Révolution - L'utopie et le cauchemar : J. H. Füssli, F. Goya l'exaltation des forces noires - Les prémices d'un ordre nouveau : l'Empire, J.-L. David - A l'aube du romantisme, la fascination du néant : Hubert Robert, C. D. Friedrich - L'Europe romantique : l'invasion du génie, E. Delacroix - Le génie maîtrisé : l'académisme et l'inéluctable loi, Ch. Gleyre - Les grandes voies de l'imaginaire : l'orientalisme, J. A. D. Ingres - Les chemins détournés de l'imaginaire : le symbolisme, G. Moreau, A. Böcklin - Aux sources de notre temps : Vienne et Paris, G. Klimt et l'Art nouveau.
L'aube d'un monde nouveau - la Renaissance en Italie - la Renaissance en Europe - le maniérisme - l'avènement du baroque
Les prémices de la Renaissance : l'espace et le temps - Les jeux de l'espace : la perspective dans les ensembles de marqueterie de Vérone, de Parme et d'Urbin - Les jeux du temps : le retour à l'antique, Mantegna - L'ouverture au vaste monde : découverte de l'Orient, Carpaccio - Venise et la fascination de l'étrange, Crivelli, Lotto, Giorgione - Florence et la célébration du sublime, Botticelli, Léonard de Vinci - La Renaisance au-delà des frontières : hauts lieux du bassin de la Loire - A la croisée des mondes entre Nuremberg et Venise, Dürer - Le glas de la Raison : les maîtres du fantastique, Bosch, Grünewald - Le langage épique : Michel-Ange et le maniérisme - Le maniérisme en Italie : Florence, Rome, Venise - Le maniérisme en Europe : l'ambiguïté des genres - Scénographie du maniérisme : l'architecture, de Serlio à Palladio - Des dieux, des héros et des princes : la cour des Valois et l'Ecole de Fontainebleau - Les palais enchantés : Ferrare, Mantoue - Les jardins enchantés : Bomarzo, Bagnaia, Este - Une ville à la dimension du rêve : Sabbioneta - Le retour à la Raison : le baroque à Rome - L'affirmation d'un nouveau langage : ombre et lumière du Caravage - Le "caravagisme" européen : la Lorraine et Georges de La Tour - Le triomphe de la lumière : le classicisme et Poussin.
Rome - l'ère paléochrétienne - Byzance - le haut moyen âge - l'âge roman - l'âge gothique
Rome - le génie romain : du forum aux voie s de conquêtes - les institutions publiques : dieux, héros et empereurs aux sources de l'épopée - les institutions privées : citoyens et honnêtes hommes en quête d'immortalité - un creuset du temps retrouvé : Pompéi, cité du Vésuve.
Byzance : l'avènement de l'iconographie christique , des catacombes aux premières basiliques - le siècle d'or de Justinien - Ravenne, une cité-iconostase - Sainte-Sophie et Saint-Sauveur d'Istanbul, reflets de la Jérusalem céleste.

Haut moyen âge : les "siècles obscurs" , de l'Irlande à la Sicile.

Art roman : les image s de la Grâce, des enluminures aux portes de Saint-Zénon - les chemins de la Grâce, de Souillac à Moissac.

Art gothique : une nouvell e affirmation de la foi, le mystère de la vie et de la mort à Cadouin et à La Chaise-Dieu - les lieux de la foi, Bourges et Strasbourg à la lumière des verrières - les prophètes du Paradis retrouvé les frères de Limbourg.

La préhistoire - l'Egypte - la Grèce
La préhistoire - l'art pariétal : Lascaux - les objets mobiliers. L'Egypte : la vallée du Nil avant l'histoire - les premières dynasties - l'Ancien Empire : Memphis - le Moyen Empire : le Fayoum - le Nouvel Empire : Thèbes - la Basse Epoque : le Delta - occupations grecque et romaine - Alexandrie : foyer de l'hellénisme.

La Grèce - civilisations des îles : la Crète et Théra - l'ère mycénienne - l'éclosion du génie grec : l'Athènes des kouroï - la suprématie du génie grec : l'Athènes du Parthénon - la diffusion du génie grec : de Paestum à Ségeste - le crépuscule hellénistique.

Ces compléments sont soit des retranscriptions écrites des conférences, soit des textes tirés de la publication de notre fonds documentaire comme Pierres D'Egypte et d'autres, pour éclairer les propos de ces cours.
  1. Pèlerinage à Abydos
    This fut rebaptisée Abdjou, que les Grecs transcrivirent en Abydos. Quittant Thèbes pour descendre le Nil, dépassant Dendérah où régnait Hathor, le voyageur aborde bientôt Baliana, d'où il peut atteindre par voie de terre Arabat el-Madfouneh, le maigre hameau qui garde l'entrée au site de l'antique Abydos. A la limite du désert, il découvrira les vestiges de la ville sainte: (suite...)
  2. Tell el-Amarna, capitale du Disque
    Quittant Thèbes et descendant le Nil, après avoir salué au passage le temple d'Hathor à Dendérah, les sanctuaires d'Osiris à Abydos et les couvents Coptes de Sohag, le voyageur aborde à Tell el-Amarna, sur la rive orientale, où s'étale une large plaine désertique limitée à l'Est par les premiers contreforts de la chaîne arabique (suite...)
  3. Portraits Romains d'Egypte: l'oeil et l'éternité
    A une centaine de kilomètres au sud du Caire, Le Fayoum est une région verte et fertile formée par une vaste dépression circulaire. D'est en ouest, son diamètre est d'environ 60 kilomètres au nord ouest du lac Qarun. Les anciens Egyptiens appelaient cette région Mer-our (Le Grand Lac). Le Fayoum joua un rôle considérable pendant la XIIe dynastie puis sous les Ptolémées (suite...)
  4. Le monde symbolique des amulettes égyptiennes (collection J-E. Berger)
    Qu'est-ce qu'une amulette? (suite...)
  5. Savoir interroger les oeuvres
    L'art peut ne pas être que matière à extase; il se doit d'être aussi un domaine d'étude. Mais pour ce faire, encore faut-il savoir interroger les oeuvres. Prenons, en guise d'exemple, une statuette inédite et essayons d'en tirer le maximum d'enseignement (suite...)
  6. Memphis
    Près du village de Mit Rahineh, à quelque trente-cinq kilomètres du Caire, s'étend une vaste palmeraie, plantée sur un terrain d'ocre pâle, quadrillée de canaux d'irrigation et ponctuée de quelques nappes d'eau (suite...)
  7. Angkor - Le souffle divin des pierres
    Angkor Vat aux confins du soir : immense " Versailles " dont les jeux d'eau se seraient tus. Et tout de suite, l'impropriété de la comparaison! Comment nommer un lieu qui déborde la vue dans la nuit tombante? Surprise à vif l'étroitesse de notre culture qui "catégorise" en fonction du prestige ! Certes, Angkor Vat est grand, mais nul roi Soleil ne l'a foulé, ni n'oserait y pénétrer. Ici, le divin appartient aux dieux, dont se devine la présence dans le double miroir des douves et du ciel.(suite...)
  8. Visite du stupa de Borobudur
    Avant d'étudier le monument lui-même, il faut tout d'abord que je vous donne son nom original, car "Borobudur", qui est un des plus beaux mots qui existent au monde (suite...)
  9. Les jardins enchantés de la Renaissance
    Depuis que l'homme est homme, on oserait presque dire, avant que l'homme soit homme, les jardins existaient (suite...)
  10. Shih-t'ao
    Poète, calligraphe, théoricien et architecte paysagiste, connu aujourd'hui sous son nom d'artiste "vague de pierre" Shitao, comme la plupart des peintres de paysages de son temps, voyagea beaucoup, mais oeuvra surtout à Yangzhou, l'un des principaux centres de l'activité culturelle de son époque (suite...)
  11. Poteries chinoises de la province Shaanxi
    Dès le 4e siècle avant J.-C., des figurines en terre cuite ont été déposées dans certaines tombes situées dans la Province du Shaanxi. Dès les dynasties Qin et Han, la tradition s'est imposée d'enterrer les morts avec des rituels particulièrement honorifiques; (suite...)
  12. Grottes d'Ajanta
    Les peintres et les sculpteurs bouddhistes sont parvenus à traduire cet état ineffable par la représentation du Bouddha méditant sur son lit de mort. Cette statue creusée dans le rocher figure parmi les plus grands chefs-d'oeuvre du genre (suite...)
  13. Sandro Botticelli
    Allégorie de la Force, 1470: C'est ce tableau qui a donné ses chances à Botticelli et lui a valu une aura presque surnaturelle qu'il est peut-être le premier de la Renaissance à avoir eue : celle de "fils chéri des dieux", de "prodige divin" (suite...)
  14. Caravage
    Ce programme n'a pas été conçu de façon linéaire. Douze volets, ci-dessous vous sont ouverts. A vous de choisir selon vos intérêts (suite...)
  15. Piero della Francesca
    Cycle de fresques peint dans le choeur de San Francesco à Arezzo (suite...)
  16. Vermeer
    Hasardons l'hypothèse : Vermeer n'a pas peint des scènes de genre, comme on aime à le répéter, en ajoutant, certes, d'un "pinceau génial", Vermeer a peint d'un bout à l'autre de son oeuvre les avatars de la perle et de l'oeuf, alchimie des origines et des fins.(suite...)
  17. Le vertige Divin
    "Dès le début du 18ème siècle, sous l'emprise de princes et de prélats riches et ambitieux, des chefs-d'oeuvre en surent exalter les fastes, en exacerber la magnificence, jusqu'à faire triompher ce vertige de l'ornement que l'on désigne sous le nom de rococo." (suite...)