Au cours de ses nombreux voyages en Asie, Jacques-Edouard Berger avait projeté de se rendre à Angkor, au coeur de la civilisation khmère dont il était passionné et sur laquelle il avait réuni une documentation abondante. Les circonstances longtemps préoccupantes au Cambodge ne lui permirent pas de réaliser son projet qu'il continue pourtant d'élaborer en organisant plus d'un voyage en Thaïlande, au Laos, en Birmanie pour y découvrir les principaux temples khmers. Son décès subit en novembre 1993 devait le priver de concrétiser son rêve. En septembre 1996, à l'occasion d'un colloque au siège de l'Unesco me fut offerte la perspective de me rendre à Angkor, voyage qui eut lieu en mars 1997. Quelques amis purent se joindre à nous, parmi lesquels Jacqueline Dousson et Francis Lapique de l'EPFL, avec qui le site "World Art Treasures" entra en activité dès juillet 1994. Le présent programme: Le souffle divin des pierres a été élaboré avec eux par Olivier Saltet qui nous accompagnait et que nous remercions. Ainsi se poursuit, au-delà du souvenir, la présence d'un être qui avait fait de l'art sa vocation, et du partage sa raison de vivre. Le site s'enrichira au fur et à mesure des oeuvres khmères que Jacques-Edouard Berger a photographiées en dehors du Cambodge et dans les musées du monde, et qui appartiennent à la grandeur de la civilisation khmère.
René Berger
Chevilly, mai 1997
Angkor Vat aux confins du soir : immense " Versailles " dont les jeux d'eau se seraient tus. Et tout de suite, l'impropriété de la comparaison!
Comment nommer un lieu qui déborde la vue dans la nuit tombante? Surprise à vif l'étroitesse de notre culture qui "catégorise" en fonction du prestige ! Certes, Angkor Vat est grand, mais nul roi Soleil ne l'a foulé, ni n'oserait y pénétrer. Ici, le divin appartient aux dieux, dont se devine la présence dans le double miroir des douves et du ciel.
Nos grilles culturelles s'émoussent quand l'inspiration du site s'amplifie jusqu'à dissoudre les limites entre le réel et l'irréel. Et voici qu'émerge en nous l'intuition, toujours plus prégnante, qu'il nous est donné, pour la première fois peut-être, de découvrir une civilisation en amont ? Toutes nos connaissances nous viennent en aval, après que l'école et les habitudes du milieu nous ont appris à les intégrer, à en faire le système conceptuel qui deviendra notre "cadre de référence", d'où nous tirerons nos jugements. Mais voici qu'en foulant le sol d'Angkor émerge à chacun de nos pas le sentiment exaltant d'une présence quasi contemporaine.
Double paradoxe de la civilisation khmère : elle naît et s'accomplit en l'espace de quelques siècles, fleurit dans l'intensité d'une création religieuse et artistique unique, pour céder longtemps à un oubli presque général . Pourtant les archéologues ont dressé une carte qui compte plus de mille monuments, aujourd'hui dispersés au Cambodge, sans compter ceux qui subsistent en Thaîlande, et dans le Sud-Est asiatique. Et voici que de nouveau est offert à notre émerveillement l'un des réseaux de civilisation les plus denses dans lequel l'art recouvre la plénitude de son pouvoir fondateur, "fécondateur", aimerais-je dire, d'autant que les vicissitudes politiques ont failli le réduire à néant. C'est donc comme à une nouvelle naissance qu'il nous est donné d'assister, ou, plutôt, de participer. Est-ce assez dire notre saisissement quand émergent l'un après l'autre les temples de la forêt dans l'ombre et la lumière ourlées ici et là de la robe safran d'un moine qui passe. On ne "visite" pas les temples khmers, il faut entrer avec eux dans la dimension de l'hindouisme et du bouddhisme dont les hôtes, illustres ou simples desservants, auraient tous disparu si ne rayonnaient, tels des phares, les multiples visages du Bayon qui embrassent les points de l'horizon et les bas-reliefs bruissant de vie dans leur silence luisant que traversent, comme un vol de papillons, les apsaras au sourire ineffable, gage de l'invisible devenu visible. Tant de figures amarrés à la pierre et qui s'en détachent pour nous convier à la danse cosmique dont elles sont à la fois les acteurs et les médiateurs. Et voici que s'ouvre pour nous l'espace terrestre et divin qui fut celui des Khmers, l'envers et l'endroit fusionnant dans la contemplation proposée à notre regard. Les complémentaires s'épanouissent dans les volutes de pierre d'où émanent mélodies, consonances et timbres. L'inouï devient audible. Les formes se dérobent à notre besoin d'identification pour nous entraîner, au-delà de nos regards, dans le mouvement de l'unité essentielle.
Quelque exaltés, quelque exaltants qu'ils soient, les temples n'échappent pourtant pas à la terre qui les héberge, aux vents qui les traversent, donnant prise, les siècles passant, aux énormes racines qui les enlacent jusqu'à faire éclater murs et sculptures. On reste interdit devant une telle puissance tellurique. Mais, inversant le sens des métaphores, n'est-il pas légitime de se demander s'il ne s'agit pas d'autant d'actes d'amour, les racines hissant les temples jusqu'aux frondaisons, comme si le cataclysme visible était l'expression de l'union cachée des pierres se métamorphosant en arbres, de la végétation se métamorphosant en architecture.
Ainsi s'harmonisent la fureur des combats et la sérénités des dieux, ainsi la turbulence aspire à l'ordre, l'immanence et la transcendance en quête d'une tierce unité toujours voilée, mais combien sensible. Prodigieuse étreinte des éléments, sans figure ni témoin. N'était, ici et là, le sourire des petites filles qui vous offrent des flûtes, comme si la création pouvait renaître d'une seule note de musique issue des lèvres des futures mères qu'elles sont.
René Berger
Chevilly, 11 mai 1997, fête des mères


De la pierre, les sculpteurs de l'ancien Cambodge ont fait éclore des statues aux visages idéalisés et des portraits d'un réalisme poignant, images de dieux majestueux et impassibles mais aussi de divinités compatissantes au doux sourire intérieur.
Dans l'art du bas-relief, ces artistes ont consacré leurs talents à la représentation des divinités mais aussi à celle de scènes plus profanes et réalistes. Défilés militaires, furieuses batailles ou simples événements de la vie quotidienne sont inscrits sur les murs des galeries des temples avec un sens étonnant du mouvement et de la composition.
Des premiers chefs-d'oeuvre préangkoriens jaillissant dès le VIe siècle après J.-C à ceux de la période angkorienne du IXe au XVe siècle et des oeuvres postangkorienne, les manifestations lapidaires de l'art khmer n'ont cessé d'être inspirées par la religion. C'est à la gloire des dieux ou des princes divinisés que les artistes, demeurés à jamais anonymes, ont dressé des temples, taillé des statues et dessiné des bas-reliefs. Leurs oeuvres représentent autant de professions de foi en l'honneur des deux grandes religions de l'Inde, Hindouisme et Bouddhisme, introduites au Cambodge dès les premiers siècles de l'ère chrétienne.
Dans les sanctuaires, les statues se tiennent assises dans le recueillement ou debout, élevant dans leurs mains les attributs qui permettent de les identifier. Elles sont destinées à être habitées par une divinité (principalement, Civa et Vishnu, mais aussi Bouddha) dont les fidèles espèrent protection et bienfaits.
Dans le Brahmanisme, Civa, créateur mais aussi destructeur du monde, incarne l'ordre cosmique. Les images du dieu(dansant, à une tête et deux bras, à cinq têtes et dix bras
, sous la forme du Linga
Idole représentant le phallus de Civa, symbole de son pouvoir créateur
etc...) traduisent sa nature complexe. Le Civaïsme demeura la religion d'état la plus constante au Cambodge durant les époques préangkorienne et angkorienne.
Vishnu, le dieu protecteur, suscita également un important courant religieux. L'iconographie le représente le plus souvent sous la forme du dieu à quatre bras coiffé d'abord d'une mitre cylindrique puis d'un casque orfévré. Il est muni de ses attributs traditionnels: le disque, la conque marine, la massue et une sphère symbolique la terre.
Dans la tradition khmère, le Bouddha est souvent montré en méditation, assis sur un socle figurant un lotus épanoui ou sur le corps enroulé d'un serpent nâga
Serpents, divinités des eaux, généralement polycéphales.
dont les sept têtes sont déployées au dessus de lui en guise de protection.
Jusqu'à la fin de la période angkorienne, les sculpteurs ont privilégié le travail du grès, même s'ils ont aussi ciselé la brique, modelé le stuc et la terre cuite. Les affleurements de grès sont nombreux au Cambodge: de couleurs variées, rose, violacée, verdâtre, c'est le grès, dans toutes ses nuances de gris, qui a été, en général, le matériau le plus habituellement utilisé.
Les sculpteurs pratiquaient la technique de la taille directe. Après un épannelage grossier, l'artiste affinait progressivement l'oeuvre de façon à harmoniser les formes et les volumes avec des règles fixées dans des traités sur les oeuvres d'art, les "çilpaçâstra". Les oeuvres ainsi produites pouvaient varier de quelques dizaines de centimètres jusqu'à plus de deux mètres.
L'équilibre dans l'espace




Les artistes khmers cherchèrent, dès leurs premières oeuvres, à se libérer de l'influence de leurs modèles indiens, dont les représentations s'inscrivaient en haut-relief contre les murs des temples ou étaient appuyées à une stèle.
Le célèbre Krishna du Mont Govardhana de Vat Koh (fin du VIè siècle) est encore en haut-relief. Mais déjà, les statues en "ronde-bosse" de divinités à deux bras ont simplement un étai sous chaque main pour assurer leur équilibre. Les Vishnu, à quatre bras, étaient auréolés par des arcs de soutien sur lesquels les bras supérieurs prenaient appui. Les corps au modelé souple et voluptueux des déesses Durga du "style Sambor Prei Kuk" (première moitié du VIIe siècle) et Devî de Koh Krein (VIIe siècle), chefs-d'oeuvre de la sculpture en"ronde bosse", dégagent leur silhouette libre dans l'espace. Il en est de même pour le Harihara (fin du VIIe siècle) divinité composite mi-Vishnu mi-Civa, dont l'élégance suprême conjugue réalisme (visage expressif, modelé des jambes, rendu du mouvement du tissu du sampot
Vêtement court drapé autour des hanches et noué sur le devant.
et stylisation, buste,coiffure).
Quant aux Bouddha, revêtus du vêtement monastique, ils n'étaient pas étayés; mais leurs pieds étaient sculptés en haut-relief.
Au IXe siècle, étais et arcs de soutien disparaissent. Dans le "style du Prah Kô" (fin du IXe siècle), les statues se dressent librement dans l'espace. Mais, les silhouettes s'alourdissent. Poitrine gonflée, hanches larges, les divinités se tiennent debout sur des jambes massives. Les artistes recherchent un idéal de puissance qui se marque par un certain hiératisme confinant à la rigidité dans le "style du Bahkeng" (fin du IXe début du Xe siècle).

Hiératisme et liberté des formes



Durant la première moitié du XIIè siècle, le puissant roi Sûryavarman II fait édifier le monumental temple d'Angkor Vat, chef-d'oeuvre de l'architecture khmère consacré à Vishnu. Les artistes de la période angkorienne portent alors à la perfection les normes héritées d'une tradition vieille de plusieurs siècles.
Répondant à l'imposante majesté architecturale des temples, les sculpteurs s'attachent à donner une allure hiératique aux idoles qui manifestent ainsi leurs dimensions surhumaines. L'aspect physique de leurs épaules carrées, de leur torses bombés et de leurs jambes sans modelé, la richesse de leur parure, leur costume au plissé rectiligne viennent renforcer l'impression de rigidité.


Au contraire, quand ils ne sont plus bridés par les règles sacrées pour l'exécution des images des divinités, les sculpteurs donnent alors libre cours à une fantaisie plus profane. D'innombrables "devatâ"
Divinité féminine.
et "apsaras"
Danseuse céleste.
animent les murs des temples. A Angkor Vat, plus de 1700 d'entre elles ont été recensées. Elles offrent au regard leur grâce exquise, rehaussée par l'infinie variété de leurs costumes, de leurs parures et de leurs attitudes enjouées. Disposées sous une arcature ou dans un décor de feuillage, ces figures féminines, au visage souriant, se tiennent isolées ou en groupe, silencieuses ou conversant entre elles. L'une relève sa tête fine, ceinte d'une tiare à trois pointes, tandis que sa main joue avec le long pan de son vêtement. Une autre élève un miroir près de son visage. Une autre encore, une branche fleurie piquée dans ses cheveux, entoure de son bras les épaules de sa compagne.



Le sourire du Bayon



Dans la deuxième partie du XIIe siècle, le plus grand roi de l'ancien Cambodge, Jayavarman VII, monarque autoritaire et conquérant, mais aussi, bouddhiste convaincu et compatissant, joue un rôle déterminant dans l'évolution de la sculpture. Celle-ci trouve son plein épanouissement dans le style du temple montagne du Bayon, caractérisé par le fameux "sourire du Bayon" inspiré par l'idéal de détachement bouddhique. Les "tours à quatre visages" visibles dans les temples de l'époque et aussi au sommet des cinq portes de la capitale d'Angkor Vat relèvent à la fois de l'architecture et de la sculpture: hautes de plus de 2 mètres, ces têtes géantes du Bodhisattva
Dans la religion bouddhique, "Etre (destiné) à l'éveil".
Lokeçvara
"Le seigneur du monde".
regardent les quatre orients. Leur visage à la fois grave, méditatif et souriant dégage une séduction particulièrement envoûtante.



Recueillie dans la contemplation d'une vie intérieure, la tête sculptée de Jayavarman VII du Preah Khan (dite de Kompong Svay), paupières baissées, exprime, plus que toutes autres, un sommet de la sculpture universelle. Sa physionomie, doucement éclairée par le rayonnement d'un léger sourire, manifeste, pour l'éternité, la recherche d'un idéal de béatitude et de beauté.

Le début du déclin

Durant la période postangkorienne, la conversion du Camboge au bouddhisme Theravâda
"La voie ou l'opinion des anciens". C'est le Bouddhisme originel, appelé aussi Petit Véhicule.
entraîne une transformation radicale de l'iconographie en "ronde-bosse". Les images brahamaniques disparaissent presque complètement au profit de la glorification du Bouddha Au XIIIe et XIVe siècle, la production de statues est encore directement issue de l'art du Bayon.
Dès la fin du XVe siècle, les Khmers abandonnent les constructions en pierre. Suivant cette évolution, les artistes coulent encore des statues de bronze et surtout sculptent dans le bois des images en "ronde bosse" et des panneaux en reliefs. Nombre de ces dernière pièces disparaîtront en poussière, en raison du caractère périssable de leur matériau.
Quant à l'art lapidaire lui même, qui avait connu tant de splendeur pendant la période angkorienne, il finira par s'endormir d'un profond sommeil.
Un travail d'orfèvre



Le temple çivaïte du Banteay Srei(968) est considéré comme un pur joyau de l'art khmer. L'oeil est saisi par la surabondante richesse de sa décoration: motifs végétaux stylisés, frises, arcatures, représentations humaines ou animales en relief ou en "ronde-bosse" sculptées dans un grès rose
aux subtiles nuances. Jamais les artistes n'avaient évoqué avec autant de vie et d'habileté les épisodes légendaires de la vie de Civa. Au fronton oriental de la "bibliothèque" sud, par exemple, de somptueux bas-reliefs figurent l'ébranlement par le démon Râvana du Kailâsa, la montagne sacrée de Civa. Ils se distinguent par un extraordinaire luxe des détails et un état de conservation exceptionnel.



Les bas-reliefs d'Angkor Vat tiennent aussi une place de choix au sein de l'art khmer. D'immenses compositions, se déployant le long des galeries de la troisième enceinte, atteignent jusqu'à quatre vingt dix mètres de long. Elles représentent, entre autres, les péripéties des dernières batailles
des épopées du Râmâyana
L'une des deux grandes épopées indiennes avec le Mahâbhârata.. Elle raconte l'histoire du prince Râma qui se bat, avec l'aide du peuple des singes, pour retrouver son royaume et sa femme Sitâ, enlevée par le démon Râvana.
et du Mahâbhârata
L'une des deux grandes épopées indiennes avec le Râmâyana. Elle relate la rivalité entre les cinq Pandava et leurs cousins, les cinquante Kaurava. Dans leur lutte, les Pandava sont aidés par Kishna, avatar de Vishnu.
, mais aussi le grand mythe de création du barattage de l'Océan de lait pour obtenir 'l'amrta" (la liqueur d'immortalité) et le roi Sûryavarman II partant à la guerre, monté sur son éléphant à quatre défenses. Les sculpteurs ont gravé au trait le contour des silhouettes, dégagé les volumes et ciselé les détails des visages, des corps, des parures, des chars de combats et des guerriers en armes, avec un art magistral.


Univers des dieux, monde des hommes



Au temple montagne du Bayon, les bas-reliefs des galeries, qui parlent des légendes brahmaniques font aussi la part belle aux scènes historiques: impatientes de se mesurer avec l'envahisseur Cham, les armées de Jayavarman VII
défilent en ordre de bataille. Des navires de guerre s'affrontent dans un combat naval. Plus loin, se lisent dans la pierre des scènes de la vie quotidienne. traitées avec un réalisme pittoresque et parfois humoristique. Elles fournissent de précieux témoignages sur l'existence des anciens Khmers. Ici, des paysans se déplacent en charrette
avec des familles entières. Là, des femmes portent le dernier-né sur la hanche. Ailleurs encore, des parieurs discutent autour d'un combat de coqs. Une petite fille vole des fruits à l'étal d'une marchande endormie, etc...



De la grande époque de Jayavarman VII date également la construction de la terrasse des éléphants
bordant sur plus de 300 mètres de longueur les restes de l'ancien Palais Royal. Sur ses murs et sur les parois latérales des cinq avant-corps des perrons d'escaliers est sculptée toute une série impressionnante
de "garudas"
Oiseau divin à corps humain, ennemi des serpents nâga et monture de Vishnu.
et de lions en atlantes. Des bas-reliefs montrent également des courses de char. Des éléphants, montés par leurs cornacs et présentés de profil
presque grandeur nature, participent à des scènes de chasse traitées en haut relief.
  • 1- Ak Yum
    Début du VII siècle — Culte hindouiste — Le premier temple montagne, l'un des plus anciens sites connu précédant la fondation de la première Angkor certainement au centre de la première capitale de la région. Partiellement enseveli sous la digue du Baray Occidental (XI siècle), c'est un petit ensemble de trois pyramides en briques aux principaux éléments en grès. Inscriptions livrant les dates de 609 A.D, 704 A.D. et 1001 A.D, et le nom du dieu (Gambhiresvara) auquel le temple était dédié.
  • 2- Prah Kô (Groupe de Rolûos)
    879 A.D, Indravarman I — Culte hindouiste — Temple funéraire de Jayavarman II et ses prédécesseurs, à l'intérieur d'une douve de 400m. par 300 m. La stèle de fondation (un monolithe gravé) livre sur une face la généalogie d'Indravarman I en faisant référence au culte du Dieu-Roi, et la date de fondation des trois statues de Shiva et Devì en 879 A.D. L'autre face indique la date de 893 A.D correspondant au règne de Yaçovarman et relate divers dons et offrandes. Ce temple possède encore de larges pans de murs enduits de stucs moulés (mélange à base de chaux).
  • 3- Bakong (Groupe de Rolûos)
    881 A.D, Indravarman I — Culte Hindouiste (Shivaîte) — Temple montagne entouré d'un mur de latérite doublé de douves mesurant 900m. x 700 m. Troisième du type après Ak Yum et Rong Cheng (nord est du phnom Kùlen) et premier a utiliser presque exclusivement le grès. La stèle rapporte l'érection d'un Linga (Phallus en pierre, représentation de Shiva) en 881 A.D. Tours de briques munies de décors en grès finement taillés laissant apparaître quelques traces de stucs moulés. Le sanctuaire central du style d'Angkor Vat construit deux siècles après la plus grande partie du monument a été remonté à partir d'un tas de décombres de 1936 à 1943.
  • 4- Lolei (Groupe de Rolûos)
    893 A.D, Yaçovarman I — Culte hindouiste — Quatre tours de briques (peut-être six à l'origine) sur un soubassement à deux niveaux, situées au milieu du Baray de Lolei (Indratataka), ancien réservoir d'eau de 3,8 km par 800m. Selon l'inscription , la construction de ce Baray commença cinq jours après la consécration d'Indravarman au Bakong, afin d'irriguer le site où était implantée sa capitale. Le temple, construit postérieurement, est dédié à sa mémoire.
  • 5- Phnom Bakheng
    Fin du IX siècle, Yaçovarman I — Culte hindouiste — Ce temple est peut-être implanté au centre de la première Angkor qui formait un carré d'environ 4km de côté, entouré de douves dont seul le quart sud ouest est encore visible. Les restes d'une enceinte intérieure de 650m par 436m de côté entourent la base de la colline. Un temple pyramide taillé dans la masse d'une colline naturelle parementée en grès. Beaux points de vues sur les paysages alentours, surtout au coucher du soleil.
  • 6- Phnom Krom
    Fin du IX siècle, Yaçovarman I — Culte hindouiste — Peut être le second des trois temples de Yaçovarman I sur les collines dominant la plaine d'Angkor, les deux autres étant le Phnom Bakheng et le Phnom Bok. Enfermé à l'intérieur d'une enceinte carré en latérite, les trois sanctuaires en grès (très ruinés) alignés sur un axe nord-sud sont dédiés à la trinité Brahmanique (Shiva entre Vishnou au nord et Brahma au sud). Site très agréable offrant des vue sur le Tonlé Sap.
  • 7- Prasat Thma Bay Kaek
    X Siècle — A 125m. à l'ouest de la route principale, situés entre Baksei Chamkrong et la douve sud-ouest d'Angkor Thom apparaissent les vestiges d'une tour en brique sur plan carré précédée à l'est d'une terrasse en latérite. Lors des dégagements effectués en 1945, cinq feuilles d'or disposées en quinconce sur un dé ont été découvertes sous le dallage de la cella.
  • 8- Prasat Bei
    X siècle — Culte hindouiste — A 175m. à l'ouest du Prasat Thma Bay Kaek, 3 tours de briques alignées sur un axe nord sud et reposant sur une base commune en latérite.
  • 9- Prasat Kravan
    921 A.D, Harshavarman I — Culte hindouiste — A l'intérieur d'un bassin fossé, cinq tours en briques reposant sur une base commune sur un axe nord-sud. Les vastes travaux de restauration ont utilisé un mortier de ciment qui remplace la fine couche de colle végétale qui à l'origine liait les briques. Le piédroit de porte mentionne l'élévation d'une statue de Vishnou en 921. Les murs intérieurs de la tour centrale et de la tour nord sont ornés de bas-reliefs représentant Vishnou et Lakshmi. A visiter de préférence le matin.
  • 10- Baksei Chamkrong
    947 A.D, Harshavarman I, Rajendravarman II — Culte hindouiste — Temple montagne situé derrière un rideau d'arbres au pied de la colline du Phnom Bakheng, construit avec les matériaux classiques du X siècle. Une tour de brique ouverte à l'est originellement recouverte de décors en stucs moulés repose sur quatre étagements en latérite. Accès par quatre escaliers abrupts d'une seule volée, alignés sur les axes principaux.
  • 11- Mébôn Oriental
    952 A.D, Rajendravarman II — Culte hindouiste— Au centre du Baray oriental et à l'origine seulement accessible grâce à une embarcation. On y retrouve toutes les caractéristiques d'un temple montagne en brique et latérite se présentant comme un ensemble de cinq tours en quinconce supportées par une plateforme haute de trois mètres et non pas par une pyramide centrée. La stèle inscrite évoque les parents du roi auxquels le monument est dédié. L'axe est-ouest de ce temple s'aligne avec l'entrée principale du Palais Royal d'Angkor Thom. Des linteaux en grès de belle facture, ainsi que des éléphants en ronde bosse aux angles de chaque étage dont l'un d'eux (au sud ouest) demeure en très bon état de conservation. A visiter en fin de journée.
  • 12- Bat Chum
    953 A.D, Rajendravarman II — Culte bouddhiste — Le premier temple Bouddhiste se composant de trois sanctuaires en briques aux principaux éléments en grès, reposant sur un soubassement mouluré en latérite. Les inscriptions citent les trois divinités bouddhiques auxquelles le temple est dédié, et le nom de l'architecte du Mébôn Oriental considéré comme le constructeur de ce monument.
  • 13- Pré Rup
    961 A.D, Rajendravarman II — Culte hindouiste — Construit sur l'axe nord-sud du Mébon oriental qui lui est antérieur de neuf ans. De composition et de style similaires bien que plus grand il est également construit en brique et latérite, réservant le grès aux principaux éléments d'architecture. Les linteaux sont d'une exécution très fine, certains demeurant toutefois inachevés. Les tours en briques de l'étage supérieur étaient revêtues de décors sculptés. Ce temple était probablement au centre de la capitale qui a suivi le retour de Koh Ker où elle avait été déplacée de 921 à 944. Le palais royal de cette ville est supposé être très proche du temple.
  • 14- Bantéay Sre
    967 A.D, Rajendravarman II, Jayavarman V — Culte hindouiste — Monument dans la forêt à 25 km au nord-est d'Angkor Thom. Un joyau qui s'accommode parfaitement de la nature des matériaux employés - un grès rose à la texture très fine. Les thèmes architecturaux déjà évoqués sont ici à une échelle miniature, accompagnés d'un fin traitement de l'ornementation, le tout dans un état de préservation presque parfait. Restauré par anastylose entre 1931 et 1936.
  • 15- Ta Keo
    Début du XI siècle, Jayavarman V, Suryavarman I — Culte hindouiste — Un imposant temple montagne à 5 étages entouré de douves, presque entièrement en grès, et supposé être au centre d'une capitale. La meilleure approche s'effectue de l'entrée orientale, où la forme massive du temple apparaît dans un cadre naturel formé par les arbres bordant la chaussée d'accès (les escaliers y sont moins abrupts). Les inscriptions sur les piédroits de porte du Gopura oriental relatent une consécration effectuée en 1007 A.D.
  • 16- Les Khléang
    Début du XI siècle, Jayavarman V, Suryavarman I — Deux constructions similaires aux fonctions indéfinies, le Khléang nord étant le premier construit (inscriptions portant les dates de 1002 à 1049). Les inscriptions du Khléang sud reproduisent le serment des fonctionnaires prété au roi Suryavarman I, gravé sur un piédroit de porte du Gopura oriental du Palais Royal d'Angkor Thom.
  • 17- Phimeanakas
    XI siècle, Suryavarman I, Udayadityavarman II — Culte hindouiste — Le palais royal de la capitale était entouré d'un mur d'enceinte en latérite haut de cinq mètres, doublé par un second mur de construction plus tardive. Au centre de cette enceinte est construit le Phiméanakas, pyramide à trois étages sur plan rectangulaire qui était certainement la chapelle privée du roi.
  • 18- Le Baphûon
    Milieu du XI siècle, Udayadityavarman II — Culte hindouiste — Temple montagne à trois étages au sud de l'enceinte du palais royal sur l'axe nord sud passant par le Phiméanakas. C'est l'impressionnante tour de cuivre plus haute que les tours d'or (du Bayon) décrite par Tchéou Ta Kouan, un émissaire chinois en visite à Angkor à la fin du XIII siècle. Probablement le temple d'état du quatrième royaume angkorien.
  • 19- Prah Pithu
    Début du XII siècle — Culte hindouiste — Ensemble monumental composé de cinq petits temples et d'une terrasse bouddhique (un soubassement appareillé supportant à l'origine une structure légère), situé à l'angle nord est de la place royale. Bien que très ruinés, les hauts soubassements révèlent une grande qualité de décor, et classent l'ensemble dans la période d'Angkor Vat (première moitié du XIIe siècle).
  • 20- Angkor Wat
    Début du XII siècle — Culte hindouiste — Temple pyramide à trois étages orienté à l'ouest (temple funéraire de Suryavarman II) construit sur une colline artificielle comportant quatre enceintes de galeries. Le mur d'enceinte extérieure forme un rectangle de 1025m x 800m doublé à l'extérieur par une douve de 190m de largeur et un kilomètre carré de bas-reliefs remarquables. A visiter en fin de journée.
  • 21- Thommanon
    Début du XII siècle, Suryavarman II — Culte hindouiste — Contrairement à Chau Say Tevoda qui se trouve juste au sud, ce monument a fait l'objet de travaux de restauration. Le sanctuaire central est entouré des vestiges d'un mur d'enceinte en latérite ponctué par deux Gopuras sur l'axe Est Ouest, et doublé par une douve.
  • 22- Chau Say Tevoda
    Début du XII siècle, Suryavarman II — Culte hindouiste — De même style que le Thommanon mais en état de ruine beaucoup plus avancé. Une chaussée surélevée sur trois rangs de potelets relie le temple à la rivière par l'intermédiaire d'une terrasse cruciforme. La date de fondation est incertaine mais la qualité des décors rappelle la période stylistique comprise entre la fin du Baphûon et le début d'Angkor Vat, soit de la fin du XI au milieu du XII siècle.
  • 23- Bantéay Samrè
    Début du XII siècle, Suryavarman II Culte hindouiste A 14 km. au nord est de Siemreap, un temple finement proportionné de la période classique. Non daté mais certainement plus tardif qu'Angkor Vat. L'intérieur présente des dispositions similaires à Chau Say Tevoda dont il est peut-être contemporain. Monument restauré par la technique d'anastylose entre 1936 et 1944. Les Samrès sont des populations aux origines diverses qui étaient présumées vivre au pied du Phnom Kùlen.
  • 24- Ta Prohm
    1186 A.D, Jayavarman VII — Culte bouddhiste — Monastère bouddhiste à cinq enceintes, non restauré et abandonné à la végétation, avec des résultats parfois dramatiques pour les structures, sachant qu'une grande partie des arbres qui donnent un caractère au monument sont entrain de mourir. Les inscriptions nous révèlent que 12640 personnes vivaient à l'intérieur de ces enceintes, dont 13 grands prêtres, 2740 officiants, 2232 assistants et 615 danseuses. A visiter de préférence le matin.
  • 25- Bantéay Kdei
    Fin du XII siècle, Jayavarman VII— Culte bouddhiste — Temple à quatre enceintes dont les dimensions extérieures sont égales à 700m x 500m., et révèlent les traces de deux étapes de construction. Monument typique de l'art de Jayavarman VII en état de ruine avancé.
  • 26- Srah Srang
    Fin du XII siècle, Jayavarman VII — Large bassin (le bain royal) de 700 x 300m aux berges parementées en latérite, aligné sur l'axe est-ouest de Bantéay Kdei. Ensemble daté du milieu du X siècle, la terrasse débarcadère demeurant toutefois plus tardive. En son milieu un ilôt porte quelques vestiges de grès.
  • 27- Prah Khan
    1191 A.D, Jayavarman VII — Culte bouddhiste — Ville royale similaire au Ta Prohm à 4 enceintes rectangulaires et une douve de 700m x 800m, s'ouvrant à l'est sur le Baray de Néak Péan par une terrasse qui servait d'embarcadère. La grande stèle découverte en 1939 nous apprend que ce temple était dédié au père du roi et mentionne l'édifice situé à l'est, à l'intérieur de la quatrième enceinte (identique à celui du ta Prohm) décrit comme une "maison du feu" qui abritait probablement les pèlerins. Les trous visibles sur les murs intérieurs du sanctuaire central servaient certainement à fixer un lambrissage en bronze, les trous de grande section plus nombreux servant généralement au levage des blocs. Agréable à toute heure du jour.
  • 28- Néak Péan
    Fin du XII siècle, Jayavarman VII Culte bouddhiste "Les Nagas enroulés". Bassin creusé sur une île de 350m. de côtés sur le Baray de Prah Khan, au milieu duquel émerge un soubassement circulaire portant le sanctuaire central enserré par deux Nagas enlacés. Sur chacun des axes sont implantés quatre petits bassins qui par des gargouilles reçoivent les eaux s'écoulant du grand bassin dans de petits sanctuaires abritant respectivement une tête d'éléphant, de lion, de cheval et d'homme. Réplique symbolique du lac sacré d'Anavatapta situé en Himalaya et vénéré pour ses pouvoirs de guérison des malades.
  • 29- Ta Som
    Fin du XII siècle, Jayavarman VII — Culte bouddhiste — À l'est du Baray de Prah Khan et à peu près aligné sur son axe principal, temple typique de la dernière époque de l'art du Bayon, avec trois enceintes similaires à celles de Ta Prohm et Bantéay Kdei. Les différents édifices encore debout sont dans un état de ruine fort avancé.
  • 30- Ta Nei
    Fin du XII siècle, Jayavarman VII — Culte bouddhiste — Monument isolé au nord du Ta Keo. Bien préservé, le temple principal possède quatre Gopuras d'entrée cruciformes reliés par des galeries aux murs en latérite et voûtes en grès, tout comme les pavillons d'angle, le sanctuaire central et la bibliothèque sud-est. Les inscriptions des piédroits de portes mentionnent les divinités auxquelles le temple était dédié.
  • 31- Bayon
    Au centre de la dernière ville d'Angkor, c'est un présumé microcosme du royaume comprenant des représentations de toutes les divinités majeures (bouddhistes au sud et à l'est et hindouistes au nord et à l'ouest). Les 200 visages ornant les 54 tours symbolisent l'omniprésence du Boddhisatva Avalokiteçvara, principale divinité du royaume. Beaucoup de détails d'architecture montrent que ce temple fut construit en plusieurs étapes. A voir le matin où avec un peu de chance par une nuit de pleine lune. Ne pas oublier les bas-reliefs.
  • 32- Prasat Suor Prat
    Fin du XII siècle, Jayavarman VII — Culte hindouiste — Les tours des danseurs de cordes, soient 12 tours en latérite à l'est du palais royal, qui jouaient certainement un rôle important lors des cérémonies et des parades.
  • 33- Bantéay Prei
    Fin du XII siècle, Jayavarman VII — Culte bouddhiste — Au nord du Prah Khan, petit temple du style du Bayon enfermé à l'intérieur de deux enceintes dont la dernière est entourée d'une douve.
  • 34- Krol Kô
    Fin du XII siècle, Jayavarman VII — Culte bouddhiste — Petit temple enfermé à l'intérieur de deux enceintes. La tour centrale, du style du Bayon, est précédée par une bibliothèque construite en latérite et en grès, au sud de l'axe de composition principal.
  • 35- Ta Prohm Kel
    Fin du XII siècle, Jayavarman VII — Culte bouddhiste — Tour de grès isolée à l'intérieur des vestiges d'une enceinte en latérite. La stèle découverte à Ta Prohm en 1928 cite les 102 hôpitaux fondés par Jayavarman VII dont cet édifice est un exemple. Il en existait un sur chacun des quatre axes de composition d'Angkor Thom.
  • 36- Terrasse Des Eléphants
    Fin du XII siècle, Jayavarman VII — Soubassement de la salle d'audience royale décrite par Tcheou Ta Kouan en 1296. "Dans la salle du conseil les cadres de fenêtres sont en or. À gauche et à droite on trouve des piliers carrés qui supportent 40 ou 50 miroir, au dessous desquels sont des éléphants...".
  • 37- Terrasse Du Roi Lépreux
    Fin du XII siècle — Jayavarman VII — Son nom est tiré de la découverte d'une statue qui est en fait une représentation de Yama, le dieu et juge de la mort. D'après les textes, Coëdes suggère que le monument pouvait être le mont Hemasgiri (le mont Mérù) où l'inspecteur des qualités et des défauts rendait autrefois la justice sous un édifice en bois.
Publié en 1944 à Saïgon, réédité en 1948 et à Paris en 1963, l'ouvrage de Maurice Glaize demeure le Guide le plus complet et le plus directement accessible à un très large public. Ce guide restera longtemps la référence pour ceux qui veulent visiter ce site exceptionnel. M. Glaize a voulu faire comprendre au visiteur ce qui dans l'esprit des fondateurs a présidé à l'établissement de tels sites.
CHAPITRE I - La race khmère, des origines à la période contemporaine
Si l'on en croit la légende, les anciennes dynasties du royaume khmer se rattachent à l'union d'un prince hindou, Preah Thong, chassé de Delhi par son père, avec une femme-serpents, fille du nâgarâja, souverain du pays; d'une radieuse beauté, elle lui était apparue folâtrant sur un banc de sable, où il était venu camper pour la nuit, et l'avait agréé pour époux. Le Nâgarâja, asséchant le pays en buvant l'eau qui le recouvrait, appelait Kambujâ le nouvel empire et lui construisait une capitale.

Une variante, fournie par une inscription de Mison au Champa, et reproduite dans diverses descriptions du Cambodge, substitue au prince le brahmane Kaundinya qui épouse la nâgi Somâ pour l'accomplissement des rites et, lançant le javelot magique dont il est armé, fixe par son point de chute l'emplacement de la ville royale, où régnera le Somavamça ou race lunaire. Une autre tradition populaire moins répandue donne enfin comme couple originel le maharshi Kambu Svâyambhuva et l'apsaras Merâ, dont l'union symbolise celle des deux grandes-races solaire (Sùryavamça) et lunaire (Somavamça) : elle a surtout survécu dans le mot Kambujâ - fils de Kambu -d'où dérive le terme de Cambodgien par lequel nous désignons les descendants actuels des anciens Khmers.

Quelle que soit la version adoptée, le sens mythique n'est pas douteux et ne dénature pas la réalité des faits : le peuple Khmer est né de la conjonction de deux éléments distincts, indien et aborigène.

Ce n'est nullement, comme certains le croient, un peuple d'origine purement indienne qui serait venu, à la suite de migrations, se fixer dans une région vide d'habitants, ou en aurait éliminé les éléments indigènes par des massacres ou des déportations en masse : le peuple khmer est un peuple autochtone hindouisé.

Etablis dès les temps préhistoriques en la zone méridionale de la péninsule indochinoise tributaire du cours inférieur du Mékong et comprenant non seulement le Cambodge actuel mais aussi la Cochinchine et partie du Siam et du Laos, les Khmers se rattachent en effet, tant au point de vue ethnologique que linguistique, aux populations mon de Basse-Birmanie et à quelques peuplades barbares de la Chaîne annamitique, dérivant elles-mêmes vraisemblablement d'éléments negritos et indonésiens. II semble que l'apport indien soit la conséquence d'une expansion naturelle vers l'Est, à tendances commerciales, civilisatrices et religieuses, plutôt que le fruit d'une politique d'annexions brutales.

Par ailleurs, lors de la chute de l'Empire Khmer, qui frappe l'imagination par sa soudaineté apparente et l'étendue de ses ravages, il y a bien eu décadence totale et abandon de la capitale, mais non point disparition plus ou moins mystérieuse de la race. Celle-ci qui, sous l'instigation de la France, commence seulement à reprendre conscience de sa valeur et à se relever, n'a point cessé d'exister : elle a gardé ses caractères fondamentaux, ses traditions, sa religiosité, et parle la même langue. Ses tendances artistiques elles-mêmes se retrouvent, dès qu'on lui donne l'occasion de les faire revivre.

On a parlé de catastrophes d'ordre physique, tremblements de terre, inondations, assèchement bouleversant l'économie du pays. Effectivement, s'il est difficile d'admettre qu'un séisme ait pu laisser debout maintes constructions de pierre, certains indices, tel le comblement d'énormes bassins et des points bas d'Angkor Thom et de ses faubourgs, rendent plausible l'hypothèse d'un débordement du Grand Lac ou de quelque rupture de digue, et chacun sait que pareil cataclysme s'accompagne d'ordinaire d'épidémies et d'actions dévastatrices. Parallèlement la disparition du système hydraulique perfectionné, qui dispensait à toute la région vie et fertilité, a pu très rapidement transformer en terres inhospitalières des zones jusqu'alors peuplées et productives.

Mais il suffisait de causes humaines. Si cinq siècles seulement nous séparent de la date de l'abandon d'Angkor en tant que capitale, il ne faut pas oublier qu'auparavant une période très dure et peu glorieuse avait fait suite aux quatre siècles - IXe au XIIIe - du temps de sa splendeur. Epuisé déjà par un labeur colossal, pressuré par les rois-bâtisseurs qui devaient assurer sa renommée posthume, le peuple khmer n'a pu résister à toute une série de guerres meurtrières suivies sans doute du transfert systématique des populations asservies : la ruine est venue mais non l'extinction totale.

CAMBOGE ET CAMBODGIENS

Le cadre géographique de l'ancien royaume khmer est celui de ses monuments. Si, en effet, ceux-ci se trouvent groupés de façon particulièrement dense dans la zone angkorienne, au Nord du Grand Lac, on en compte plus d'un millier de vestiges répartis sur l'ensemble du territoire entre le golfe du Siam et Vientiane d'une part, le delta du Mékong et la vallée du Ménam d'autre part, c'est-à-dire dans le Cambodge actuel, la majeure partie de la Cochinchine, le bas et le moyen Laos, le Siam oriental et une partie de la vallée du Ménam. Les différentes scissions qui se sont produites au cours des siècles, proviennent non point d'un manque d'unité dans son peuplement, mais d'une opposition d'ordre physique entre les régions arides situées au Nord de la chaîne des Dangrek et les fertiles plaines du Sud.

Le Cambodge actuel se trouve bordé par le Golfe du Siam au Sud-Ouest, le Laos au Nord, l'Annam et le Sud-Viet Nam à l'Est et au Sud-Est.

Sa principale artère, la vallée du Mékong, qui le traverse sensiblement du Nord au Sud, se joint à Phnom-Penh au Tonlé-Sap, qui, s'étalant au Nord-Ouest en un vaste plan d'eau de 140 kilomètres sur 30, irrigue les plaines environnantes.

Le Tonlé-Sap - ancien golfe marin devenu lac - offre cette particularité qu'à chaque saison des pluies, de mai à octobre, ses eaux, cessant de se déverser dans le Mékong, sont refoulées par celui-ci, et montant d'une dizaine de mètres, forment un énorme bassin régulateur dont la surface arrive à être triplée par rapport aux niveaux de saison sèche : de grandes fêtes nautiques accompagnées de courses de pirogues marquent, lors de la pleine lune de novembre, la fin de cette période et le Roi, par un geste symbolique, y préside au renversement du courant.

Chaque crue annuelle voit le Tonlé-Sap se colmater davantage, et l'inondation des zones forestières qui bordent ses rives, assurant aux poissons une nourriture particulièrement substantielle, en a fait le vivier le plus riche du monde entier

Le climat du Cambodge, pays compris entre les 10° et 14° degrés de latitude Nord, se rapproche du régime équatorial à température presque constante. Le contraste entre la saison sèche et la saison des pluies, marquée par de fortes ondées, est cependant très net, et si la température moyenne de l'année est de 28°, les nuits de décembre et janvier, spécialement fraîches, voient le thermomètre descendre aux environs de 20° tandis que les mois d'avril et mai sont caractérisés par des chaleurs torrides atteignant 35° dans une atmosphère chargée d'orages qui n'éclatent pas.

Soumis à l'influence des moussons, le Cambodge est cependant protégé du côté de la mer par des chaînes de montagnes de 1.000 à 1.500 mètres - notamment la chaîne de l'Eléphant où se trouve la station d'altitude du Bokor - qui lui valent un climat moins humide et malsain que celui de la Cochinchine : les ciels y sont souvent d'une transparence et d'une pureté absolues, éminemment favorables aux nuits de lune.

C'est au rythme des pluies et des inondations que se règlent les différentes cultures, principalement celle du riz, et la pêche sur le Tonlé-Sap, où, durant la saison sèche, s'établissent en plein lac des villages entiers dont les cases de bambou sur pilotis s'accompagnent de sécheries de poisson. Le Cambodgien se loge, couramment, au bord de l'eau, dans des paillotes ou maisons de bois isolées du sol par des pilots de deux mètres de haut, il est à l'abri des bêtes et de l'inondation et range sous sa demeure son maigre cheptel. Ne travaillant que pour assurer le paiement de son impôt et la subsistance de sa famille, il vit de préférence au milieu de sa petite exploitation et sans goût pour le négoce, se contente de céder aux revendeurs chinois ou annamites son excédent de paddy ou de sucré de palme, quelques porcs ou poulets, et les fruits de son jardin. La base de son alimentation est le riz et le poisson : celui-ci se trouve partout, même en pleine rizière, où il se terre durant les mois de saison sèche dans la vase du sous-sol pour ressortir dès les premières pluies.

De nature sensible et d'esprit très religieux, le Cambodgien centre sa vie sur la pagode, où il fait obligatoirement un stage au cours de ses jeunes années. Généreux envers ses prêtres dont il assure la subsistance — ces innombrables bronzes dont la robe, d'un jaune éclatant, anime chaque paysage — il saisit toute occasion de vénérer le Bouddha et de s'acquérir des mérites, jalonnant l'année de fêtes multiples qui satisfont son goût marqué pour les loisirs.

La religion nationale est le bouddhisme du Petit Véhicule, ou Hinayâna, de langue Pâli, pratiqué également à Ceylan, en Birmanie, au Siam et au Laos. La vie monastique y joue le principal rôle, et la foi populaire, assez rudimentaire et teintée parfois de souvenirs d'anciennes superstitions, est basée sur la transmigration des âmes et la recherche du salut personnel par les œuvres au cours d'une existence où chaque acte entre en ligne de compte pour le règlement futur. Après la mort, le corps est conduit au bûcher et la crémation se termine par le dépôt des derniers débris d'ossements dans un petit monument funéraire (Cedei) ou leur mise en terre en un emplacement rituel.


CHAPITRE II - Les sources de renseignements sur l'ancien Cambodge
Nos connaissances sur l'ancien Cambodge proviennent de trois sources : l'interprétation des bas-reliefs, les récits des voyageurs chinois, et la lecture des inscriptions sur pierre. Rien ne subsiste en effet des manuscrits tant sur peaux teintées où l'on écrivait à la craie que sur feuilles de latanier dont les caractères gravés au trait étaient noircis au tampon : ces matières essentiellement périssables n'ont pu résister ni à l'incendie, ni à l'action de l'humidité ou des termites.
A. LES BAS-RELIEFS

Les scènes sculptées sur les bas-reliefs, principalement au Bayon, où beaucoup d'entre elles se rapportent à des représentations de la vie courante, se retrouvent à peu près exactement, dès que l'on a le temps d'y prêter attention, dans les manifestations actuelles de l'existence campagnarde : celle-ci n'a guère évolué. On y reconnaît les mêmes types d'habitations, les mêmes charrettes ou pirogues, les mêmes instruments de culture, de chasse ou de pêche et de musique, les mêmes coutumes et métiers manuels.

B. LES CHRONIQUEURS CHINOIS
Parmi les ouvrages des chroniqueurs chinois, le plus complet et celui qui présente les meilleures qualités descriptives est celui de Tchéou Ta-Kouan
Mémoires sur les coutumes du Cambodge, Traduction de Paul Pelliot
Ecrit vers 1300 (Tcheou était au Cambodge en 1296), l'ouvrage original a été perdu mais il avait éte partiellement recopié dans des annales chinoises de 1380 qui existent encore. Une grande partie du texte originel est donc perdue à jamais. Le Tchen-la est aussi appelé Tchan-la. Le nom indigène est Kan-po Tche. La dynastie actuelle, se basant sur les livres religieux tibétains, appelle ce pays kan-p'ou-tche( (Kamboja), ce qui est phonétiquement proche de Kan-po-tche.
En s'embarquant à Wen-Tcheou( au Tchö-kiang), et en allant Sud Sud-Ouest, on passe les ports des préfectures du Fou-kien, du Kouang-tong et d'outre-mer, on franchi la mer des Sept-Iles (Ts'i-tcheou, Iles Taya), on traverse la mer d'Annam, et on arrive au Champa ( à sin-tcheou, Quinon). Puis, du Champa , par bon vent, en quinze jours environ, on arrive à Tchen-p'ou (région Cap Saint-Jacques ou Baria) : c'est la frontière du Cambodge.
Puis, de Tchen-p'ou, en se dirigeant Sud-ouest-1/6 Ouest, on franchit la mer de K'ouen-louen (= de Poulo-Condor) et on entre dans les bouches. De ces bouches il y en a plusieurs dizaines, mais on ne peut pénétrer que par la quatrième: toutes les autres sont encombrées de bancs de sable que ne peuvent franchir les gros navires. Mais, de quelque côté qu'on regarde, ce ne sont que longs rotins, vieux arbres, sables jaunes, roseaux blancs ; au premier coup d'oeil il n'est pas facile de s'y reconnaître; aussi les marins considèrent-ils comme délicate la découverte même de la bouche.
De l'embouchure, par courant favorable, on gagne au Nord, en quinze jours environ, un pays appelé Tch'a-nan,(Kômpon Chnan), qui est une des provinces du Cambodge. Puis à Tché-nan on transborde sur un bateau plus petit et , en un peu plus de dix jours, par courant favorable, en passant par le village de la mi-route et le Village du Bouddha (probablement Pôsat) et en traversant la Mer d'eau douce, on peut atteindre un lieu appelé Kan-p'ang (=kômpon, , ) à cinquante stades de la ville murée.
Selon la Description des Barbares (le Tchou-fan tche, paru en 1225), Le royaume a 7000 stades de largeur. Au Nord de ce royaume, on arrive au Champa en quinze jours de route; vers le Sud-Ouest, on est à quinze jours d'étapes du Siam; au Sud, on est à dix jours d'étapes de P'an-vu(?); à l'est, c'est l'Océan.
Ce pays a ôté depuis longtemps en relations commerciales avec nous. Quand la dynastie sainte(= la dynastie mongole) reçut l'auguste mandat du Ciel et étendit son pouvoir sur les quatre mers, et que le généralissime Sôtu eut créé (en 1281) l'administration du Champa, il envoya une fois, pour se rendre ensemble jusqu'en ce pays-ci, un centurion avec insigne au tigre et un chiliarque à tablette d'or, mais tous deux furent saisis et ne revinrent pas. A la sixième lune de l'année yi-wei de la période yuan-tcheng (14 juillet -11août 1295), le saint Fils du Ciel envoya un ambassadeur rappeller [les gens de ce pays] au devoir, et me désigna pour l'accompagner.
La deuxième lune de l'année suivante ping-chen (5 mars-2 avril 1296) nous quittions Ming-tcheou (=Ning-po), et le vingt (24 mars 1296). Nous obtîmes l'hommage et retournâmes à notre navire la sixième lune de l'an Ting-yeou de la période ta-tö (21 juin -20 juillet 1927). Le douze de la huitième lune ( 30 août 1297), nous mouillions à Sseu-ming (Nong-po). Sans doute les coutumes et les choses de ce pays n'ont pu nous être connues dans tous leurs détails; du moins avons-nous été en mesure d'en discerner les traits principaux.
1- La ville murée (Angkor Thom)
La muraille de la ville a environ vingt stades de tour. Elle a cinq portes, et chaque porte est double. Du côté de l'Est s'ouvrent deux portes; les autres côtés n'ont tous qu'une porte. A l'extérieur de la muraille est un grand fossé; à l'extérieur du fossé, les grands ponts des chaussées d'accès. De chaque côté des ponts, il y a cinquante-quatre divinités de pierre qui ont l'apparence de "généraux de pierre" : ils sont gigantesques et terribles. Les cinq portes sont semblables. Les parapets des ponts sont entièrement en pierre, taillée en forme de serpents qui ont tous neuf têtes. Les cinquante-quatre divinités retiennent toutes le serpent avec leurs mains, et ont l'air de l'empêcher de fuir. Au dessus de chaque porte de la muraille, il y a cinq grandes têtes de Bouddha en pierre, dont les visages sont tournés vers les quatre points cardinaux: au centre est placée une des cinq têtes qui est ornée d'or. (C-C : Aucune recherche n'a pu confirmer ce point). Des deux côtés des portes, on a sculpté la pierre en forme d'éléphants. La muraille est entièrement faite de blocs de pierre superposés : elle est haute d'environ deux toises. L'appareil des pierres est très serré et solide, et il ne pousse pas d'herbes folles. Il n'y a aucun créneau.
Sur le rempart, on a semé en certains endroits des arbres Kouang-lang (arbres à sagou). De distance en distance sont des chambres vides. Le côté intérieur de la muraille est comme un glacis large de plus de dix toises. Au haut de chaque glacis, il y a de grandes portes, fermées à la nuit, ouvertes au matin. Il y a également des gardiens des portes. L'entrée des portes n'est interdite qu'aux chiens. La muraille est un carré très régulier, et sur chaque côté il y a une tour de pierre. L'entrée des portes est également interdite aux criminels qui ont eu les orteils coupés.Au centre du royaume, il y a une Tour d'or (Bayon), flanquée de plus de vingt tours de pierre et de plusieurs centaines de chambres de pierre. Du côté de l'Est est un pont d'or ; deux lions d'or sont disposés à gauche et à droite du pont; huit Buddha d'or sont disposés au bas des chambres de pierre.A environ un stade au Nord de la Tour d'or, il y a une tour de bronze (Baphuon) encore plus haute que la Tour d'or et dont la vue est réellement impressionnante; au pied de la Tour de bronze, il y a également plus de dix chambres de pierre. Encore environ un stade plus au Nord, c'est l'habitation du souverain. Dans ses appartements de repos, il y a à nouveau une tour d'or. Ce sont, pensons-nous, ces monuments qui ont motivé cette louange du "Cambodge riche et noble" que les marchands d'outre-mer ont toujours répétée. La tour de pierre est à un demi-stade en dehors de la porte du Sud ; on raconte que Lou Pan (ancien artisan chinois légendaire) l'érigea en une nuit. La tombe de Lou Pan (= Angkor vat) est à environ un stade en dehors de la porte du Sud et a à peu près dix stades de tour ; il y a plusieurs centaines de chambres de pierre. Le Lac oriental est à environ dix stades à l'Est (= erreur probable, lire le lac occidental) de la ville murée, et à peu près cent stades de tour. Au milieu il ya une tour de pierre et des chambres de pierre (= le Mébon Occidental). Dans la tour est un Bouddha couché en bronze, dont le nombril laisse continuellement couler de l'eau. Le lac septentrional est à cinq stades au Nord de la ville murée. Au milieu il y a une tour d'or carrée (= Neak Pean) et plusieurs dizaines de chambres de pierre. Pour ce qui est du lion d'or, Bouddha d'or, éléphant de bronze, beuf de bronze, cheval de bronze, tout cela s'y trouve.
2- Les habitations
Le Palais Royal ainsi que les bâtiments officiels et les demeures nobles font tous face à l'Est. Le palais royal est au Nord de la Tour d'Or et du Pont d'Or ; proche de la porte (?), il a environ cinq ou six stades de tour. Les tuiles de l'appartement principal sont en plomb; sur les autres bâtiments du palais, ce sont toutes des tuiles d'argile et jaunes. Linteaux et colonnes sont énormes; sur tous, des Buddha sont sculptés et peints. Les toits (?) sont imposants. Les longues vérandas, les corridors couverts s'élancent et s'enchevêtrent, non sans quelque harmonie. Là où le souverain règle ses affaires, il y a une fenêtre en or ; à droite et à gauche du châssis, sur des piliers carrés, sont des miroirs; il y en a environ quarante à cinquante, disposés sur les côtés de la fenêtre. Le bas de la fenêtre est en forme d'éléphants. J'ai entendu dire qu'à l'intérieur du palais , il y avait beaucoup d'endroits merveilleux; mais les défenses sont très sévères, et il m'a été impossible de les voir.
Pour ce qui est de la Tour d'or à l'intérieur du palais (le Phiménéakas), le souverain va coucher la nuit à son sommet. Tous les indigènes prétendent que dans la tour il y a un génie qui est un serpent à neuf têtes, maître du sol de tout le royaume. Ce génie apparaît toutes les nuits sous la forme d'une femme. C'est avec lui que le souverain couche d'abord et s'unit. Même les épouses du roi n'oseraient entrer . Le roi sort à la deuxième veille et peut alors dormir avec ses épouses et ses concubines. Si une nuit le génie n'apparaît pas, c'est que le moment de la mort du roi barbare est venu; si le roi barbare manque une seule nuit à venir, il arrive sûrement un malheur. Les habitations des princes et des grands officiers ont une tout autre disposition et d'autres dimensions que les maisons du peuple Tous les bâtiments périphériques sont couverts de chaume, seuls le temple de famille et l'appartement principal peuvent être couverts en tuiles. Le rang officiel de chacun détermine les dimensions des demeures. Le commun du peuple ne couvre qu'en chaume, et n'oserait mettre sur sa demeure le moindre morceau de tuile. Les dimensions dépendent de la fortune de chacun, mais jamais le peuple n'oserait imiter la disposition des maisons nobles.
3- Les vêtements
Tous, à commencer par le souverain, hommes et femmes se coiffent en chignon et ont les épaules nues. Ils s'entourent simplement les reins d'un morceau d'étoffe. Quand ils sortent, ils y ajoutent une bande de grande étoffe qu'ils enroulent par-dessus la petite. Pour les étoffes, il y a beaucoup de règles, suivant le rang de chacun; Parmi les étoffes que porte le souverain, il y en a qui valent trois à quatre onces d'or ; elles sont d'une richesse et d'une finesse extrêmes. Bien que dans le pays même on tisse des étoffes, il en vient du Siam et du Champa, mais les plus estimées sont en général celles qui viennent de l'Inde, pour leur facture habile et fine.
Seul le prince peut se vêtir d'étoffes à ramages continus. Il porte un diadème d'or, semblable à ceux qui sont sur la tête des vajradhara. Parfois il ne porte pas de diadème et enroule seulement dans son chignon une guirlande de fleurs odorantes qui rappellent le jasmin. Sur le cou, il porte environ trois livres de grosses perles. Aux poignets, aux chevilles et aux doigts, il a des bracelets et des bagues d'or enchâssant tous des oeils-de-chat. Il va nu-pieds. La plante de ses pieds et la paume de ses mains sont teintes en rouge par la drogue rouge. Quand il sort, il tient à la main une épée d'or.
Dans le peuple, les femmes seules peuvent se teindre la plante des pieds et la paume des mains; les hommes n'oseraient pas. Les grands officiers, et les princes peuvent porter de l'étoffe à groupes de ramages espacés. Les simples mandarins peuvent seuls porter de l'étoffe à deux groupes de ramages. Dans le peule les femmes seules y sont autorisées. Mais même si un Chinois nouvellement arrivé porte une étoffe à deux groupes de ramages, on n'ose pas lui en faire un crime parce qu'il est ngan-ting pacha. Ngan-ting pa-cha, c'est qui ne connaît pas les règles.
4- Les fonctionnaires
Dans ce pays aussi, il y a ministres, généraux, astronomes et autres fonctionnaires, et, au-dessous d'eux, toutes espèces de petits employés ; les noms seuls diffèrent de nôtres. La plupart du temps on choisit des princes pour les emplois ; sinon, les élus offrent leurs filles comme concubines royales. Quand les fonctionnaires sortent, leurs insignes et leur suite sont réglés par leur rang. Les plus hauts dignitaires se servent d'un palanquin à brancard d'or et de quatre parasols à manche d'or; les suivants ont un palanquin à brancard d'or et un parasol à manche d'or, enfin simplement un parasol à manche d'or ; au-dessous on a simplement un parasol à manche d'argent ; il y en a aussi qui se servent de palanquin à brancard d'agent. Les fonctionnaires ayant droit au parasol d'or sont appelés pa-ting (mraten?) ou ngan-ting (amten); ceux qui ont le parasol d'argent sont appelés sseu-la-ti( ? sresthin). Tous les parasols sont fait de taffetas rouge de Chine, et leur "jupe " tombe jusqu'à terre. Les parasols huilés sont tous faits de taffetas vert, et leur "jupe " est courte.
5- Les trois religions
Les lettrés sont appelés Pan-k'i; les bonzes sont appelés tch'ou-kou; les taoïstes sont appelés passeu-wei.
Pour ce qui est des pan-k'i (pandita,=ici brahmanes), je ne sais de quel modèle ils se réclament, et ils n'ont rien qu'on puisse appeler une école ou un lieu d'enseignement. Il est également difficile de savoir quels livres ils lisent. J'ai seulement vu qu'ils s'habillent comme le commun des hommes, à l'exception d'un cordon de fil blanc qu'ils s'attachent au cou et qui est la marque distinctive des lettrés. Les pan-k'i qui entrent en charge arrivent à de hautes fonctions. Le cordon du cou ne se quitte pas de toute la vie.
Les tch'ou-kou (=iamois chao ku, " bonze") se rasent la tête, portent des vêtements jaunes, se découvrent l'épaule droite ; pour le bas du corps, ils se nouent une jupe d'étoffe jaune, et vont nu-pieds. Leurs temples peuvent être couverts en tuiles. L'intérieur ne contient qu'une image, tout à fait semblable au Buddha Sakyamuni, et qu'ils appellent Po-lai (=Prah ). Elle est vêtue de rouge. Modelée en argile, on la peint en diverses couleurs; il n'y a pas d'autre image que celle-là. Les Buddha des tours sont tous différents; ils sont tous fondus en bronze. Il n'y a ni cloche ni tambours, ni cymbales, ni bannières, ni dais, et... Les bonzes mangent tous du poisson et de la viande, mais ne boivent pas de vin. Dans leur offrandes au Buddha, ils emploient aussi le poisson et la viande. Ils font un repas par jour, qu'ils vont prendre dans la famille d'un donateur ; dans les temples , il n'y a pas de cuisines. Les livres saints qu'ils récitent sont très nombreux; tous se composent de feuilles de palmier entassées très régulièrement. Sur ces feuilles, les bonzes écrivent des caractères noirs, mais comme il n'emploient ni pinceau ni encre, je ne sais avec quoi ils écrivent. Certains bonzes ont aussi droit au brancard de palanquin et au manche de parasol en or ou en argent ; le roi les consulte dans les affaires graves. Il n'y a pas de nonnes bouddhistes
Les Pa-sseu-wei [ tapasvi] s'habillent absolument comme le commun des hommes, sauf que sur la tête ils portent une étoffe rouge ou une étoffe blanche, à la façon du Kou-kou (? Kükül) des dames mongoles, mais un peu plus bas. Ils ont aussi des monastères, mais plus petits que les temples bouddhistes; c'est que les taoïstes n'arrivent pas à la prospérité de la religion des bonzes. Ils ne rendent de culte à aucune autre image qu'un bloc de pierre (= le linga) analogue à la pierre de l'autel du dieu du sol en Chine. Pour eux non plus je ne sais de quel modèle ils se réclament. Il y a des nonnes taoïstes. Les temples taoïques peuvent être couverts en tuiles. Les pa-sseu-wei ne partagent par la nourriture d'autrui, ni ne mangent en public. Ils ne boivent pas non plus de vin. Je n'ai pas été témoin de leurs récitations de livres saints, ni de leurs actes méritoires pour autrui.
Ceux des enfants des laïcs qui vont à l'école s'attachent à des bonzes qui les instruisent . Devenus grands, ils retournent à la vie laïque. Je n'ai pu tout examiner en détail.
6- Les habitants
Les habitants ne connaissent que les coutumes des barbares du Sud. Physiquement ils sont grossiers et laids, et très noirs. Ce n'est pas le cas seulement(?) de ceux qui habitent les recoins isolés des îles de la mer, mais pour ceux mêmes des agglomérations courantes il en est sûrement ainsi. Quant aux dames du palais et aux femmes des maisons nobles (nan-p'ong), s'il y en a beaucoup de blanches comme le jade, c'est parce qu'îles ne voient pas les rayons du soleil. En général, les femmes, comme les hommes, ne portent qu'un morceau d'étoffe qui leur ceint les reins, laissent découverte leur poitrine d'une blancheur de lait, se font un chignon et vont nu-pieds ; il en est ainsi même pour les épouses du souverain; Le souverain a cinq épouses, une de l'appartement principal, et quatre pour les quatre points cardinaux. Quant aux concubines et filles du palais, j'ai entendu parler d'un chiffre de trois mille à cinq mille, qui sont elles aussi divisées en plusieurs classes; elles franchissent rarement leur seuil.
Pour moi, chaque fois que je pénétrai au palais pour voir le souverain, celui-ci sortait toujours avec sa première épouse et s'asseyait dans l'encadrement de la fenêtre d'or de l'appartement principal. Les dames du palais étaient toutes rangées en ordre des deux côtés de la véranda en dessous de la fenêtre, mais changeaient de place et s'appuyaient [à la fenêtre] pour jeter un regard [sur nous] ; je pus ainsi les très bien voir.Quand dans une famille il y a une belle fille, on ne manque pas à la mander au palais. Au-dessous sont les femmes qui font le service de va-et-vient pour le palais; on les appelle tch'en'kialan (seeinka skr. Srengara); il n'y en a pas moins d'un ou deux mille. Toutes sont mariées et vivent au milieu du peuple un peu partout. Mais sur le haut du front elles se rasent les cheveux à la façon dont les gens du Nord "ouvrent le chemin de l'eau". Elles marquent cette place de vermillon, ainsi que les deux côtés des tempes; c'est là le signe distinctif des tch'en-kialan. Ces femmes peuvent seules entrer au palais; toutes les personnes au-dessous d'elles ne le peuvent pas. [Les tch'en-kialan] se succèdent sans interruption sur les routes en avant et en arrière du palais.
Les femmes du commun se coiffent en chignon, mais n'ont ni épingle de tête ni peigne, ni aucun ornement de tête. Aux bras elles ont des bracelets d'or, aux doigts des bagues d'or; même les tch'en-kia-lan et les dames du palais en portent toutes; Hommes et femmes s'oignent toujours de parfums composés de santal, de musc et d'autres essences. Toutes les familles pratiquent le culte du Buddha. Dans ce pays il y a beaucoup de mignons qui tous les jours vont en groupe de dix et plus sur la place du marché. Constamment ils cherchent à attirer les Chinois, contre de riches cadeaux. C'est hideux, c'est indigne.
7- Les accouchements
Sitôt accouchée, la femme indigène prépare du riz chaud, le malaxe avec du sel et se l'applique aux parties sexuelles. Après un jour et une nuit elle l'enlève. Par là l'accouchement n'a pas de suites fâcheuses, et il se produit un resserrement qui laisse l'accouchée comme une jeune fille. Quand je l'entendis dire pour la première fois, je m'en étonnai et ne le crus guère. Mais, dans la famille où je logeais, une fille mit au monde un enfant, et je pus ainsi me renseigner complètement : le lendemain, portant son enfant dans les bras, elle allait avec lui se baigner dans le fleuve; c'est réellement extraordinaire.
Toutes les personnes que j'ai vues disent en outre que les femmes indigènes sont très lascives. Un ou deux jours après l'accouchement, elles s'unissent à leur mari. Si le mari ne répond pas à leurs désirs, il est abandonné comme [|Tchou] Mai-tch'en (mort en 116 av.J.-C.). Si le mari se trouve appelé par quelque affaire lointaine, cela va bien pour quelques nuits. Mais, passé une dizaine de nuits, sa femme ne manque pas de dire: "Je ne suis pas un esprit ; comment pourrais-je dormir seule?" Leurs instincts licencieux sont très ardents; toutefois j'ai aussi entendu dire que certaines gardaient leur foi; Les femmes vieillissent très vite, sans doute à cause de leur mariage et de leurs accouchements trop précoces. A vingt ou trente ans, elles ressemblent à des Chinoises de quarante ou cinquante.
8- Les jeunes filles
Quand dans une famille il naît une fille, le père et la mère ne manquent pas d'émettre pour elle ce voeu : "Puisses-tu d'ans l'avenir devenir la femme de cent et de mille maris!". Entre sept et neuf ans pour les filles de maisons riches, et seulement à onze ans pour les très pauvres, on charge un prêtre bouddhiste, taoïste de les déflorer. C'est ce qu'on appelle tchen-t'an. Chaque année, les autorités choisissent un jour dans le mois qui correspond à la quatrième lune chinoise, et le font savoir dans tout le pays. Toute famille où une fille doit subir le tchen-t'an en avertit d'avance les autorités, et les autorités lui remettent d'avance un cierge auquel on a fait une marque. Au jour dit, quand la nuit tombe, on allume le cierge et, quand il a brûlé jusqu'à la marque, le moment du tchen-t'a est venu. Un mois avant la date fixée, ou quinze jours, ou dix jours, le père et la mère choisissent un prêtre bouddhiste ou taoïste, suivant le lieu où ils habitent. Le plus souvent, temples bouddhiques et taoïques ont aussi chacun leur clientèle propre. Les bonzes excellents qui suivent la voie supérieure sont tous pris à l'avance par les familles mandarinales et les maisons riches; quant aux pauvres, ils n'ont même pas le loisir du choix. Les familles mandarinales ou riches font au prêtre des cadeaux en vin, riz, soieries, arec, objets d'argent, qui atteignent jusqu'à cent piculs, et valent de deux à trois cents onces d'argent chinois. Les cadeaux moindres ont de tentre à quarante, ou de dix à vingt piculs; c'est suivant la fortune des gens.
Si les filles pauvres arrivent jusqu'à onze ans pour accomplir la cérémonie, c'est qu'il leur est difficile de pourvoir à tout cela. Il y a aussi des gens qui donnent de l'argent pour le Tchen-t'an des filles pauvres, et on appelle cela "faire une bonne oeuvre". Un bonze ne peut en effet s'approcher que d'une fille par an, et quand il a consenti à recevoir l'argent, il ne peut s'engager vis-à -vis d'une autre. Cette nuit-là on organise un grand banquet, avec musique. A ce moment, parents et voisins assemblent en dehors de la porte une estrade élevée sur laquelle il disposent des hommes et des animaux d'argile, tantôt plus de dix, tantôt trois ou quatre. Les pauvres n'en mettent pas. Le tout est d'après des sujets anciens, et ne s'enlève qu'après sept jours. Le soir venu, avec palanquins, parasols et musique, on va chercher le prêtre et on le ramène. Avec des soieries de diverses couleurs on construit deux pavillons ; dans l'un on fait asseoir la jeune fille; dans l'autre s'assied le prêtre. On ne peut saisir ce que leur bouche se disent; le bruit de la musique est assourdissant et cette nuit-là il n'est pas défendu de troubler la nuit. J'ai entendu dire que, le moment venu, le prêtre entre dans l'appartement de la jeune fille; il la déflore avec la main et recueille ses prémices dans du vin. On dit aussi que le père et la mère, les parents et les voisins s'en marquent tous le front, ou encore qu'ils les goûtent. D'aucuns prétendent aussi que le prêtre s'unit réellement à la jeune fille; d'autres le nient. Comme on ne permet pas aux Chinois d'être témoins de ces choses, on ne peut savoir l'exacte vérité. Quand le jour va poindre, on reconduit le prêtre avec palanquins, parasols et musique. Il faut ensuite racheter la jeune fille au prêtre par des présents d'étoffes et de soieries; Sinon elle serait à jamais sa propriété et ne pourrait épouser personne d'autre. Ce que j'ai vu s'est passé la sixième nuit de quatrième lune de l'année Ting-yeou de la période ta-työ (28 avril 1297). Avant cette cérémonie, le père, mère et filles dormaient dans une même pièce; désormais, la fille est exclue de l'appartement et va où elle veut, sans plus de contrainte ni de surveillance. Quand au mariage, bien que la coutume existe de faire les présents d'étoffes, c'est là une formalité sans importance. Beaucoup ont d'abord des rapports illicites avec celle qu'ils épousent ensuite; leurs coutumes n'ont font pas un sujet de honte, non plus que l'étonnement. La nuit du Tche-t'an il y a parfois dans une seule rue plus de dix familles qui accomplissent la cérémonie; dans la ville, ceux qui vont au-devant des bonzes ou des taoïstes se croisent par les rues, il n'est pas d'endroit où l'on n'entende les sons de la musique.
9- Les esclaves
Comme esclave, on achète des sauvages qui font ce service. Ceux qui en ont beaucoup en ont plus de cent; ceux qui en ont peu en ont de dix à vingt; seuls les très pauvres n'en ont pas du tout. Les sauvages sont des hommes des solitudes montagneuses. Ils forment une race à part qu'on appelle les brigands "Tchouang" (les Tchong). Amenés dans la ville, ils n'osent pas aller et venir hors des maisons. En ville, si autour d'une dispute on appelle son adversaire "tchouang", il sent la haine lui entrer jusqu'à la moelle des os, tant ces gens sont méprisés des autres hommes. Jeunes et forts, ils valent la pièce une centaine de bandes d'étoffe ; vieux et faibles, on peut les avoir pour trente à quarante bandes. Ils ne peuvent s'asseoir et se coucher que sous l'étage. Pour le service ils peuvent monter à l'étage, mais alors ils doivent s'agenouiller, joindre les mains, se prosterner ; après cela seulement ils peuvent s'avancer. Ils appellent leur maître Pa-t'o (patau) et leur maîtresse mi (mi, mé); pa-t'o signifie père, et mi mère. S'ils ont commis une faute et qu'on les batte, ils courbent la tête et reçoivent la bastonnade sans oser faire le moindre mouvement.
Mâles et femelles s'accouplent entre eux, mais jamais le maître ne voudrait avoir de relations sexuelles avec eux. Si d'aventure un Chinois arrivé là-bas, et après son long célibat, a par mégarde une fois commerce avec quelqu'une de ces femmes et que la maître l'apprenne, celui-ci refuse le jour suivant de s'asseoir avec lui, parce qu'il a eu commerce avec une sauvage. Si l'une d'elles devient enceinte des oeuvres de quelqu'un d'étranger à la maison et met au monde un enfant, le maître ne s'inquiète pas de savoir qui est le père, puisque la mère n'a pas de rang civil et que lui-même a profit à ce qu'il ait des enfants; ce sont encore des esclaves pour l'avenir.
10- Le langage
Ce pays a une langue spéciale. Bien que les sons soient voisins des leurs, les gens du Champa et du Siam ne le comprennent pas. Un se dit mei (muï); deux, pie (pi); tois pei (baï); quatre, pan (boun); cinq; po-lan (pram) ; six po-lan-mei ( pram muï) ; sept, po-lan -pie (pram pir) ; huit, prolan-pei; (pram bei); neuf, p-lan -pan (pram buon); dix, ta (dop); père, pa-t'o (patau); oncle paternel aussi pa-t'o; mère, mi (mi,mé); tante paternelle ou maternelle et jusqu'aux voisines d'âge respectable; au mi; frère aîné, pang (ban) ; soeur aînée, également pang; frère cadet, pou-wen (phaon); oncle maternel, k'i-lai (khlai): mari de la tante paternelle aussi k'i-lai. D'une façon générale, ces gens renversent l'ordre des mots. Ainsi, là où nous disons: cet homme-ci est de Tchan san le frère cadet, ils diront "pou-wen Tchang San": cet homme-là est de Li Sseu l'oncle maternel, ils diront "Pei-che": un mandarin, pa-ting; un lettré, pan-k'i. Or, pour dire "un mandarin chinois", ils ne diront pas pei-che pa-ting, mais pa-ting pei-che; pour dire "un lettré chinois" ils ne diront pas pei-che pan-k'i, mais pan k'i pei-che; il en est ainsi généralement; Voilà les grandes lignes.
En outre, les mandarins ont leur style mandarinal de délibérations; les lettrés ont leurs conversations soignées de lettrés ; les bonzes et les taoïstes ont leur langage de bonzes et de taoïstes ; les parlers des villes et des villages différent. C'est absolument le même cas qu'en Chine.
11- L'écriture
Les écrits ordinaires tout comme les documents officiels s'écrivent toujours sur des peaux de cerfs ou daims et matériaux analogues, qu'on teint en noir. Suivant leurs dimensions en long et en large, chacun les coupe à sa fantaisie. Les gens emploient une sorte de poudre qui ressemble à la craie de Chine, et la façonnent en bâtonnets appelés so (siamois=sô)
Tenant en main le bâtonnet, ils écrivent sur les morceaux de peaux des caractères qui ne s'effacent pas. Quand ils ont fini, ils se placent le bâtonnet sur l'oreille. Les caractères permettent chez eux aussi de reconnaître qui a écrit. Si on frotte sur quelque chose d'humide, ils s'effacent. En gros, les caractères ressemblent absolument à ceux des Ouigoours. Tous les documents s'écrivent de gauche à droite et non pas de haut en bas. J'ai entendu dire à Asän-qaya que leurs lettres se prononçaient presque absolument comme celles des Mongols; deux ou trois seulement ne concordent pas. Ils n'ont aucun sceau. Pour les pétitions, il y a aussi des boutiques d'écrivains où on les écrit.
12- Le jour de l'an et les saisons
Ces gens font toujours de la dixième lune chinoise leur premier mois. Ce mois-là s'appelle Kia-tö (katik skr. Karttika). En avant du palais royal, on assemble une grande estrade pouvant contenir plus de mille personnes, et on la garnit entièrement de lanternes et de fleurs; En face, à une distance de vingt toises, au moyen de [pièces de] bois mises bout à bout, on assemble une haute estrade, de même forme que les échafaudages pour la construction des stupa, et haute de plus de vingt toises. Chaque nuit on en construit trois ou quatre, ou cinq ou six. Au sommet on place des fusées et des pétards. Ces dépenses sont supportées par les provinces et les maisons nobles. La nuit tombée, on prie le souverain de venir assister au spectacle. On fait partir les fusées et on allume les pétards. Les fusées se voient à plus de cent stades; les pétards sont gros comme des pierriers, et leur explosion ébranle toute la ville.
Mandarins et nobles contribuent avec des cierges et de l'arec: leurs dépenses sont considérables. Le souverain invite aussi au spectacle les ambassadeurs étrangers. Il en est ainsi pendant quinze jours, et puis tout cesse. Chaque mois il y a une fête. Au quatrième mois "on jette la balle". Au neuvième, c'est le ya-lie (rap riep, "énumérer, recenser" : le ya-lie consiste à rassembler dans la ville la population de tout le royaume et à la passer en revue devant le palais royal. Le cinquième mois, on va "chercher l'eau des bouddha" ; on rassemble les Bouddha de tous les points du royaume, on apporte de l'eau(?) et, en compagnie du souverain, on les lave(?). [le sixième mois?] on fait naviguer les bateaux sur la terre ferme : le prince monte à un belvédère pour assister à la fête. Au septième mois, on brûle le riz. A ce moment le nouveau riz est mur; on va le chercher en dehors de la porte du Sud , et on le brûle comme offrande au bouddha. D'innombrables femmes vont en char ou à éléphant assister à cette cérémonie, mais le souverain reste chez lui. Le huitième mois, il y a le ngai-lan; ngai-lan(ram) c'est danser. On désigne des acteurs et musiciens qui chaque jour viennent au palais royal faire le ngai-lan; il y a en outre des combats de porcs et d'éléphants. Le souverain invite également les ambassadeurs étrangers à y assister. Il en est ainsi pendant dix jours. Je ne suis pas en mesure de rappeler exactement ce qui concerne les autres mois.Dans ce pays, il y a comme chez nous de gens qui entendent l'astronomie et peuvent calculer les éclipses du soleil et de la lune. Mais pour les mois longs et courts ils ont un système très différent du nôtre. Aux années, eux aussi sont obligés d'avoir un mois intercalaire, mais ils n'intercalent que le neuvième mois, ce que je ne comprends pas du tout. Chaque nuit se divise en cinq (?) veilles seulement. Sept jours font un cycle; c'est analogue à ce qu'on appelle en Chine K'i pi kien tch'ou. Comme ces barbares n'ont "ni nom de famille, ni nom personnel", ils ne tiennent pas compte du jour de leur naissance, on fait pour beaucoup d'entre eux un "nom personnel" avec le jour [de la semaine] où ils sont nés. Il y a deux jours de la semaine très fastes, trois jours indifférents, deux jours tout à fait néfastes. Tel jour on peut aller vers l'Est, tel jour on peut aller vers l'Ouest. Même les femmes savent faire ces calculs. Les douze animaux du cycle correspondent également à ceux de Chine, mais les noms sont diffèrents. C'est ainsi que le cheval est appelé pou-si (sèh); le nom du coq esy man (ma¨n); le nom du porc est che-lou (cruk); le boeuf est appelé ko (ko),etc.
13- La justice
Les contestation du peuple, même insignifiantes, vont toujours jusqu'au souverain. On ne connaît aucunement la peine [de la bastonnade] avec le bambou léger ou lourd, et on condamne seulement, m'a-t-on dit, à des amendes pécuniaires. Dans les cas particulièrement graves, il n'y a pas non plus de strangulation ou de décapitation, mais, en dehors de la porte de l'Ouest, on creuse une fosse où on met le criminel on la remplit ensuite de terre et de pierre qu'on tasse bien: et tout est fini. Pour des cas moindres, il y a l'ablation des doigts des pieds et des mains, ou l'amputation du nez. Toutefois il n'y a pas de prescription contre l'adultère et le jeu. Si le mari d'une femme adultère se trouve mis au courant, il serre entre deux éclisses les pieds de l'amant qui ne peut supporter cette douleur, lui abandonne tout son bien, et alors recouvre sa liberté. Il y a aussi [comme chez nous] de gens qui montent des coups pour escroquer.
Si quelqu'un trouve un mort à la porte de sa maison, il le traîne lui-même avec des cordes en dehors de la ville dans quelque terrain vague; mais rien n'existe de ce que nous appelons une "enquête complète". Quand des gens saisissent un voleur, on peut lui appliquer le châtiment de l'emprisonnement et de la mise à la question. On recourt aussi à un procédé remarquable. Si quelqu'un perd un objet et soupçonne d'être son voleur quelque autre qui s'en défend, on fait bouillir de l'huile dans une marmite, et on oblige la personne soupçonnée à y plonger la main. Si elle est réellement coupable, sa main est en lambeaux, sinon, peau et chair sont comme avant.
14- Les maladies et la lèpre
Les gens de ce pays guérissent spontanément beaucoup de leurs maladies courantes en allant se plonge dans l'eau et en se lavant la tête de façon répétée. Toutefois il y a beaucoup de lépreux de distance en distance sur les routes. Même quand ceux-ci[viennent] coucher avec eux, manger avec eux, les indigènes ne s'y opposent pas. D'aucuns disent que c'est là une maladie due aux conditions climatiques du pays. Il y a eu un souverain qui a attrapé cette maladie ; c'est pourquoi les gens ne la considèrent pas avec mépris. A mon humble avis, on attrape en règle générale cette maladie si, immédiatement après la jouissance sexuelle, on entre dans l'eau pour se baigner ; et j'ai entendu dire que les indigènes, à peine leurs désirs satisfaits, entrent toujours dans l'eau pour se baigner. De leurs dysentériques, il meurt huit à neuf sur dix. On vend comme chez nous des drogues sur le marché, mais très différentes de celles de Chine, et que je ne connais pas du tout. Il y a aussi une espèce de sorciers qui exercent leurs pratiques sur les gens; c'est tout à fait ridicule.
15- Les morts
Pour les morts, il n'y a pas de cercueils; on ne se sert que d'espèces de nattes, et on les recouvre d'une étoffe. Dans le cortège funéraire, ces gens aussi emploient en tête drapeaux, bannières et musique. En outre ils prennent deux plateaux de riz grillé et le jettent à la volée au alentours de la route. Ils portent le corps hors de la ville, jusqu'en quelque endroit écarté et inhabité, l'abandonnent et s'en vont. Ils attendent que les vautours, les chiens et autres animaux le viennent dévorer.
Si le tout est achevé vivement, ils disent que leur père, leur mère avaient des mérites et ont par suite obtenu cette récompense; si le corps n'est pas mangé, ou n'est mangé que partiellement, ils disent que leur père, leur mère ont amené ce résultat par quelque faute.Maintenant il y a aussi peu à peu des gens qui brûlent leurs morts ce sont pour la plupart des descendants de Chinois. Lors de la mort de leur père de leur mère, les enfants ne mettent pas de vêtements de deuil, mais les fils se rasent la tête et les filles se coupent les cheveux en haut du front, grand comme une sapèque, c'est là leur deuil filial. Les souverains eux, sont enterrés dans des tours, mais je ne sais si on enterre leurs corps ou si on enterre leurs os.
16- Agriculture
En général, on peut faire trois à quatre récoltes par an ; c'est que toute l'année ressemble à nos cinquième et sixième lunes et qu'on ne connaît ni givre ni neige. En ce pays il pleut la moitié de l'année, l'autre moitié de l'année, il ne pleut pas du tout. De la quatrième à la neuvième lune, il pleut tous les jours l'après-midi. Le niveau des eaux du Grand Lac peut [alors] s'élever à sept ou huit toises. Les grands arbres sont noyés ; à peine leur cime dépasse. Les gens qui habitent au bord de l'eau se retirent tous dans la montagne. Ensuite, de la dixième lune à la troisième lune [de l'année suivante] il ne tombe pas une goutte d'eau. Le Grand Lac n'est alors navigable qu'aux petites barques ; aux endroits profonds, il n'a pas plus de trois à cinq pieds d'eau. Les gens redescendent alors. Les cultivateurs tiennent compte du temps où le riz est mûr et des endroits où la crue peut atteindre à ce moment-là, et sèment en conséquence selon les lieux. Pour labourer, ils n'emploient pas de boeufs. Leurs charrues, faucilles et houes, tout en ayant quelque analogie de principe avec les nôtres, sont de construction tout à fait différente.Il y a en outre une espèce de champs naturels où le riz pousse toujours sans qu'on le sème; quand l'eau monte jusqu'à une toise, le riz aussi croit d'autant; je pense que c'est là une espèce spéciale. Toutefois, pour fumer les champs et cultiver les légumes, ces gens ne font aucun usage de fumier, qui leur répugne comme impur.Les Chinois qui sont là-bas ne leur parlent jamais des épandages de fumier en Chine, de peur d'exciter leur mépris. Par deux ou trois familles, les gens creusent une fosse qu'ils recouvrent d'herbe(?) quand elle est pleine, ils la comblent et en creusent une autre ailleurs.Après être allés aux lieux, ils entrent toujours dans le bassin pour se laver, mais n'y emploient que la main gauche; la main droite est réservée pour prendre la nourriture Quand ils voient un Chinois se rendre au lieux et s'essuyer avec du papier, ils le raillent et vont jusqu'à désirer qu'il ne passe pas leur seuil. Parmi les femmes, il y en a qui urinent debout ; c'est vraiment ridicule.
17- La configuration du pays
Depuis l'entrée de Tchen-p'ou, ce sont presque partout les épais fourrés de la forêt basse ; les larges estuaires du Grand fleuve s'étendent sur les centaines de stades ; les ombrages profonds des vieux arbres et des longs rotins font des couverts luxuriants. Les cris des oiseaux et des animaux s'y croisent partout. Arrivé à mi-route dans l'estuaire, on aperçoit pour la première fois la campagne inculte, sans un pouce de bois. Aussi loin qu'on regarde, ce n'est que millet [sauvage] abondant. Par centaines et par milliers, les buffles sauvages s'assemblent en troupes dans cette région. Il y a ensuite des pentes couvertes de bambou qui s'étendent elles aussi sur plusieurs centaines de stades. Aux noeuds de ces bambous, il pousse des épines, et les pousses ont un gout très amer. Des quatre cotés, il y a des hautes montagnes.
18- Les productions
Dans les montagnes, il y a beaucoup de bois rares. Les endroits où il n'y a pas de bois sont ceux où rhinocéros et éléphants s'assemblent et se reproduisent. Les oiseaux précieux, les animaux étranges sont innombrables; Les produits de valeur sont les plumes de martin-pêcheur, les défenses d'éléphant, les cornes de rhinocéros, la cire d'abeille. Comme produits ordinaires, il y a le laka-wood, le cardamome, la gomme-gutte, la gomme-laque, l'huile de chaulmoogra.
Le martin-pêcheur est fort difficile à prendre. Dans les forêts épaisse il y a des étangs, et dans les étangs des poissons. Le martin-pêcheur vole hors de la forêt pour chercher des poissons. Le corps caché sous des feuilles, l'indigène est tapi au bord de l'eau. Il a dans une cage une femelle comme appât, et tient à la main un petit filet. Il épié la venue de l'oiseau, et le prend sous le filet. Certains jours il en prend trois ou cinq, parfois pas un de toute la journée.
Ce sont les habitants des montagnes reculées qui ont les défenses d'éléphants. Pour chaque éléphant mort on a deux défenses. On racontait autrefois que l'éléphant renouvelait ses défenses une fois par an, mais cela n'est pas. Les défenses provenant d'un animal tué à la lance sont les meilleures. Viennent ensuite celles qu'on trouve peu après que l'animal est mort de mort naturelle. Les moins estimées sont celles qu'on trouve dans la montagne bien des années après la mort.
Le cire d'abeille se trouve dans les arbres pourris des villages. Elle est produite par une espèce d'abeille au corselet fin comme celui des fourmis. Les indigènes la leur prennent. Chaque bateau peut en recevoir deux à trois mille rayons; un gros rayon pèse de trente à quarante livres; un petit, pas moins de dix-huit à dix-neuf livres.
La corne de rhinocéros blanche et veinée est la plus estimée; la noire est inférieure. Le laka-wood vient dans les forêts épaisses. Les indigènes se donnent beaucoup de mal pour le couper; c'est que c'est là le coeur d'un arbre, et autour il y a jusqu'à huit et neuf pouces d'aubier; les petits arbres en ont au moins quatre à cinq pouces. Tout le cardamome est cultivé dans la montagne par les sauvages. La gomme-gutte est la résine d'un arbre spécial. Les indigènes incisent l'arbre un an à l'avance, laissant suinter la résine, et ne la recueillent que l'année suivante. La gomme-laque pousse dans les branches d'un arbre spécial, et a absolument la forme de l'épiphyte du mûrier. Il est aussi fort difficile de se la procurer. L'huile de chaulpoogra provient des graines d'un grand arbre. Le fruit ressemble à un coco, mais est rond: il contient plusieurs dizaines de graines. Le poivre se trouve aussi parfois. Il pousse enroulé autour des rotins, et s'attache comme le l-ts'ao-tseu (houblon?). Celui qui est frais et vert-bleu est le plus amer.
19- Le commerce
Dans ce pays ce sont les femmes qui s'entendent au commerce. Aussi, si un Chinois en arrivant là-bas commence toujours par prendre femme, c'est qu'il profite en outre des aptitudes commerciales de celle-ci. Chaque jour se tient un marché qui commence à six heures et finit à midi. Il n'y a pas [à ce marché] de boutiques où les gens habitent, mais ils se servent d'une espèce de natte qu'ils étendent à terre. Chacun a son emplacement. J'ai entendu dire qu'on payait aux autorités la location de la place. Dans les petites transactions, on paie en riz, céréales et objets chinois ; viennent ensuite les étoffes ; pour ce qui est des grandes transactions, on se sert d'or et d'argent.
D'une façon générale les gens de ce pays sont extrêmement simples. Quand ils voient un Chinois, ils lui témoignent beaucoup de crainte respectueuse et l'appellent "Buddha". En l'apercevant, ils se jettent à terre et se prosternent. Depuis quelque temps, il y en a aussi certains qui trompent les Chinois et leur font tort. Cela tient au grand nombre de ceux qui y sont allés.
20- Les marchandises chinoises qu'on désire
Ce pays ne produit, je crois, ni or ni argent; ce qu'on y estime le plus est l'or et l'argent chinois, et ensuit les soieries bigarrées légères à double fil. Après quoi viennent les étains de Tchen-cheou, les plateaux laqués de Wen-tcheou, les porcelaines vertes (=céladons=) de Ts'iuan-tcheou, le mercure, le vermillon, le papier, le soufre, le salpêtre, le santal, la racine d'angélique, le musc, la toile de chanvre, la toile de houang-ts'ao, les parapluies, les marmites de fer, les plateaux de cuivre, les perles d'eau douce(?), l'huile d'abrasin, les nasses de bambou(?), les vans, les peignes de bois, les aiguilles. Comme produits plus communs et lourds, il y a par exemple les nattes de Ming-tcheou (Ning-po). Ce que ces gens désirent vivement obtenir, ce sont des fèves et du blé, mais l'exportation [de Chine] en est interdite.
21- La flore
Seuls la grenade, la canne à sucre, les fleurs et racines de lotus, le carambolier, la banane et le coniosélin(?) sont identiques à ceux de Chine. Le letchi et l'orange sont de même forme [que chez nous], mais acides. Tous les autres [fruits] n'ont jamais été vus en Chine. Les arbres aussi sont très différents. Les plantes florales sont en nombre encore plus grand, et de plus ont à la fois parfum et beauté. Les fleurs aquatiques sont d'espèces encore plus nombreuses, mais j'ignore leur noms. Quant aux pêchers, pruniers communs, abricotiers, pruniers mume, pins, cyprès, sapins, genévriers, poiriers, jujubiers, peupliers, saules, canneliers, orchidées, chrysanthèmes, etc..., ils n'en ont pas. Dans ce pays, il y a déjà à la première lune [chinoise] des fleurs de lotus.
22- Les oiseaux
Parmi leurs oiseaux, le paon, le martin-pêcheur, le perroquet n'existent pas en Chine. Pour le reste, ils ont [comme nous] vautours, corbeaux, aigrettes, moineaux, cormorans, cigognes, grues, canards sauvages, serins(?), etc...; mais il leur manque la pie, l'oie sauvage, le loriot, l'engoulevent, l'hirondelle, le pigeon.
23- Les quadrupèdes
Parmi leurs quadrupèdes, le rhinocéros, l'éléphant, le buffle sauvage et le cheval de montagne n'existe pas en Chine. Il y a en grande abondance tigres, panthères, ours, sangliers, cerfs, daims, gibbons, renards, etc... Ce qui manque, c'est le lion, le sing-sing, le chameau. Il va sans dire qu'on a en ce pays poules, canards, boeufs, chevaux, porcs, moutons. Les chevaux sont très petit. Les beufs abondent. Les gens montent les boeufs vivants, mais morts il n'osent ni les manger, ni les écorcher ; ils attendent qu'ils pourrissent, pour cette raison que ces animaux ont dépensé leurs forces au service de l'homme. Ils ne font que les atteler aux charrettes. Jadis il n'y avait pas d'oies; depuis peu des marins en ont apporté de Chine; aussi ont-ils cet animal. Ils ont des rats gros comme des chats, et aussi une espèce de rats dont la tête ressemble absolument à celle d'un tout jeune chien.
24- Les légumes
Comme légumes, ils ont les oignons, la moutarde, le poireau, l'aubergine, la pastèque, le citrouille; le concombre, l'ansérine(?): ils n'ont pas la rave, la laitue, la chicorée, l'épinard. Dès la première lune on a cucurbitacées et aubergines; il y a des plants d'aubergines qui ne s'arrachent pas de plusieurs années. Les arbres à coton peuvent dépasser en hauteur les maisons ; il y en a qui ne se remplacent pas pendant plus de dix ans. Beaucoup de légumes existent dont j'ignore le nom; les légumes aquatiques sont également très nombreux.
25- Les poissons et reptiles

Parmi les poissons et tortues, c'est la carpe noire qui est la plus abondante ; très nombreux sont ensuite les carpes ordinaires, les carpes bâtardes, la tanche. Il y des goujons(?), dont les gros pèsent deux livres et plus. Nombre de poissons existent dont j'ignore le nom. Tous les poissons ci-dessus viennent dans le Grand Lac. Quant aux poissons de mer, il y en a de toutes espèces, des anguilles, des congres de lac(?). Les indigènes ne mangent pas de grenouilles; aussi à la nuit pullulent -elles sur les routes. Tortues de mer et alligators(?) se mangent. Les crevettes de Tch'a-nan pèsent une livre et plus. Les pattes de tortue de Tche pou ont jusqu'à huit et neuf pouces. Il y a des crocodiles gros comme des barques, qui ont quatre pattes et ressemblent tout à fait au dragon, sauf qu'ils n'ont pas de cornes; leur ventre est très croustillant. Dans le grand Lac, on peut ramasser à la main bivalves et gastéropodes. On ne voit pas de crabes; je pense qu'il y en a également, mais que les gens ne les mangent pas.
26- Les boissons fermentées
Ces gens ont quatre classes de vins. La première est appelée par les Chinois "vin de miel" ; on la prépare au moyen d'une drogue à fermentation, et en mêlant du miel et de l'eau par moitié. La classe qui vient ensuite est appelée par les indigènes p'ong-ya-sseu; on l'obtient avec des feuilles d'arbre; p'ong-ya-sseu est le nom des feuilles d'un certain arbre. Encore au-dessous est le vin fait de riz cru ou de restes de riz cuit, et qu'on appelle pao-leng-kio; pao-leng -kio ( ranko>anka) signifie "riz". En dernier lieu vient le vin de sucre; on le fait avec du sucre.
En outre, quand on pénètre dans l'estuaire, on a encore le long de la rivière du vin de suc de kiao (vin de kajang?) ; il y a en effet une espèce de feuilles de kiao qui pousse au bord de la rivière, et son suc peut donner du vin par fermentation.
27- Le sel, le vinaigre, le soy.
Dans ce pays, l'exploitation de salines n'est soumise à aucune restriction. Tout le long de la côte, à partir de tchen-p'ou et Pa kien, on obtient le sel par cuisson de l'eau de mer. Dans les montagnes il y a aussi un minéral dont la saveur l'emporte sur celle du sel; on peut le tailler et en faire des objets.
Les indigènes ne savent pas faire de vinaigre. S'ils désirent rendre une sauce acide, ils y ajoutent des feuilles de l'arbre hien-p'ing (? Ampil). Si l'arbre bourgeonne, ils emploient les bourgeons; si l'arbre est en graines, ils emploient les graines.
Ils ne savent pas non plus préparer le soy, faute d'orge et de haricots. Ils ne fabriquent pas de levure de grains. Quand ils font du vin avec du miel, de l'eau et des feuilles d'herbe, c'est d'une mère de vin qu'ils se servent, ressemblant à la mère de vin blanche de nos villages.
28- Les vers à soie et le mûrier
Les indigènes ne s'adonnent pas à [l'élève des] vers à soie ni à [la culture du] mûrier, et leurs femmes n'entendent également rien aux travaux de l'aiguille et du fil, de la couture et du reprisage.
Ils savent juste tisser des étoffes avec le [coton de] l'arbre à coton; encore ne savent-ils pas filer au rouet, et font-ils leur fil à la main. Ils n'ont pas de métier pour tisser; ils se contentent d'attacher une extrémité de la toile à leur ceinture et continuent le travail à l'autre extrémité. Comme navettes, ils n'ont que des tubes de bambou.
Récemment des Siamois sont venus s'établir en ce pays, qui s'adonnent à l'élève des vers à soie et à la culture du mûrier ; leurs graines de mûriers et leurs graines de vers à soie viennent toutes du Siam. Les gens n'ont pas non plus de ramie, mais seulement du lo-ma. les Siamois se tissent avec la soie des étoffes damassées foncées dont ils se vêtent. Les siamoises savent coudre et repriser. Quand l'étoffe qu'ils mettent sur eux est déchirée, les indigènes prennent à gage [des Siamoises] pour la réparer.
29- Les ustensiles
Les gens ordinaires ont une maison, mais sans table, banc, cuvette ou seau. Ils emploient seulement une marmite de terre pour cuire le riz, et emploient en outre une poêle de terre pour préparer la sauce; Ils enterrent trois pierres pour faire le foyer, et d'une coquille de noix de coco font une louche. Pour servir le riz, ils emploient des plateaux chinois de terre ou de cuivre. Pour la sauce, ils emploient des feuilles d'arbre dont ils font de petites tasses qui, même pleines de liquide, n'en laissent rien couler. En outre, ils font avec de feuilles de kiao de petites cuillers pour puiser le liquide [dans ces tasses] et le porter à la bouche; quand ils ont fini, ils les jettent. Il en est ainsi même dans leurs sacrifices aux génies et au Bouddha. Ils ont aussi à côté d'eux un bol d'étain ou de terre plein d'eau pour y tremper les mains; c'est qu'ils n'emploient que leurs doigt pour prendre le riz, qui colle au doigts et sans cette eau ne s'en irait pas. Ils boivent le vin dans des gobelets d'étain; le pauvres emploient des écuelles de terre. Les maisons nobles ou riches emploient pour chacun des récipients d'argent, quelquefois même d'or. Pou le fêtes royales, on emploie nombre d'ustensiles faits en or, de modèles et de formes particuliers. A terre, on étend des nattes de Ming-tcheou; il y en a aussi qui étendent des peaux de tigres, de panthères, de cerf, de daims,etc... ou de nattes de rotin. Depuis peu, on a inauguré des tables basses, hautes environ d'un pied.
Pour dormir, on n'emploie que des nattes de bambou, et on couche sur des planches. Depuis peu, certains emploient aussi des lits bas, qui sont en général fabriqués par des Chinois. On recouvre les aliments avec une étoffe; dans le palais du souverain, se sert à cette fin de soieries à fil double tachetées(?) d'or qui sont toutes des présents des marchands d'outre-mer. Pour [décortiquer] le riz, on n'emploie pas de meules, et on se borne à le broyer avec un pilon et un mortier.
30- Les charrettes et les palanquins
Les palanquins sont faits d'une pièce de bois qui est recourbée en sa partie médiane et dont les deux extrémités se relèvent toutes droites; on y sculpte des motifs fleuris et on la revêt d'or ou d'argent; c'est là ce qu'on appelle des supports de palanquin en or ou en argent.
A environ un pied de chaque extrémité on enfonce un crochet, et avec des cordes on attache aux deux croches une grande pièce d'étoffe repliée à gros plis. On se courbe dans cette toile et deux hommes portent le palanquin.
Au palanquin on ajoute en outre un objet semblable à une voile de navire, mais plus large, et qu'on orne de soieries bigarrées ; quatre hommes la portent et suivent le palanquin en courant.
Pour aller loin, il y a aussi des gens qui montent à éléphant ou qui montent à cheval; certains aussi emploient des charrettes, de modèle identique à celles des autres pays. Les chevaux n'ont pas de selles ni les éléphants de bancs pour s'asseoir.
31- Les barques et les avirons
Les grandes barques sont faites au moyen de planches taillées dans des arbres [en bois] dur. Les ouvriers n'ont pas de scies et n'obtiennent les planches qu'en équarrissant les arbres à la hache; c'est une grande dépense de bois et une grande dépense de peine. Quoiqu'on veuille faire en bois, on se borne de même à le creuser et le tailler au ciseau; il en est également ainsi dans la construction des maisons. Pour les grandes barques, on se sert aussi de clous de fer, et on recouvre ces barques avec des feuilles de Kiao (kajang) maintenues par des lattes d'aréquier. Un bateau de ce genre est appelé sin-na; il va à la rame. La graisse dont on l'enduit est de la graisse de poisson, et la chaux qu'on y mélange est la chaux minérale.
Les petites barques sont faites d'un grand arbre qu'on creuse en forme d'auge; on l'amollit au feu et on l'élargit par l'effort de pièces de bois; aussi ces barques sont-elles large au centre et effilées au deux bouts. Elles n'ont pas de voiles et peuvent porter plusieurs personnes; on ne les dirige qu'à la rame. Elles sont appelées P'i-lan.
32- Les villages
Chaque village a ou bien un temple, ou bien une tour. Si les habitants sont tant soit peu nombreux, ils ont aussi un mandarin local qu'on appelle mai-tsie (mé srok?). Sur les grandes routes, l y a des lieux de repos analogues à nos relais de poste; on les appelle sen-mou ( samnak). Récemment, au cours de la guerre avec le Siam,[les villages] ont été entièrement dévastés.
33- La récolte du fiel
Avant ce temps-ci, dans le courant de la huitième lune (chinoise), on recueillait le fiel : c'est que le roi du Champa exigeait annuellement une jarre contenant des milliers et des myriades de fiels humains. A la nuit, on postait en maintes régions des hommes dans les endroits fréquenté des villes et des villages. S'ils rencontraient des gens qui circulaient la nuit, ils leur couvraient la tête d'un capuchon serré par une corde et avec un petit couteau leur enlevaient le fiel au bas du côté droit.
On attendait que le nombre fût au complet et on les offrait au roi du Champa. Mais on ne prenait pas de fiels des Chinois. C'est qu'une année, on avait pris un fiel de Chinois et on l'avait mis avec les autres, mais ensuite tous les fiels de la jarre pourrirent et on ne put pas les utiliser. Récemment on a aboli la pratique de la récolte du fiel, et on a installé à part les mandarins de la récolte du fiel, et leurs subordonnés, en les faisant habiter dans la ville, près de la porte Nord.
34- Un prodige
Dans la ville, près la porte de l'Est, il y eut un barbare qui forniqua avec sa soeur cadette. Leur peau et leur chair collèrent ensemble sans se détacher, et après trois jours passés sans nourriture tous deux sont morts. Mon pays, M. Sie, qui a passé trente-cinq ans dans le pays, affirme avoir vu le cas se produire deux fois. S'il en est ainsi, c'est que [les gens de ce pays] savent utiliser la puissance surnaturelle du saint Buddha.
35- Les bains
Le pays est terriblement chaud et on ne saurait passer un jour sans se baigner plusieurs fois. Même la nuit, on ne peut manquer de le faire une ou deux fois. Il n'y a ni maisons de bains, ni cuvettes, ni seaux. Mais chaque famille a un bassin; sinon, deux ou trois familles en ont un en commun. Tous, hommes et femmes, entrent nus dans le bassin. Seulement, quand le père, la mère, ou des gens d'âge sont dans le bassin, leurs fils et filles ou les jeunes gens n'y entrent pas. Ou si les jeunes gens se trouvent dans le bassin, les personnes d'âge s'en tiennent à l'écart. Mais si on est de même âge, on n'y prête pas attention, les femmes cachent leur sexe avec la main gauche en entrant dans l'eau, et voilà tout.
Tous les trois ou quatre, cinq ou six jours, les femmes de la ville, trois par trois, cinq par cinq, vont se baigner hors de la ville dans le fleuve. Arrivées au bord du fleuve, elles ôtent la pièce d'étoffe qui leur entoure le corps et entrent dans l'eau. C'est par milliers qu'elles sont ainsi réunies dans le fleuve. Même les femmes des maisons nobles participent [à ces bains]et n'en conçoivent aucune honte. Tous peuvent les voir de la tête aux pieds. Dans le grand fleuve en dehors de la ville, il n'y a pas de jour où cela ne se passe. Les Chinois, aux jours de loisir, s'offrent souvent le plaisir d'y aller voir. J'ai entendu dire qu'il y en a aussi qui entrent dans l'eau pour profiter des occasions. L'eau est toujours chaude comme si elle était sur le feu; ce n'est qu'à la cinquième veille qu'elle se rafraîchit un peu; mais dès que le soleil se lève, elle s'échauffe à nouveau.
36- Les immigrés
Les chinois qui arrivent en qualité de matelots trouvent commode que dans ce pays on n'ait pas à mettre de vêtements, et comme en outre le riz est facile à gagner, les femmes faciles à trouver, les maisons faciles à aménager, le mobilier facile à acquérir, le commerce facile à diriger, il y en a constamment qui désertent pour y [ rester].
37- L'armée
Les troupes vont aussi corps et pieds nus. Dans la main droite elles tiennent la lance ; dans la main gauche, le bouclier. Il n'y a ni arcs, ni flèches, ni balistes, ni boulets, ni cuirasses, ni casques. On rapporte que, dans la guerre avec les Siamois, on a obligé toute la population à combattre. D'une façon générale, ces gens n'ont d'ailleurs ni tactique ni stratégie.
38- La sortie du souverain
J'ai entendu dire que, sous les souverains précédents, les empreintes des roues de leur char ne dépassaient jamais leur seuil; et cela pour parer aux cas fortuits.
Le nouveau prince est le gendre de l'ancien souverain. Primitivement il avait charge de diriger les troupes. Le beau-père aimait sa fille; la fille lui déroba l'épée d'or et la porta à son mari. Le vrai fils fut par suite privé de la succession. Il complota pour lever les troupes, mais le nouveau prince le sut, lui coupa les orteils et le relégua dans une chambre obscure. Dans le corps du nouveau prince est incrusté un [morceau de] fer sacré, si bien que même couteaux et flèches, frappant son corps, ne pourraient le blesser. S'assurant là-dessus, le nouveau prince ose sortir. J'ai passé dans le pays plus d'une année, et je l'ai vu sortir quatre ou cinq fois. Quand le prince sort, des troupes sont en tête d'escorte; puis viennent les étendards, les fanions, la musique. Des filles du palais, de trois à cinq cents, en étoffes à ramages, des fleurs dans le chignon, tiennent à la main des cierges, et forment une troupe à elles seules; même en plein jour leurs cierges sont allumés. Puis viennent des filles du palais portant les ustensiles royaux d'or et d'argent et toute la série des ornements, le tout de modèles très particuliers et dont l'usage m'est inconnu. Puis viennent des filles du palais tenant en mains lance et bouclier, et qui sont la garde privée du palais elles aussi forment une troupe à elles seules. Viennent ensuite des charrettes à chèvres des charrettes à chevaux, toutes ornées d'or. Les ministres, les princes sont tous montés à éléphant; devant eux(?) on aperçoit de loin leurs parasols rouge, qui sont innombrables.
Après eux arrivent les épouses et concubines du roi, en palanquin, en charrette, à cheval, à éléphant ; elles ont certainement plus de cent parasols tachetés(?) d'or. Derrière elles, c'est alors le souverain, debout sur un éléphant et tenant à la main la précieuse épée. Le défenses de l'éléphant sont également dans un fourreau d'or. Il y a plus de vingt parasols blancs tachetés(?) d'or et dont les manches sont en or. Des éléphants nombreux se pressent tout autour de lui, et à nouveau il y a des troupes pour le protéger.
Si le souverain se rend à un endroit voisin , il se sert seulement de palanquins d'or, qui sont portés par des filles du palais.
Le plus souvent, le roi en sortant va voir une petite tour d'or devant laquelle est un Bouddha d'or. Ceux qui aperçoivent le roi doivent s'agenouiller et toucher la terre du front; c'est ce qu'on appelle san-pa ( sambah). Sinon, ils sont saisis par les maîtres des cérémonies(?) qui ne les relâchent pas pour rien.
Chaque jour le souverain tient audience deux fois pour les affaires du gouvernement. Il n'y a pas de liste(?) arrêtée. Ceux des fonctionnaires ou du peuple qui désirent voir le souverain s'assoient à terre pour l'attendre. Au bout de quelque temps, on entend dans le palais une musique lointaine; et au dehors on souffle alors dans des conques comme bienvenue au souverain.
J'ai entendu dire que le souverain ne se servait là que d'un palanquin d'or; il ne vient pas de loin. Un instant après, on voit deux filles du palais relève le rideau de leurs doigts menus et le souverain, tenant en l'épée, apparaît debout à la fenêtre d'or. Ministres et gens du peuple joignent les mains et frappent le sol du front; quand le bruit des conques a cessé, ils peuvent relever la tête. Le souverain immédiatement après(?) va s'asseoir.
Là où il s'assied, il y a une peau de lion, qui est trésor royal héréditaire. Dès que les affaires à traiter sont terminées, le prince se retourne; les deux filles du palais laissent retomber le rideau; tout le monde se lève. On voit par là que tout en étant un royaume de barbares, ces gens ne laissent pas de savoir ce que c'est qu'un prince.

qui, en 1296, donc peu après les premières guerres avec les Siamois et au début de la période de décadence, accompagnait à Angkor une ambassade sino-mongole. Ces «Mémoires sur les coutumes du Cambodge» traduits par Paul PELLIOT et publiés dans le Bulletin de l'Ecole française d'extréme-orient de 1902, permettent de se faire une idée des conditions de vie de l'ancien Cambodge à la fin du XIIIe siècle. Voici comme il parle des habitants :

«Les habitants sont grossiers et très noirs. Qu'ils habitent dans les lointains villages des îles de la mer ou dans les rues les plus fréquentées, c'est tout un. Il faut arriver jusqu'aux personnes du palais et aux femmes des maisons nobles pour en trouver beaucoup de blanches comme le jade, ce qui doit venir de ce qu'elles ne voient jamais les rayons du soleil. En général, les femmes comme les hommes ne portent qu'un morceau d'étoffe qui leur entoure les reins, laissent découverte leur poitrine blanche comme le lait, se font un chignon et vont nu-pieds ; il en est ainsi même parmi les épouses du souverain. Le souverain a cinq épouses, une de l'appartement privé proprement dit, et quatre pour les quatre points cardinaux. Quant aux concubines et aux filles du palais, j'ai entendu parler d'un chiffre de 3.000 à 5.000, divisées en plusieurs classes, mais elles franchissent rarement leur seuil. Toute famille qui a une belle fille ne manque pas de l'amener au palais.Au-dessous sont les femmes qui font le service du palais, il n'y en a pas moins d'un ou deux mille. Elles sont mariées et vivent un peu partout. Mais sur le haut du front elles se rasent les cheveux, et marquent cette place de vermillon ainsi que les deux côtés des tempes. Ces femmes seules peuvent entrer au palais ; toutes les personnes au-dessous d'elles ne le peuvent pas.Les femmes du commun se coiffent en chignon, mais n'ont ni épingle de tête, ni peigne, ni aucun ornement de tête. Aux bras elles ont des bracelets d'or, aux doigts des bagues d'or ; les femmes du palais en portent toutes. Hommes et femmes s'oignent de parfums composés de santal, de musc et d'autres essences.Tous adorent le Bouddha.»

C. LES INSCRIPTIONS

L'épigraphie, d'un caractère beaucoup moins anecdotique, a fourni sur le Cambodge d'autrefois, notamment sur son histoire, une documentation autrement sérieuse, et, marchant de pair avec les études des historiens d'art, a permis de rattacher à quelques repères précis la chronologie des monuments.Inséparable des noms de Barth, de Bergaigne, de Kern et d'Aymonier, puis de Louis Finot
LOUIS FINOT (1864 -1935)

L'oeuvre capitale de Louis Finot a été accomplie dans l'Extrême-Orient, en Indochine. C'est lui qui a fondé l'École française d'Extrême-Orient (janvier 1899), d'abord à Saïgon, plus tard à Hanoï, quand le Gouvernement général y fut transféré (1900). C'est lui qui a créé le Service archéologique del'Indochine; c'est lui qui a créé le Bulletin de l'Ecole Française d'Extrême-Orient, magnifique publication qui compte aujourd'hui trente-trois volumes et qu'il a enrichie d'un nombre considérable d'articles importants; c'est lui qui, après Bergaigne, Barth et Senart, a recueilli et perpétué la tradition de l'épigraphie indochinoise; c'est lui qui a créé l'admirable Musée de Hanoï auquel le Gouvernement général a, en témoignage de reconnaissance officielle, donné le nom de Musée Louis Finot. L'Ecole française d'Extrême-Orient ne manquera pas de rendre à la mémoire de son fondateur l'hommage qui lui est dû : une notice détaillée paraîtra dans un prochain Bulletin.
Mais notre Société asiatique, elle aussi, doit trop à Louis Finot pour que nous n'ayons pas le devoir de rappeler devant elle la part de l'activité qu'il lui a consacrée et les services qu'il lui a rendus. II avait été élu membre de la Société le 12 décembre 1890, en même temps que nos confrères MM. Meillet, L. de La Vallée Poussin et Ferdinand Hérold; c'est une date à marquer d'un caillou blanc dans les annales de notre Société. Il était présenté par Paul Sabbathier et moi. Il avait alors vingt-cinq ans et il était bibliothécaire à la Bibliothèque nationale; il commencait sa dernière année d'études sanscrites.

NOTES D'ÉPIGRAPHIE par M. Louis Finot, Directeur de l'Ecole française d'Extrême-Orient

L'INSCRIPTION SANSKRITE DE SAY-FONG

La stèle découverte récemment par M. Georges Maspero à Say-fong (Laos) est un document doublement intéressant par sa situation et par son contenu.
Say-fong se trouve sur la rive gauche du Mékhong, en aval de Vieng-chan, en face de Muong-kuk, au fond de la boucle que fait le Grand fleuve entre Vieng-chan et Nong-khay. L'existence d'une ancienne inscription cambodgienne dans cette région est, à elle seule, un fait important. Jusqu'ici le plus lointain vestige connu de la domination cambodgienne au Laos était l'inscription signalée par M. Aymonier à Sakhun-Lokhon, par environ 17°10' de latitude N.; cette inscription, aujourd'hui presque illisible, comprenant une douzaine de lignes mal gravées sur le mur d'une tour en briques, permettait de supposer qu'au XIe siècle, ce pays était soumis à la domination plus ou moins directe du Cambodge (1). L'inscription nouvelle, située à 35' environ plus au Nord, dans la région de Vieng-chan, donne une nouvelle force à cette conclusion; nous n'avons plus à faire ici à quelques mots presque indéchiffrables, grossièrement tracés sur un mur, mais à un acte royal magnifiquement gravé et d'une conservation presque parfaite. C'est un édit de Jayavarman VII, qui monta sur le trône en 1084 çaka et qui régnait encore en 1112 çaka (1164-1190 A. D.).
Si donc la stèle fut érigée à l'endroit où elle a été découverte, il en résulte qu'à la fin du XIIe siècle de l'ère chrétienne toute la vallée du Mékhong, jusqu'à Vieng-chan au moins, relevait des rois du Cambodge.
Mais la pierre trouvée à Say-fong n'y a t-elle pas été apportée d'ailleurs? Il est difficile de se prononcer sur ce point avec une absolue certitude : tout ce qu'on peut dire, c'est qu'aucune circonstance ne fait soupçonner un déplacement. Cette stèle a été rencontrée récemment par une paysanne de la région, dans une brousse déserte, où elle était depuis longtemps ensevelie. Qu'elle ait été apportée à Say-fong, au temps de la splendeur de cette ville, par quelque conquerant thai revenant d'une razzia en territoire khmèr, c'est une hypothèse qui, sans être absolument exclue, présente peu de vraisemblance. Une étude méthodique du terrain fournira sans doute des données suffisantes poue résoudre cette question; en attendant on peut présumer que la stèle de Say-fong est in situ.
(1) Aymonier, Cambodge, II, p. 155. Cf. Barth, dans son compte rendu du t. Ier de cet ouvrage, Journal des Savants, juillet 1901 (BEFEO, II, 76.).
L'INSCRIPTION DE BAN THAT
Au cours de son voyage de 1875-1876 dans la vallée du Mékhong, M. Jules Harmand rencontra au village de Ban That, près de Bassac (Laos), un groupe de trois pràsàt, dont il parle en ces termes (1):
"Plus haut, il faut encore nommer les monuments des montagnes de Bassac, décrits par la mission de Lagrée en 1867, et un groupe de trois preasàt de grès au village de Bàn-Thàt (village des Tours), à une trentaine de kilomètres dans le S.-O. de Bassac."
"J'en ai rapporté l'estampage d'une belle inscription couvrant les quatre faces d'une stèle placée à quelques mètres de la tour médiane. A en juger par la forme des caractères qui forment cette inscription et une autre découverte à Bassac, ces derniers monuments sont contemporains, ou à peu près, du groupe de Preakan de Compong-Soaï, ou intermédiaires entre ces ruines et celles de Kakeh."
Ces lignes étaient accompagnées d'un très court spécimen de l'inscription.
L'estampage avant été soumis à M. H. Kern, ce savant publia dans le même recueil le texte et la traduction des parties lisibles, c'est-à-dire la "face orientale" (35 stances en 70 lignes), plus 6 ou 7 stances des faces du Midi et du Nord (2).
A la fin de 1883, M. Aymonier, arrivant à Ban That, retrouva la stèle, mais en fort mauvais état : quelques mois auparavant, un éléphant l'avait renversée et brisée. Avant cet accident elle était engagée par un tenon dans un socle carré placé sur une petite terrasse à 16 mètres en avant de la tour centrale. Elle avait la forme d'un pilier carré, haut de 1m60, dont les quatre faces, larges de 45-44cm, étaient inscrites sur une hauteur de 1m40.
M. Aymonier estampa tous les fragments "en notant que sa face orientale paraissait être la plus effacée par l'usure du temps; que le texte de celle du Nord serait à peu près net sur nos estampages; que la face occidentale, la mieux conservée, était généralement lisible; mais que la face méridionale, sur laquelle s'étaient appuyées les gracieuses protubérances frontales de la bête éléphantine, était aux cinq sixièmes enlevée, et que ce qui en restait s'écaillait partout en fragments couverts de terre (3)."
L'estampage de la mission Aymonier n'a pas été utilisé jusqu'ici : exécuté par de meilleurs procédés que le précédent, il permet de déchiffrer de longs passages restés illisibles dans celui-ci, et de corriger quelques lectures. L'importance du document, ainsi que le caractère tout particulier qu'il présente dans l'ensemble de la littérature épigraphique, nous justifiera de reprendre après M. Kern une étude où l'illustre maître n'a laissé à glaner derrière lui qu'à cause de l'imperfection des matériaux mis à sa disposition.
(1) Notes de voyage en Indo-Chine. Les Kouys. Ponthey-Kakèh. Considérations sur les monuments dits khmers, parle Dr J. Harmand (Annales de l'Extrème-Orient, t. I[1878-1879], p. 332)
(2) Inscriptions cambodgiennes, par M. le Dr H. Kern. Article II. Inscription de Bassac. (Ann. de l'Extr.-Or., III, p. 65. Une petite rectification, p. 125)
(3) Le Cambodge,-11, 165 sqq. Nous apprenons par une lettre de M. Parmentier que les fragments de cette stèle doivent être transportés au musée de Phnom-Penh.
XVII - PIÉDROIT DE VAT PHU
Au cours de sa visite à Vat Phu, en 1911, H. PARMENTIER découvrit, près de la bonzerie, deux piédroits, vestiges de quelque sanctuaire disparu (1). Les inscriptions qu'ils portaient sont complètement effacées, à l'exception d'une seule, gravée au bas de l'un d'eux et qui comprend 7 lignes de khmèr d'une écriture peu soignée et assez cursive. Elle a pour objet une donation faite, en 1058 çaka "au dieu de Lingapura", le même probablement que le dieu Çri Bhadreçvara ou Vrah Thkval, dont il est question dans l'inscription perdue de Vat Phu, contemporaine de la nôtre (AYMONIER, Cambodge, II, I62).
TEXTE
O 1058 çaka Ten tvan Io nu vrah Mùlasùtra ta putra sruk Bhadreçvaràspada (2) varnnà karmmàntara visaya çresthapura yugapat jvan bhùmi Pin chkar bhàga (3) Oy ta Kamraten jagat Lingapura ti hau Lingapuràçra(4)ma camnàt gi ranko thlvan mvày bamryyan go mas (5) mvày dyàn mvày jyan mvày vrah vasana yau (6) mvày mi mvày çata khnum ta thve camnàm noh ve (7).. çrù ten vachat.
TRADUCTION
1058 çaka. Teh Tvan Lo et Vrah Mùlasùtra son fils, du pays de Bhadreçvaràspada, de la corporation des ouvriers du visaya de çresthapura, ensemble, offrent la terre de Pin Chkar, leur part, au dieu de Lingapura qu'on appelle Lingapuràçrama. La fondation comprend: riz, v thlvan à perpétuité (2), 1 boeuf d'or, 1 jardin (3), 1 jyan, 1 vêtement de yau, 1 mi, 100 esclaves qui font la garde.
(1) H. PARMENTIER. Complément à l'Inventaire descriptif des monuments du Cambodge (BEFEO., XIII, 1, 54), et Le Temple de Vat Phu (ibid. XIV,.11, 14). C'est par suite d'une confusion que la liste des inscriptions de Vat Phu, donnée dans ce dernier mémoire, mentionne sous la lettre i une "stèle nouvelle". L'inscription que j'avais estampée à mon passage en 1914 et que des renseignements erronés m'avaient fait croire nouvelle, n'est autre, en effet, que celle du piédroit de Parmentier.
(2) ou "quotidiennement" ? Cf. khm. rien. "continuellement"
(3)dyân = udyâna
NOTE ADDITIONNELLE SUR L'EDIT DES HOPITAUX
J'ai publié il y a douze ans (1) une inscription sanskrite trouvée à Say-fong (Laos) par M. Georges Maspero et contenant un édit de Jayayarman VII pour la fondation d'un hôpital (1108 - 1186 A.D.). Peu après, une note de M. BARTH signalait l'existence de 7 répliques du mène édit et en donnait les variantes (2). Par là était acquis un fait des plus intéressants: l'institution d'un véritable système d'assistance médicale dans l'empire cambodgien du XIIe siècle. La dotation des hôpitaux n'ayant pas été partout exactement la même, le dispositif de l'édit n'est pas identique dans toutes ces rédactions: il n'est pas non plus différent dans chacune d'elles. La collation de M. Barth a révélé l'existence de 3 types:
  • M. Say-fong (Laos, commissariat de Vieng Chan). S. Chean Chum (Cambodge, province de Treang)
    S. Chean Chum (Cambodge, province de Treang)
    S. Ta Ke Pong, (Cambodge province de Battambang, près de Baset)
    U. Chayaphoum (Laos siamois, monthon Korat, ampo Chavaphum, Vat Ku)
    V. Nom Van (Laos siamois, monthon Korat, murang Korat)
  • X. Ta Mean Toch (Laos siamois, monthon Isan, murang Suren)
    Y. Khonburi (Laos siamois, monthon Isan, monthon Korat, murang Korat)
  • Z. Ban Pakham (Laos siamois, monthon Korat, murang Buriram)
M étant pris comme base, S, T, V, V (type I) ont une teneur exactement pareille; X et Y (type II) substituent à M. XX-XXLI, 20 çlokas différents; Z (type III) a en commun avec M les faces A et B : la face C est en blanc et la face D, réduite à 4 çlokas, correspond, avec de fortes différences, à M. XXXVII-XLI.
La présente note a pour but de signaler la découverte, en 1914, d'une nouvelle "expédition" de l'édit à Kuk Roka, ruine située à env. 12 kil. au S. de Kompong Thorn, dans le khum Srayau (1). Elle est du type I et constitue une réplique exacte du texte de Say-fong : comme celui-ci, le texte de Kuk Roka est écrit sur les quatre faces d'une stèle, dont chacune porte respectivement 24, 24, 24 et 26 lignes. A part quelques écaillures de la pierre, il est complet et, comme tous les autres exemplaires, parfaitement gravé.
Il est intéressant de trouver à l'Est du Grand Lac, une nouvelle maille de ce réseau hospitalier que Jayavarman VII avait étendu sur tous ses Etats. Des 9 hôpitaux connus jusqu'ici, 7 se trouvent à l'Ouest du méridien d'Angkor, aux environs de Korat, Battambang, Suren, Vieng Chan. Deux seulement sont situés à l'Est de cette ligne, tous deux sensiblement sur le même méridien : l'un au S. vers Takéo, l'autre au N., à Kompong Thom.
Par ailleurs, la nouvelle stèle n'apporte rien de nouveau : elle contient, il est vrai, quelques passages qui manquent dans celle de Say-fong; mais ces lacunes avaient déjà été comblées à l'aide des autres versions. Néanmoins il ne sera pas inutile de compléter le dépouillement des "doublets de Say-long" en collationnant le nouveau texte, que nous désignerons par R, avec M, sigle choisi par M. Barth pour le texte de Say-fong. Je profiterai de cette occasion pour rectifier les fautes de lecture ou de traduction qui se trouvent dans l'édition de ce dernier texte précédemment publiée par le Bulletin. Au lieu du simple frottis qui m'avait servi pour cette publication, j'ai eu cette fois à ma disposition un véritable estampage pris à mon passage à Say-fong en 1914 (2).
Dans ce qui suit, les leçons précédées de R sont celles de la stèle de Kuk Roka ; celles qui sont dépourvues de toute indication sont les lectures ou les interprétations correctes à substituer à celles de l'édition primitive, et dont la plupart ont déjà été données par M. Barth ou - en ce qui touche les identifications de plantes - par le Dr P. CORDIER (BEFEO., III, 466).
(1) L'inscription sanscrite de Say fong. BEFEO., 111, 18.
(2) Les Doublets de la stèle de Say long. Ibid., III, 460. Celui de Chean Chum avait déjà été signalé par Bergaigne, qui en avait parfaitement reconnu l'objet (J. A. 1882. I, p.142).
(3) H. PARMENTIER, Complément à l'Inventaire descriptif des monuments du Cambodge, (BEFEO., XIII, 1, p. 34), signale, d'après le lieutenant Marec, chef de la 2e brigade topographique, les restes d'une tour en gros blocs de latérite qui n'abrite aucun vestige, au lieu dit Prasat Roka, situé au Sud de la route coloniale n° 4 à 12 kil. de Kompong Thom, au sommet d'un triangle droit isocèle dont l'hypothénuse s'étendrait de Kompong Thom à Kah Kôh. Ce moment est sans aucun doute celui où a été trouvée la stèle dont nous parlons. On y a trouvé également un bas-relief des Neuf Devas. Stèle et sculpture sont aujourd'hui au Musée de Phnom-Penh.
(4) L'emplacement de Say-fong n'est plus marqué aujourd'hui que par quelques Chat de brique croulants et deux stèles laotiennes ; la stèle cambodgienne a été transportée un peu en aval, au village de Ban Si l'han (rive gauche), où elle a été plantée en terre devant un autel de la pagode de Vat Kôk Sai.
SUR UN MODE DE DATATION EMPLOYÉ AU LAOS
On trouve au Laos des bouddhas de bronze portant des inscriptions dont la date est exprimée en sakarat ou culla-sakarat, avec un chiffre d'années inférieur à cent. Certains manuscrits sont datés de la même manière : par exemple un ms. pali du Mahâpatthâna, en écriture tham, entré récemment à la bibliothèque de l'Ecole française, porte la date : culla-sakarat 50.
A interpréter littéralement ces formules chronologiques, les bronzes et les manuscrits en question se placeraient aux VIIe-VIIIe siècles de notre ère, ce qui est d'une évidente impossibilité, la plus ancienne inscription thai étant de l'extrême fin du XIIIe. Elles doivent donc s'expliquer autrement.
La première hypothèse qui se présente à l'esprit est celle d'une autre ère que celle de 638 A. D. L'expression culla-sakarat ne fait pas difficulté; car, de même que "çakarâja [kâla]", après avoir désigné exclusivement l'ère çaka de 78 A. D., a fini par prendre le sens général d'"ère", de même le titre de "petite ère" aurait pu être appliqué, dans les temps modernes, à une ère plus récente que celle de 638. Cette explication serait d'autant moins invraisemblable que la plupart des inscriptions dont nous parlons portent non cullasakarat, mais simplement sakarat; l'addition de culla dans les autres pourrait être considéré comme une erreur causée par une longue habitude.
Il y a une ère qui répondrait assez bien aux conditions du problème : c'est l'ère siamoise dite Ratanakôsinsok, qui a été en usage au Siam depuis la fin XVIIIe siècle jusqu'à l'année 1913, où elle a été remplacée par l'ère bouddhique, et dont le point de départ est le 1er avril 1781. Les dates laotiennes appartiendraient ainsi à la fin du XVIIIe siècle et au XIXe. Sans être inacceptable, cette époque paraît dans certains cas un peu basse; mais il y a une autre raison décisive, celle-là, de rejeter l'hypothèse de l'ère siamoise. Dans la plupart des cas, le chiffre de l'année en sakarat ou cullasakarat est accompagné de la désignation de cette année dans le cycle sexagénaire : or les années interprétées en Ratanakôsinsok ne correspondent pas aux années cycliques. On trouve par exemple : "sakarat 67, pi râp rao"; or l'année 67 + 1781 = 1848 A. D. est une année po'k san.
L'ère siamoise étant éliminée, on peut se tourner d'un autre côté et supposer que les dates sont bien des années cullasakarat, mais avec omission des mille, suivant un procédé qui a été en usage dans l'Inde. Pour reprendre l'exemple précédent, 67 équivaudrait à 1067 ou 1705 A. D. : si on contrôle ce résultat par la désignation cyclique, le résultat est cette fois satisfaisant: 1705 est bien une année râp rao. La manuscrit pâli cité plus haut porte : "cula sakrat dai 50 pi po'k si" : (10)50 + 638 = 1688 A. D., qui est en effet une année po'k si.
Un buddha du Phya Vat de Xieng Khuang porte : "sak. 62, pi kot si"; un autre : "sak. 66, pi pak sân", ce qui est exact.
On a trouvé récemment dans un vieux that en ruines près de Vieng Chan plusieurs bronzes inscrits sur lesquels on peut lire les dates sakrat 2 (ou 12), 9, 22, malheureusement sans mention d'année cyclique; mais, par analogie avec les cas cités plus haut, on peut lire ces dates 1002 (ou 1012), 1009, 1022, c'est-à-dire 1640 (ou 1650), 1647 et 1660 A. D.
L. FINOT.
et de Georges Cœdes qui se sont consacrés à leur tâche avec des méthodes empreintes d'une discipline rigoureuse, cette science a pris peu à peu, grâce à de nombreuses découvertes, une importance capitale.Les inscriptions - dont les plus anciennes remontent au VII siècle - relèvent de l'ère dite çaka , originaire de l'Inde centrale, en retard de 78 ans sur l'ère chrétienne : elle fut introduite dans l'Insulinde et en Indochine par les astronomes hindous.

«Dès le début - nous dit M. Coedès - elles attestent l'emploi simultané de deux langues : une langue savante, le sanskrit, réservée aux généalogies royales ou princières, au panégyrique des fondations de monuments ou des pieux donateurs ; une langue vulgaire, le khmer ou cambodgien réservée au dispositif de la fondation et à l'énumération des serviteurs et des objets donnés aux temples. Les textes sanskrits sont exclusivement rédigés en vers : ce sont des compositions auxquelles les indianistes donnent le nom de Kâvya. »

Le sanskrit a cessé d'être la langue savante en usage en Indochine lorsque, vers les XIV-XV siècles, les religions brahmanique et bouddhique du Mahâyâna ou Grand Véhicule eurent été remplacées par le bouddhisme du Hinayâna ou Petit Véhicule : la langue employée est devenue le pâli, également d'origine hindoue. Quant au vieux khmer, M. Coedès a fait remarquer qu' «il différait beaucoup moins du cambodgien actuel que la langue de la Chanson de Roland ne diffère du français».

Les inscriptions étaient gravées au burin en lettres d'au moins un centimètre de hauteur, tantôt sur des stèles, tantôt sur les tableaux des baies des sanctuaires. Les stèles, dont l'emplacement parait avoir été variable dans les différents monuments, étaient généralement abritées dans un édicule spécial : constituées par des dalles rectangulaires à deux faces inscrites ou des bornes à quatre faces, elles étaient en pierre dure et polie, fixées au sol ou sur un socle par un tenon. Beaucoup ont été trouvées en pleine campagne.

Les textes figurant sur les piédroits des baies en couvraient parfois la majeure partie. Vers la fin de la période classique l'habitude est venue de relater en une ou plusieurs lignes l'érection de la statue - dieu ou personnage divinisé - qui garnissait chaque sanctuaire, soit en réservant une place unie dans le décor à fleur de pierre, soit en en raclant une partie : de même pour l'identification de certaines scènes de bas-reliefs. Beaucoup de blocs enfin portent des caractères grossièrement taillés qui devaient être des marques de chantier.


CHAPITRE III - L'Histoire
C'est au début de l'ère chrétienne que certains textes d'auteurs chinois font allusion au Fou-Nan, dénomination première de ce qui devait être plus tard le royaume du Cambodge : Etat bien peu évolué, puisqu'au III siècle «les gens du pays étaient encore nus«. Mais par sa situation géographique, c'était l'escale naturelle entre l'Inde et la Chine, et le contact avec les deux grandes civilisations asiatiques devait assurer sa transformation rapide en le marquant de leur double influence.

Du IIIe au VIIe siècle, le royaume nettement hindouisé du Fou-Nan - dont M. Coedès rattache les traditions dynastiques à la cour des Pallavas et situe la capitale dans la région du Ba Phnom, partie Sud-est du Cambodge actuel - avait acquis un grand développement territorial. Riche et puissant, il entretenait avec la Chine des relations suivies, dont témoigne l'envoi de nombreuses ambassades.

Vers le milieu du VI siècle cependant certains troubles éclataient dans quelques Etats feudataires, et le plus puissant d'entre eux, le Tchen-La ou Kambuja (Cambodge proprement dit), après avoir proclamé son indépendance, s'agrandissait peu à peu au détriment du Fou-Nan, s'emparait de sa capitale et finissait par l'absorber entièrement après trois quarts de siècle de lutte, du vivant du roi Içanavarman. Celui-ci, monté sur le trône vers 615, régnait jusque vers 635, fondant la nouvelle capitale d'Içanapura (probablement Sambor-Prei Kuk, prie de Kompong Thom).

Peu après, et durant tout le VIIIe siècle, le royaume se scindait en deux Etats rivaux, le Tchen-la d'eau comprenant la Cochinchine et le bassin inférieur du Mékong au Sud de la chaîne des Dangrek, et le Tchen-la de terre correspondant aux territoires situés au Nord de celle-ci jusqu'au Haut-Laos. Le Tchen-la d'eau eut à souffrir durant cette période d'invasions parties de Java et de Sumatra, où l'Empire malais de Crivijâya avait acquis une certaine puissance. Ce fut d'ailleurs de Java où il semble avoir vécu en exil, que vint, au début du IXe siècle, le prince qui devait rétablir l'unité du royaume et instaurer la période dite angkorienne. Se réclamant des anciennes dynasties, il régna sous le nom de Jayavarman II et, proclamant l'indépendance du Cambodge vis-à-vis de Java, se mit en quête d'une capitale qui se trouverait non plus dans le bassin inférieur du Mékong mais dans la région Nord du Grand Lac ou Tonlé-Sap. Après quelques tribulations successives dans la plaine, il jetait son dévolu sur la chaîne du Mahendra (Phnom Kulên), qui, avec son vaste plateau oriental de 10.000 hectares, offrait des conditions de défense remarquables contre toute attaque : ce fut donc là qu'il établit, en l'an 802, le siège de son Etat, jetant les bases d'un culte nouveau, celui du dieu-roi ou Devarâja, par l'érection sur la pyramide de Rong Chen du premier Linga royal.

Après cinquante années de règne qui lui avaient permis de pacifier l'ensemble du pays, Jayavarman II, rebuté sans doute par les difficultés d'accès et de mise en culture de la résidence qu'il avait choisie et son éloignement du Grand Lac, redescendait sur la rive Nord de celui-ci et mourait en 854 à Hariharâlaya, région de Rolûos, qu'adoptaient également son fils, puis son neveu Indrayarman I. Ce dernier, construisant la pyramide artificielle de Bakong, premier monument de grès, y fondait en 881 le Linga Çri Indreçvara.

Dans les toutes dernières années du IXe siècle, son fils Yaçovarman, jugeant sa puissance suffisamment assise et soucieux de faire œuvre durable, renonçait définitivement aux agglomérations à caractère de bourgades errantes pour créer la véritable puri aux limites précises, parée de tout le prestige d'une capitale digne de ce nom : ce fut Yaçodharapura, le premier Angkor, dont le «Vnam Kantal ou Mont Central« des inscriptions, identifié depuis les passionnantes recherches de M. Goloubew avec la colline du Phom Bakheng, servait de base au linga Çri Yaçodhareçvara, idole maitresse du royaume.

Pendant les siècles de gloire et de combats qui suivirent, Angkor devait rester la capitale, sauf une interruption de 23 ans de 921 à 944 après que le roi Jayavarman IV eût émigré à Chok Gargyar (Koh Ker), à une centaine de kilomètres Nord-Est. Son beau-fils Râjendravarman revenait à Angkor et «restaurait la sainte cité demeurée longtemps vide«, édifiant les temples du Mébon oriental et de Pré Rup, et partant en guerre contre le Champa dont il brûlait le temple de Po Nager.

Il semble qu'aux environs du XIe siècle, époque où furent édifiés notamment les monuments de Ta Kèo et du Phiméanakas, puis du Baphûon, les limites de la ville aient été quelque peu modifiées et, par un léger décalage vers le Nord, cessant d'avoir le Phnom Bakheng pour centre, aient correspondu sensiblement dès lors au tracé du futur Angkor Thom. Ce fut au cours de cette période qu'une dynastie étrangère, apparemment d'origine malaise, s'empara du trône : l'usurpateur Siryavarman I, fervent bouddhiste, agrandissait bientôt le royaume de toute la partie méridionale du Siam ou Dvâravati.

La première moitié du XIIe siècle est dominée par le règne d'un des plus grands souverains du Cambodge, Sûryavarman II, dont la prodigieuse réalisation architecturale d'Angkor Vat devait marquer l'apogée de l'art khmer classique. Après s'être allié aux Chams contre les Annamites, il se retournait contre eux, remportant une victoire éclatante qui lui donnait une portion du Champa.La revanche ne devait pas tarder à se produire : une période assez trouble suivait la mort du roi, survenue après 1145, un usurpateur s'emparait du pouvoir, puis en 1177 une attaque brusquée des Chams se terminait par la chute et l'incendie d'Angkor, suivis d'une dévastation générale.

L'envahisseur, chassé par Jayavarman VII, couronné roi en 1181 à l'âge de 55 ans environ, subissait à son tour une défaite complète sur son propre sol. Le Champa fut placé sous la domination khmère, gouverné par le beau-frère du vainqueur, et ce dernier, poursuivant ses conquêtes, étendait bientôt sa puissance jusqu'à Vientiane sur le Mékong et sur tout le pays de Dvâravati.

Parallèlement, et déployant une activité prodigieuse, Jayavarman VII relevait le Cambodge de ses ruines, reconstruisait sa capitale Angkor Thom en l'entourant d'une haute muraille coupée de cinq portes monumentales, réédifiait sur des plans nouveaux le temple central du Bayon, sanctuaire du Bouddha royal, bâtissait ou restaurait en les complétant les monuments du Prah Khan, de Ta Prohm, Bantéay Kdei et tant d'autres de moindre importance, dotait le pays de nombreux hôpitaux.

Un tel effort, venant après des luttes sanglantes, ne pouvait qu'épuiser toutes les ressources et les énergies de la nation : aussi dès le début du XIIIe siècle, après la mort du dernier grand roi, le peuple khmer tombait dans l'inertie, et ses princes se laissaient peu à peu dépouiller par leurs voisins thai de leurs anciennes conquêtes, puis de leur patrimoine. Déjà en 1296, le voyageur chinois Tcheou Ta-Kouan signale cette pression grandissante, qui devait provoquer au XVe siècle l'abandon d'Angkor et l'installation des Souverains cambodgiens sur les rives du Bas-Mékhong.

Ce serait sortir du cadre de cette notice que de résumer l'histoire du Cambodge depuis cette époque. La période écoulée entre le XVe siècle et les temps modernes n'a, en effet, presque rien à fournir à l'histoire archéologique proprement dite. La région de Siemreap et de Battambang, qui avait été annexée sans droits par les Siamois, fut restituée au Cambodge en 1907. L'année 1907 n'est pas seulement une date politique importante : c'est depuis cette restitution que les savants et les architectes français, encouragés par les Souverains qui se succédèrent sur le trône, ont pu, par des recherches méthodiques et par une précise anastylose, faire revivre les antiques témoins d'une civilisation glorieuse.


CHAPITRE IV - Les religions
Le syncrétisme est à la base de toute l'histoire religieuse de l'ancien Cambodge: depuis l'époque du Fou-nan jusqu'au XIVe siècle coexistèrent le brahmanisme et le bouddhisme, les deux grands cultes originaires de l'Inde, importés en Indochine au plus tard vers le début de l'ère chrétienne, et, aux temps angkoriens, l'architecture comme l'épigraphie témoignent fréquemment de cette dualité.

Il semble que la plupart des rois khmers, sans chercher à imposer au peuple leurs croyances personnelles, aient fait preuve d'un large esprit de tolérance. Sylvain Lévi fait d'ailleurs remarquer que les deux religions, étrangères au pays, devaient davantage séduire les milieux aristocratiques en tant que manifestations d'une culture élégante et raffinée qu'elles ne pénétraient profondément les masses. De nos jours encore, à la Cour bouddhique du Cambodge, subsiste une caste de prêtres portant le cordon brahmanique, les «Bakou», qui tout en pratiquant la religion officielle, jouent un rôle important, ont la garde de l'Epée sacrée, et président à certaines fêtes traditionnelles.

Toutefois, cette sorte de fusion des deux cultes n'excluait pas de temps à autre des accès de fanatisme qui se traduisaient par la mutilation systématique des idoles de pierre, bûchées à coups de ciseau ou retaillées sous forme de divinités de la doctrine adverse : c'est ainsi que la stèle de Sdok-Kak-Thom mentionne que «le roi Sûryavarman I dût lever des troupes contre les gens qui arrachaient les saintes images», et qu'au XIIIe siècle une violente réaction çivaïte s'acharna contre les œuvres pies de Jayarvarman VII.

S'il est probable qu'au Fou-nan, où les plus anciens vestiges archéologiques relèvent du bouddhisme, cette religion ait précédé le brahmanisme, ce fut sans doute sous la forme du Hinayâna ou Petit Véhicule, mais de langue sanskrite, plutôt que du Mahâyâna ou Grand Véhicule : ce dernier, n'apparaissant d'une façon certaine qu'à la fin du VIIe siècle, devait triompher à l'époque angkorienne parallèlement au brahmanisme officiel, le plus souvent prédominant.

A l'aube du IXe siècle, l'avènement de Jayavarman II, venu de Java et l'établissement de sa capitale dans la région Nord du Grand Lac, devaient marquer l'instauration d'un culte nouveau, qui se perpétua jusqu'au déclin du royaume khmer : celui du Devarâja ou dieu-roi (en cambodgien Kamraten jagat ta râja). Dès lors le véritable dieu n'est autre que le roi, ou plus exactement «le moi subtil du roi ou l'essence de la royauté», résidant dans un linga considéra comme une incarnation du dieu Çiva.

Placé sur un «temple-montagne» ou pyramide à gradins érigé au céntre de la capitale, ce linga devait être adoré au lieu môme de la résidence du souverain, et l'inscription de Sdok-Kak-Thom nous donne la filiation de toute une famille de prêtres qui, pendant plus de deux siècles, fut chargée de veiller à l'observation du nouveau rituel spécialement établi.

Parallèlement existait an Cambodge le privilège de l'apothéose, dont pouvaient bénéficier non seulement le roi, mais certains personnages de haute lignée, parfois même de leur vivant : d'où l'apparition des « noms posthumes» indiquant le lieu de séjour céleste des rois défunts, chacun étant assimilé au dieu de son choix.Par analogie, vers la fin du XIIe siècle, le roi bouddhiste Jayavarman VII, pour assurer la pérennité de ce culte symbolique du Devarâja, n'hésitait pas à instituer au Bayon, temple central d'Angkor Thom, le culte similaire du Bouddha-roi, matérialisé par la statue-portrait que l'on a retrouvée brisée au fond d'un puits et que l'on a pu reconstituer : cette forme d'adaptation ne devait pas avoir de lendemain, et dès le XIIIe siècle, après un retour du çivaïsme, le bouddhisme du Grand Véhicule, de langue sanskrite, était remplacé par le Petit Véhicule, de langue pâli, auquel le Cambodge est resté fidèle.

DOCTRINES HINDOUES

«Alors que pour les autres groupes humains - nous dit Sylvain Lévi - les sens sont les témoins et les garants irréfutables, pour l'Hindou ils ne sont que des maîtres d'erreur et d'illusion... Le monde des phénomènes, mensonger et haïssable, est régi par une loi fatale, implacable: l'acte est la résultante morale d'une série incommensurable d’actes antérieurs et le point de départ d'une autre série incommensurable d'actes qui en seront les effets indéfiniment transformés... La vie considérée sous cet aspect, apparaît comme la plus effroyable des peines, comme une éternelle perpétuité de personnalités fausses, à prendre et à quitter sans connaître jamais le repos. Le souverain bien ne peut être dès lors que la Délivrance, l'acte sublimé d'où sont éliminées toutes les forces causatives, et qui anéantit à tout jamais pour un système donné la puissance créatrice de i'illusion ».

Tel est le cadre où devaient évoluer les deux grandes religions de l'Inde. Au Cambodge, où elles furent introduites, il parait évident que sous leur forme transcendante elles ne pouvaient toucher qu'une élite, et qu'elles n'ont jamais pénétré profondément les masses : la foule, lorsqu'elle était admise dans les temples, y venait bien moins pour adorer tel ou tel dieu du panthéon hindou que pour se prosterner devant son roi ou ses princes dûment divinisés.

BRAHMANISME

Le Brahmanisme, qui apparaît dans l'Inde plusieurs siècles avant notre ère, dérive lui-même du védisme, basé sur l'adoration des forces et phénomènes de la nature. Son rituel, fixé par les « Brahmana, est fortement teinté de symbolisme et se rattache à un polythéisme particulièrement touffu.Au sommet est la «Trimurti», trinité suprême qui synthétise a les trais états actifs de l'âme universelle et les trois énergies éternelles de la nature : Brahma, l'activité, est le créateur ; Vishnou, la bonté, est le préservateur ; Çiva, l'obscurité, est le destructeur (Madrolle).

BRAHMA

Dans l'Inde comme au Cambodge, Brahma, malgré sa suprématie apparente de créateur du monde, n'a jamais été une divinité de premier plan. Il est représenté avec quatre bras et quatre visages opposés deux à deux, symbole de sa domination sur toutes les régions de l'espace, et parfois assis sur un lotus dont la tige sort du nombril de Vishnou dormant sur les flots. Son épouse « çakti ou énergie féminine est Sarasvatî, et sa monture l'oie sacrée ou«hamsa« «dont le vol puissant symbolise l'ascension de l'âme sers la libération » (Paul Mus).Vishnou et Çiva, par contre, sont prédominants. Après avoir été, durant la période préangkorienne, associé à Vishnou dans la même image, par moitié selon un plan vertical, sous le nom de Harihara, Çiva a d'abord nettement prévalu, tandis qu'à partir du XIe siècle et jusqu'à l'époque d'Angkor Vat il se voyait supplanté par l'autre dieu.

VISHNOU

Vishnou, protecteur de l’univers et des dieux, est généralement représenté debout, avec un seul visage et quatre bras portant comme attributs : le disque, la conque, la boule et la massue. Son épouse est Lakshmi, déesse de la beauté ; on la voit souvent entre deux éléphants qui, la trompe levée l'aspergent d'eau lustrale. La monture du dieu est l'oiseau solaire Garuda, à corps d'homme, serres et bec d'aigle, ennemi dès sa naissance des nâgas ou serpents, en tant que génie de l'Air contre génies des Eaux.Vishnou, sous forme du brahmane nain Vamana, franchit en trois pas le Ciel, la Terre et les Enfers pour assurer aux dieux la possession du monde. Entre chaque période cosmique (Kalpa), tandis que le monde est en sommeil, le dieu lui-même s'endort, couché sur le serpent Ananta que portent les flots de l'océan. Au réveil il s'incarne à nouveau, homme ou animal, et triomphe des forces du mal, instaurant chaque fois une ère nouvelle : ce sont les «avatars» ou descentes du dieu sur la terre, dont les principaux sont au nombre d'une dizaine.

AVATARS DE VISHNOU

Sous la forme de la tortue Vishnou participe au fameux épisode dit du «Barattement de la Mer de lait» tiré du Bhâgavata Pourâna et fréquent en iconographie : les dieux et les démons s'y disputent la possession de l'amrita, liqueur d'immortalité, et la tortue y sert de base à la montagne constituant le pivot. En tant qu'homme-lion (Narasimha), Vishnou déchire de ses griffes le roi des Asuras, Hiranaya-Kasipu, qui avait voulu se faire rendre les mêmes honneurs, que le dieu.

Mais ce sont surtout les deux incarnations humaines de Râma et de Krishna qu'ont chantées les poètes de l'Inde, fournissant aux sculpteurs pour la décoration des murs et des frontons une mine inépuisable de sujets. Les deux principales épopées, le Râmâyana et le Mahâbhârata, nous dit Keyserling, «sont pour les Hindous ce qu’a été pour les Juifs chassés de leur pays le Livre des Rois : la chronique des temps où ils étaient grands sur la terre et de plus en rapports quotidiens avec les puissances célestes». Ils raffolent des légendes, car ils a n'ont aucun sentiment de la vérité historique pour eux le mythe et la réalité ne font qu'un. Tantôt la légende est jugée réalité, tantôt la réalité est condensée en légende. Les faits, par eux-mêmes, sont tout-à-fait indifférents».

Krishna reste très humain. C'est grâce à un échange d'enfants qu'il échappe à la mort dès sa naissance, menant une existence bucolique dans la forêt. D'une force herculéenne, il entraîne un pesant mortier de pierre auquel sa mère l'avait attaché, renversant deux arbres au passage puis adolescent d'une grande beauté, séduit bergers et bergères, les protégeant de l'orage, eux et leurs troupeaux, en soulevant d'un seul bras le mont Govardhana. Dans sa lutte contre l'asura Bana, il triomphe, monté sur Garuda, puis, sur la prière de Çiva, lui laisse généreusement la vie.

C'est sur l'intervention des dieux, qui le supplient de purger le monde du démon Râvana, que Vishnou s'incarne en Râma, fils du roi d'Ayodhyâ. Vainqueur d'une épreuve de tir à l'arc où il s'agissait de tuer un oiseau placé derrière une roue en mouvement, il obtient la main de la belle Sitâ, fille adoptive du roi de Mithila. Chassé ensuite par son père, il va, avec son frère Lakshmana, vivre en ascète dans la forêt en compagnie de son épouse : ils y sont en butte aux attaque des râkshasas. Sitâ, d'abord sauvée des mains de l'un d'eux, Viradha, est enlevée par leur roi Râvana, particulièrement redoutable avec ses têtes et bras multiples, qui l'emporte dans l'île de Lankâ (Ceylan), tandis que les deux frères poursuivaient une gazelle enchantée au pelage d'or. Alertés par le vautour Jatayus qui vient d'assister au rapt, ils entreprennent de reconquérir Sitâ, rencontrent le singe blanc Hanuman qui les mène vers son roi Sugrivâ : ils trouvent celui-ci se lamentant dans la forêt pour avoir été dépossédé de son trône par son frère Vélin, et font alliance avec lui. Vélin est tué d'une flèche par Râma au cours de la lutte, et Sugriva à la tête de son armée part à l'attaque de Lankâ.

Hanuman, envoyé en reconnaissance, retrouve Sitâ au bosquetd'açoka où elle est gardée par les râkshasis (démons femelles) et reçoit d'elle un anneau qui prouvera à Râma le succès de son entre-prise. Il repart, non sans avoir incendié le palais de Râvana, et les singes, après avoir construit une digue pour franchir le bras de mer qui les sépare de leurs ennemis, entament la lutte aux multiples épisodes : c'est la mêlée furieuse dominée par le duel entre Râvana, au char tiré par des chevaux à tête humaine et Rama lui-même monté sur un char ou sur les épaules d'Hanuman. Un fils de Râvana, Indrajit, expert en magie, maîtrise Râma et Lakshmana au moyen de flèches qui se changent en serpents et s'enroulent autour d'eux, mais Canula fondant du ciel les délivre. La victoire reste finalement à Râma, qui retrouve la malheureuse Sita ; celle-ci, soupçonnée d'impureté, est soumise à l'épreuve du feu. Innocentée par cette ordalie, elle est solennellement remise par le dieu du feu, Agni, à son époux, qui remonte enfin sur le trône de ses pères (1).

(1) Nous ne saurions trop conseiller la lecture du Râmâyana. Nous voudrions ici donner une idée de tout le charme qui s'en dégage par ce court extrait de la Légende de Râma et Sita, présentée par Gaston Courtillier (éditions Bossard, Paris 1927). Sita supplie son époux de l'emmener dans la forêt:

Si tu pars aujourd'hui pour la forêt impénétrable, ô fils de Raghu, devant toi je marcherai foulant les plantes épineuses... Emmène-moi, héros, sans hésiter, il n'y a pas de mal pour moi. Au faite du palais, sur les chars, à travers les airs, où qu'elle aille, l'ombre des pieds d'un mari passe avant tout. J'ai été instruite par ma mère, par mon père, de tous ces cas. Je n'ai pas besoin qu'on me dise maintenant comment j'ai à me conduire. Oui, j'irai dans la forêt inaccessible, vide d'hommes, pleine de bandes d'animaux variés, l'asile de bandes de tigres. J'habiterai avec bonheur dans la forêt, tout comme dans la demeure de mon père, ne me souciant plus des trois mondes. ne me souciant que de vivre avec mon époux. Toujours obéissante à ta voix, ascétique, soumise. Je trouverai ma satisfaction avec toi, héros, dans les bois aux doux parfums. Tu es en effet capable. ô Rama, de me défendre contre tout dans la forêt ; qu'ai-je affaire ici du reste du monde, ô donneur de gloire? Oui, je marcherai avec toi vers la forêt aujourd'hui, pas de doute ; je ne puis en être détournée, puissant prince, me voici prête. De fruits et de racines je ferai sans cesse ma nourriture, pas de doute ; je ne te procurerai pas de peine demeurant toujours avec toi. Je marcherai devant toi, je mangerai quand tu auras mangé. Je désire extrêmement voir rochers, étangs, cours d'eau, partout sans crainte, sous ta prudente protection. Et les étangs de lotus, remplis de flamants et de canards : si bien fleuris, comme je serai heureuse de les voir avec toi, mon héros, en ta compagnie ! C'est là que je ferai mes ablutions, toujours fidèle à mes voeux. C'est avec toi, ô mes longs yeux, que j'aurai du plaisir au comble de la joie; même pendant cent fois mille années avec toi, je ne connaîtrai pas l'ennui, car même le ciel n'occupera plus ma pensée et même s'il me fallait rester au ciel sans toi, ô Râghava, sans toi, tigre des hommes, je ne m'y plairais pas ! Je m'en irai dans la forêt aux passes difficiles, peuplée de gazelles, de singes, d'éléphants. Je résiderai dans la forêt comme dans la maison de mon père, blottie à tes pieds, respectueuse. Mes sentiments n'ayant pas d'autre objet, mon coeur étant attaché à toi, si je suis séparée de toi, il me faut penser à mourir; allons, emmène-moi, accueille ma demande : je ne te serai pas à charge par la.

ÇIVA

Dans la Trimurti, c'est Çiva qui, ayant Drahma à sa droite et Vishnou à sa gauche, doit en définitive être considéré comme la divinité suprême, dont les autres ne sont que l'émanation et le reflet.

- Tantôt - bien plus dans l'Inde qu'au Cambodge où l'on s'abstient de le présenter sous un jour macabre, obscène ou terrible - c'est le grand dévastateur, le génie de la tempête et des puissances destructives, tantôt c'est le dieu tutélaire et bienveillant, le dieu qui féconde et qui crée. C'est aussi le premier des ascètes, qui va nu, le corps frotté de la cendre des feux de bouse, vivant d'aumônes et pratiquant la méditation, source de perfection.

Sous sa forme humaine, il est le plus souvent à un seul visage, avec un troisième oeil placé verticalement au milieu du front, les cheveux relevés en chignon portant le croissant, parfois aussi à têtes multiples. Ses bras sont également en nombre variable, son attribut principal est le trident et son torse est barré du cordon brahmanique. Il règle le destin des mondes par sa danse, au rythme effréné de la tândava . Sa çakti ou énergie féminine est, elle aussi, douce ou féroce : douce, c'est Pârvati, déesse de la Terre, ou Umâ la Gracieuse, que l'on voit fréquemment assise sur ses genoux tandis qu'il trône sur le mont Kailasa ou chevauche le taureau sacré (Nandin), sa monture habituelle ; - féroce, c'est Durgâ la Batailleuse qui, aidée de son lion, terrasse le démon buffle.

Le culte de Çiva n'en est pas moins réservé surtout à sa représentation symbolique, la puissance créatrice figurée par le «linga« : précisons qu'il n'y a pas lieu d'insister sur le caractère phallique de cette image, qui, pour des esprits orientaux, domine de beaucoup les humaines questions sexuelles.

Le linga est un fût cylindrique de pierre soigneusement polie, aux arêtes arrondies au sommet, devenant à la base de section octogonale, puis carrée. C'est, d'après la légende, le fourreau de Vishnou (octogonal), puis celui de Brahma (carré) protégeant la terre du contact (lu pilier sacré qui, descendant (lu Ciel comme une colonne de flamme, serait venu se ficher dans le sol. Seule la partie cylindrique saillit du piédestal, recouvert d'une dalle légèrement creusée (snânadroni) terminée par un bec formant rigole et toujours orienté vers le Nord : le prêtre l'arrosait d'eau lustrale qui, s'épandant alentour, symbolisait pluie et fécondité pour l'ensemble du territoire.

De l'union de Çiva et de Pârvati sont nés deux fils, Skanda, dieu de la guerre, dont la monture est le paon ou le rhinocéros, et Ganeça, dieu de l'initiative, de l'intelligence et du savoir. Très populaire au Cambodge, il est à tête d'éléphant et corps d'homme plutôt obèse, ceint du cordon brahmanique. Le plus souvent assis, il plonge sa trompe dans une écuelle qui repose dans l'une des ses mains, tandis que de l'autre il tient la pointe d'une de ses défenses brisée : sa monture est un rat. La légende nous dit que, beau jeune homme à l'origine, un jour qu'il montait la garde devant la porte de sa mère, il voulut empêcher son père d'entrer : furieux, celui-ci le décapita, mais sur les instances de Pârvati, consentit à ce qu'il s'appropriât la tête du premier être vivant qui se présenterait : et ce fut un éléphant....

INDRA ET QUELQUES DIVINITES SECONDAIRES

INDRA - Ancien dieu supérieur du védisme, Indra est resté la principale des divinités secondaires. Il siège au paradis, sur le sommet du Mont Meru, et, armé du foudre ou vajra , fomente les orages générateurs de pluies bienfaisantes. Sa monture est Airâvata, l'éléphant blanc issu du barattementde la Mer de lait, généralement à trois têtes.

KAMA - Kama, dieu de l'amour, est un bel adolescent à l'arc de canne à sucre et aux flèches de boutons de lotus. Son épouse est Rati et sa monture le perroquet.

YAMA - Seigneur de la loi ou juge suprême, qui préside aux enfers: il est monté sur un buffle ou porté par un char traîné par les boeufs.

KUBERA - Dieu de la richesse, est nain et difforme : commande aux Yaksha » ou Yéaks, géants grimaçants aux yeux proéminents et aux crocs saillants : on les trouve notamment comme dvârapâlas ou gardiens aux portes des sanctuaires, armés d'une massue.

Enfin ce sont d'innombrables demi-dieux, répandus à profusion dans la décoration des temples : entre autres les deva bienfaisants, éternellement en lutte avec les asura, ogres et démons —les apsaras nymphes célestes, dansantes ou volantes, nées du Barattement de la Mer de lait et animant le ciel d'Indra de leurs ébats : ce sont aussi les devatâ des bas-relief lorsqu'elles sont au repos, richement parées et tenant des fleurs — les nâgas, stylisation du cobra polycépale, descendants du Nâgarâja, ancêtre mythique des rois khmers, et génies des Eaux.

BOUDDHISME DU MAHAYANA OU GRAND VEHICULE

Ce serait une erreur de croire que le bouddhisme ancien ait éliminé les différentes divinités du panthéon brahmanique : bien au contraire il les a assimilées pour la plupart, mais en leur affectant un rôle subalterne vis-à-vis du Bouddha : conquête d'ailleurs plus apparente que réelle, et qui devait devenir bientôt dans l'Inde une cause de faiblesse.

«Le Grand Véhicule nous dit Madame de Ceral-Rémusat - développe l'aspect surnaturel du Bouddha ; il l'entoure de tout un panthéon de bodhisattvas ou futurs Bouddhas, puis de Dhyani-Bouddhas ou Bouddhas de Contemplation. A la croyance au Nirvâna, préconisée par le Hinayâna, les mahâyânistes ajoutent une suite infinie de Paradis, «Terres pures » où les âmes renaissent selon leurs mérites ».

Le «Lotus de la Bonne Loi», livre canonique, donne la genèse de la formation de ces bodhisattvas, qui sont les saints de la nouvelle religion : parvenus au seuil même du Nirvâna, par la connaissance, ils diffèrent leur propre délivrance pour se consacrer au salut des autres hommes en les enseignant.

Au Cambodge, c'est Avalokiteçvara ou Lokeçvara, fils spirituel du Dhyani-Bouddha transcendant Amitâbha, dont il porte l'image sur son chignon : il personnifie, comme l'a fait remarquer Paul Mus «la notion de providence, étrangère au bouddhisme primitif». C'est «le Seigneur du Monde», dont émanent tous les dieux, et lui-même dieu de bonté et de miséricorde, accessible à tous les humains, une réplique masculine de Kouen-Yin, autre figure dominante du bouddhisme d'Extrême-Orient. Ses attributions sont parfois comparables à celles de Çiva. Assis ou debout sur un lotus épanoui qui l'élève au-dessus du monde, il a généralement quatre bras - ses attributs sont alors le flacon, le livre, le lotus et le rosaire - mais le nombre en peut varier de deux à six, douze et au delà. Le visage porte souvent l'oeil frontal, et les têtes peuvent être multiples et étagées. Dans l'architecture vivante des tours du Bayon, par ses quatre visages orientés aux quatre points cardinaux, il étend sa protection sur toutes les régions de l'espace.

Lokeçvara est aussi représenté paré de bijoux, ou «irradiant» : une multitude de petits êtres émanent alors de son corps — bouddhas, divinités ou demi-dieux - l'engainant de ce que Louis Finot a pu comparer à une cotte de mailles constituée par des figurines accolées.

Dans la Trinité bouddhique, le Bouddha est assis au centre, entre Lokeçvara et sa forme féminine, la Prajnâpâramitâ ou Tarâ, tous deux debout : celle-ci, la Perfection de Sapience », est elle aussi à quatre bras, avec Amitâbha sur le devant de son chignon.

LE BOUDDHA

Toutes les représentations plastiques relevant de la religion bouddhique sont caractérisées par une attitude de méditation : le visage est empreint d'une sérénité souriante et les yeux restent entièrement baissés ou mi-clos.

Le Bouddha, rarement debout ou couché, est le plus souvent assis, les mains faisant un des gestes rituels ou «mudrâ». Debout c'est «l'absence de crainte», les bras le long du corps et pliés au coude, mains dressées, paumes en avant. Assis à l'indienne », les jambes parallèles et superposées et les pieds dans leur prolongement, c'est la méditation », avec les mains à plat dans le giron - ou «la charité », avec la main droite allongée devant la cuisse, paume en-dessus — ou le geste attestant la Terre, de même nature mais paume en-dessous - l'enseignement» enfin, avec les mains ramenées contre la poitrine, un doigt de l'une entre le pouce et l'index de l'autre.

Le Bouddha est vêtu de la robe monastique découvrant l'épaule droite limitée parfois par un simple trait dans la pierre- Le sommet du crâne est marqué par une bosse recouverte par les bouclettes de la chevelure et traitée souvent en véritable chignon : c'est l' usnisha» qui, à l'époque de l'influence siamoise, se termine par une flamme, en même temps que l'ovale du visage s'allonge démesurément. Le lobe de l'oreille est fortement distendu et percé, mais sans bijou.On trouve cependant quelques exemples du « Bouddha paré », portant le diadème et les insignes de la royauté : il est alors considéré comme souverain du monde». Cette conception répond à la légende de Jambupati, un roi qui par orgueil refusait de rendre hommage au Bouddha : celui-ci lui apparaît alors dans toute sa splendeur.

Le bouddha est assis tantôt sur un socle figurant un lotus épanoui, tantôt sur les replis du corps du nagâ Mucilinda, abritant sa méditation sous le déploiement de ses têtes multiples, dressées derrière sa nuque.

Chacun sait que les Bouddhas n'apparaissent sur la terre qu'à de longs intervalles. Le Bouddha historique, Çâkyamuni, fondateur de la religion qui nous occupe, vivait aux VI-Ve siècles avant notre ère et était de haute lignée, fils du roi des Çâkya et de la reine Mâyâ-Devi ; son nom était Siddhartha.

Ses parents, à qui l'on avait prédit son sort futur, voulant l'en détourner en lui évitant tout contact avec les réalités de la vie, lui faisaient mener à l'intérieur du palais une existence toute de plaisirs.

Marié déjà et père d'un enfant, il découvrait bientôt, au cours de promenades, l'existence de la décrépitude, de la souffrance et de la mort par la vue d'un vieillard, d'un malade et d'un cadavre ; la rencontre d'un ascète achevait de le décider à quitter le monde.

S'enfuyant une nuit du palais en abandonnant sa famille et tous ses biens, il menait dès lors la vie errante des ermites, devenait le disciple des brahmanes, mais devant la vanité de leur enseignement, s'adonnait bientôt aux pratiques de l'ascétisme le plus sévère. Affaibli par cette épreuve et sentant qu'elle ne le rapprochait pas du but, il renonçait aux macérations outrancières, s'engageait dans la «voie moyenne et, par la seule puissance de la méditation, échappant à la tentation et au déchaînement des forces du mal, parvenait enfin à l'illumination et à la qualité de Bouddha.

Renonçant à entrer aussitôt dans le Nirvâna et connaissant désormais l'enchaînement des causes et des effets et la voie qui conduit à l'anéantissement de la douleur, il décidait de «faire tourner la Roue de la Loi» en prêchant sa doctrine : enseignement qu'il devait pratiquer pendant 44 ans et poursuivre jusqu'à sa mort

Les principaux épisodes représentés au Cambodge par les sculpteurs sont : le Grand départ», où, accompagné de son fidèle écuyer Chandaka, le futur Bouddha quitte son palais sur le cheval Kanthaka, tandis que les quatre Lokapâlas ou gardiens du monde » amortissent de leurs mains le bruit de ses sabots — la «Coupe des cheveux », tranchés d'un coup d'épée lors du renoncement à la vie du monde —«Offrande des animaux dans la foret», l'Offrande de Sujâtâ», jeune fille qui apporte au sage un bol de riz, l’ Offrande des Lokapâlas», dont il réunit les quatre bols en un seul pour montrer qu'il ne fait aucune différence entre leurs dons — la «Soumission de l'Eléphant Nâlâgiri», enivré par les ennemis du Bienheureux et rendu furieux — la «Méditation sous l'arbre de la Bodhi en l'espèce le banyan ou «ficus religiosa — l’ Assaut de Mira» et de son armée de démons, que la Terre, prise à témoin des mérites acquis par le saint ascète, extermine en les noyant dans le flot jailli de la torsion de ses cheveux, symbole de l'abondance des libations offertes dans le passé — la «Tentation charnelle» par les filles de Mâra, parées de toutes les séductions.

La mort et l'entrée dans le Nirvâna sont traduites par la représentation du Bouddha couché sur le flan droit, l'un de ses bras collé au corps et l'autre replié sous la tête. Enfin les fidèles adorent encore aujourd'hui des empreintes du pied du Bouddha, dont les stries, gravées de signes variés, entourent l'emblème central de la roue ou « chakra ».


CHAPITRE V - Les Monuments d'Angkor
Le dégagement des monuments, en précisant la disposition des bâtiments et leur structure, a fait abandonner définitivement l'hypothèse émise autrefois par quelques auteurs insuffisamment documentés, d'après laquelle certaines au moins des constructions de pierre avaient le caractère d'habitations réservées au souverain, aux princes ou hauts dignitaires. Des quinconces de tours jointes ou non par des galeries étroites et obscures, ponctuées de vestiges indubitablement cultuels, ne constituent pas un palais ; tout au plus les salles longues ceinturant parfois le coeur des édifices, elles aussi bâties en dur mais faites de matériaux moins nobles, plus larges du fait qu'elles étaient couvertes en bois et tuiles, et non plus en pierre, peuvent-elles être considérées comme des lieux de repos.

Le fait que Tcheou Ta-Kouan, dans la relation de son voyage, ne mentionne pas que le palais royal ait été construit en pierre alors qu'il l'indique pour les autres monuments, tendrait à prouver qu'il était fait de matériaux légers, comme tous les locaux à usage d'habitation.« Les tuiles des appartements privés, dit-il, sont en plomb, celle des autres bâtiments sont en terre et jaunes... Les longues vérandas, les corridors couverts sont hardis et irréguliers, sans grande symétrie... Les habitations des princes et des grands officiers ont une autre disposition et d'autres dimensions que les maisons du peuple. Tous les communs et logements excentriques sont couverts de chaume ; seuls le temple de famille et l'appartement privé peuvent être couverts en tuiles. Le commun du peuple ne couvre qu'en chaume et n'oserait employer les tuiles».

Il est acquis que les édifices de pierre que nous voyons à Angkor et dont le schéma architectural obéit à des règles rigoureuses et constantes d'ordonnance et de symétrie, répondaient à des fins monumentales. Satisfaisant seuls au concept de pérennité, imprégnés de symbolisme, ils constituaient l'armature de la capitale et des agglomérations suburbaines faites de matériaux périssables : armature incontestablement religieuse, puisque chacun de ses éléments n'est qu'une floraison de sanctuaires répondant à la multiplicité des dieux et des personnages divinisés : rien d'autre que ces saintes demeures n'était jugé digne de survie.

Les monuments de pierre sont des temples en tant que monuments élevés en l'honneur de divinités. Leur nombre et leur importance peuvent nous surprendre et paraître hors de proportion avec la superficie occupée par la ville et ses faubourgs, comme avec la densité de la population, quelle qu'ait été la ferveur religieuse des Khmers. C'est qu'avec notre mentalité d'Occidentaux nous sommes naturellement portés à voir-en tout édifice réservé au culte l'équivalent de nos églises et de nos cathédrales. Celles-ci, répondant à un besoin de foi général, aux sentiments de piété de la masse, étaient l'oeuvre de tout un peuple, qui s'y réunissait pour prier et pratiquer les rites.

Les temples khmers, au contraire, n'étaient pas des lieux de culte public : oeuvre personnelle des rois ou d'une aristocratie, ce n'étaient que des fondations pieuses destinées dans l'esprit de leurs auteurs à accumuler des «mérites» qui pouvaient d'ailleurs rejaillir sur tous les participants.

Ces réalisations grandioses, obtenues à force de prestations qui sans doute n'étaient pas toujours volontaires, absorbant une bonne part de l'activité de tout un peuple et le vidant jusqu'à la moelle en s'ajoutant aux charges militaires, l'écrasant d'impôts et d'obligations de toute nature, paraient chaque règne d'un nouveau fleuron. Mais si, grâce à cet effort gigantesques le culte du dieu-roi et de tous ceux qui avaient mérité l'apothéose pouvait se dérouler dans ua cadre digne de lui la foule n'était pas admise à honorer ses dieux au sein même de leurs demeures, réservées aux officiants. Avides en tout temps des cérémonies traditionnelles dont parlent les inscriptions, tes fidèles, groupés dans les enceintes extérieures, se prosternaient au passage des idoles et des reliques momentanément offertes par les prêtres à leur adoration, déambulaient en procession dans le sens rituel du e pradakshinâ », qui garde toujours à sa droite l'emplacement sacré, ou le sens inverse du «prasavya» réservé aux cortèges funèbres.

Dans le Cambodge actuel, les monastères ou pagodes» bouddhiques comprennent, outre le vihâra» ou temple entouré de «sema» (bornes sacrées), une salle publique de réunion beaucoup moins monumentale et les logettes réservées aux bonzes : il est permis de supposer qu'autour du temple de pierre de la période angkorienne existait la même cité de modestes habitations et de locaux destinés aux assemblées des moines comme aux laïcs pour les pratiques ordinaires du culte. Tcheou Ta-Kouan, parlant des bonzes qui «se rasent la tête, portent des vêtements jaunes et se découvrent l'épaule droite» tout comme aujourd'hui, mentionne que «leurs temples peuvent être couverts en tuiles, que l'intérieur ne contient qu'une image, tout-à-fait semblable au Bouddha Çakyamuni ; elle est vêtue de rouge. Faite d'argile, on l'orne de vermillon et de bleu : c'est la seule image des temples. Les Bouddhas des tours sont au contraire différents». Ce texte confirme le caractère ésotérique des monuments de pierre et leur destination culturelle.

M. Coedès, se basant sur les dernières découvertes épigraphiques, n'a pas hésité à déclarer «que les principaux temples, ceux qui ont une origine royale, sont des temples funéraires, des mausolées, et, dans une certaine mesure des tombeaux, si l'on admet que des cendres y aient été déposées sous la statue représentant le défunt sous l'aspect divin. Il ne s'agit pas de temples publics ou de lieux de pèlerinages, mais des dernières demeures où les souverains du Cambodge trônaient sous leur aspect divin, comme dans un palais». La mise au jour dans plusieurs édifices de cuves de pierre qu'il assimile à des sarcophages, l'a finalement amené à conclure que les monuments d'Angkor étaient à la fois des temples et des mausolées, «dernière demeure d'un être qui jouissait, dès son vivant, de certaines prérogatives divines, et que la mort avait achevé d'assimiler à un dieu --palais funéraire dans lequel reposaient ses restes mortels, mais où se dressait aussi sa statue le représentant sous les traits d'un dieu».

Dans l'état actuel de nos connaissances, nous pensons qu'il est raisonnable de nous en tenir à cette double affectation, mais en faisant prédominer nettement la notion de panthéon sur celle de nécropole.

IMPLANTATION, STRUCTURE ET SYMBOLISME

En chaque monument d'Angkor se retrouvent des préoccupations d'ordre symbolique visant à en faire une représentation réduite de l'univers : étagement de terrasses figurant le Meru, demeure des dieux, chaînes de montagnes de ses enceintes, océans de ses douves, réalisant une sorte de maquette dûment orientée.

L'astrologie était à la base de toute implantation qui répondait à des fins magiques. L'architecte, aidé du prêtre ou prêtre lui-même, se livrait lors du choix de son emplacement à une véritable «interprétation de l'espace», et c'était face aux quatre points cardinaux qu'il érigeait son édifice à quatre portes, l'Est demeurant, à de rares exceptions près, la direction maîtresse et les diagonales du carré joignant les points collatéraux.

Cette prédominance de l'Est, sorte de glorification du soleil levant, peut être considérée comme la survivance du culte solaire en honneur dans toutes les anciennes civilisations, et qui, le prenant à son lever en son maximum de puissance qui correspond au solstice d'été, le suit durant toute sa course de lumière : l'ambulation rituelle du pradakshinâ selon le pourtour du temple ne serait autre que le traduction vivante de ce périple. Certaines recherches savantes toutes récentes tendraient même à prouver que le choix de la situation respective de la plupart des monuments d'Angkor correspondrait à une sorte de jalonnement de la trajectoire solaire selon des alignements solsticiaux.

Le temple-type de l'architecture khmère est le « temple-montagne », dont les gradins superposés en nombre variable et suivant une loi de réduction proportionnelle constante, auraient pour enveloppante une pyramide. C'est une répliquede l'ancienne «ziggurat» mésopotamienne, la Tour de Babel ou «Porte du Ciel», conception qui se retrouve dans la pyramide aztèque. C'est le Mont Céleste on Meru, érigé selon l'axe du monde (lequel est souvent accusé par un profond puits central) servant de piédestal à l'idole du dieu-roi : symbole d'élévation depuis la base où le fidèle se prosterne et prie, jusqu'au faite où l'officiant s'adresse directement aux dieux et où siège l'âme même du souverain divinisé.

Tantôt la pyramide est couronnée d'un sanctuaire unique, tantôt d'un quinconce de tours évoquant les cinq sommets du Meru ; parfois aussi d'autres édicules en garnissent les gradins. Dans tous les cas, des enceintes carrées ou rectangulaires viennent enclore à la base les bâtiments secondaires — les cycles de montagnes entourant le mont cosmique et séparés par des mers, représentées ici par des bassins-fossés. Le double principe de l'étagement et des enceintes successives est chez les Khmers à l'origine de toute réalisation architecturale.

Bien des fois cependant, principalement dans les monuments de moindre importance de la période préangkorienne ou des débuts de l'art classique, l'idée d'élévation s'exprimait par le simple exhaussement des bâtiments sur une terrasse, où se présentaient comme sur un plateau tantôt un sanctuaire isolé, tantôt un ou deux alignements de tours.

Vers le début du XIe siècle, l'apparition des galeries couvents joignant entre eux les sanctuaires des angles ou pourtournant le groupe central, coupées par des pavillons d'entrée ou «gopura« selon les quatre axes, constituait des préaux intérieurs et accentuait le caractère privé des édifices du culte : souvent même d'autres galeries sur piliers, avec ou sans bas-côtés à demi-voûte, partageaient la cour en quatre secteurs, ou bien, accusant seulement la direction de l'Est, s'élargissaient en salles longues accolées au bâtiment principal, flanquées de part et d'autre d'édicules dits «bibliothèques«, ouvrant à l'Ouest.

Peu à peu, principalement au moment de l'extension du bouddhisme, qui pousse à la vie conventuelle, le temple devenait monastère, le même système de cloîtres fermés par des galeries se répétant en chaque enceinte concentrique. Le plus souvent le dispositif à étagements faisait place à celui d'un ensemble réglé de plain-pied où la notion d'élévation n'était plus figurée que par la succession des galeries séparatives et la prédominance du sanctuaire central. L'axe Est Ouest s'accusait de plus en plus, devenait une enfilade presque ininterrompue de salles et de vestibules, voie sacrée vers le coeur du monument. Dans les derniers grands ensembles tels que Ptah Khan et Ta Prohm, un foisonnement de constructions-annexes venait encore compliquer le plan, qui ne gardait plus rien de sa belle simplicité primitive : mus par un véritable sentiment d' «horreur du vide«, les Khmers accumulaient les rajouts et ne savaient plus voir grand.


CHAPITRE VI - L'architecture
Tandis qu'au Cambodge les descendants directs des bâtisseurs d'Angkor, stupéfiés par la grandeur de l'effort accompli par leurs ancêtres, donnaient aux monuments une origine divine et en attribuaient la construction à Indra et à son fils Viçuakarman, l'architecte céleste, il était de bon ton en Occident, à la suite des révélations d'un Mouhot découvrant Angkor Vat en 1860, d'affecter un certain mépris pour cet art étrange dont on appréciait surtout le charme romantique de ruines aux prises avec la forêt.

Longtemps les manuels d'histoire de l'art le passaient sous silence, et ceci en cette seconde moitié du XIXe siècle qui s'est révélée comme l'une des périodes les plus pauvres en réalisations architecturales de qualité. Dans les milieux cultivés on admirait davantage l'effort ornemental et d'incontestables réussites de détail que la valeur des ensembles, et l'art khmer était tenu pour un art mineur, à la remorque de celui de l'Inde ; un grand poète comme Paul Claudel ne voyait dans les tours d'Angkor Vat que cinq ananas de pierre frangés de flammes.

Cette incompréhension venait à la fois d'une connaissance insuffisante des grands monuments d'Angkor et de l'habitude bien occidentale de rapporter toute chose à ses propres sentiments. L'esprit français pour sa part est épris de raison, de logique et de vérité, soucieux de la technique et de la valeur intrinsèque de chaque forme : il tend d'autre part à instituer une sorte de hiérarchie de l'art.

En Orient, au contraire, la perfection importe peu. Le corps architectural est à base d'expression spirituelle, et le temple angkorien, fait de conventions et de symboles, n'est que la traduction d'une idée, d'une force supérieure aux simples préoccupations de l'esthétique. C'est, matérialisé dans la pierre, le panégyrique du dieu-roi sous forme de cantate à trois voix - mage, architecte et sculpteur : c'est une oblation.

Si nous nous plaçons au point de vue de l'architecte, fort de l'inexorable épreuve du temps, nous sommes fondé à reconnaître que les Khmers, en bâtissant Angkor Vat, en aménageant la place royale d'Angkor Thom et l'admirable perspective de Prah Khan, de son allée de bornes et du lac de Néak Péan, en creusant les deux Barai et le Srah Srang, ont prouvé qu'ils connaissaient l'art des belles ordonnances et réalisé un ensemble unique dans le monde entier. C'est une suite de bonheurs préludant aux conceptions d'un Le Nôtre et des grands urbanistes des temps modernes. Angkor Vat, comparable aux plus vastes compositions des temps passés, répondant à toutes les exigences d'un «parti de plan mûrement établi, atteint à la perfection classique par la sobriété monumentale de ses éléments dûment équilibrés, et la conscience exacte des proportions ; c'est une Ref : œuvre de puissance, d'unité et de goût.

Le conformisme de l'art khmer est indéniable : l'Inde est à l'origine, mais son action est plus fécondante que créatrice. Par elle se sont imposés l'idée directrice et le cadre, des traditions des contraintes ; mais en faisant siennes toutes ces recettes» le Khmer y a mêlé sa propre substance et, dans l'exécution, a gardé un rôle capital. Le constructeur des temples hindous n'a pas le respect da schéma architectural et se laissant emporter par la fièvre plastique, empâte sa composition, déconcerte par l'outrance du décor. Le sculpteur khmer au contraire garde le sentiment de la mesure, et, travaillant toujours en taille directe sur des pans de murs préalablement bâtis, se soumet à la discipline imposée par l'architecture, accuse l'idée-maitresse et souligne les formes par le réseau de ses moulures et de l'ornemention au lieu de nuire à leur pureté ; il ne donne libre cour à sa fantaisie et à sa verve que dans le détail, souvent infime.

Par l'Inde sont venus aussi quelques thèmes de la Grèce et de Rome, d'Égypte et d'Assyrie, des réminiscences d'art arabe ou français du moyen-âge ; ailleurs ce sont des inspirations venues de Chine, et, par une sorte de prescience, jusqu'à certains éléments que l'on retrouve dans les styles renaissance, baroque ou rococo.

Malgré les influences subies, l'art khmer n'en garde pas moins, nous l'avons dit, une forte personnalité ; elle apparaît jusqu'en ses insuffisances, ses pauvretés ou ses défauts, ou ce que nous jugeons comme tels en notre mentalité d'Occidentaux. S'il serait injuste de lui tenir grief d'un manque de spaciosité intérieure qui nous choque mais reste inhérent à la nature même des bâtiments, nous ne pouvons nous empêcher d'être rebutés par l'absence de vérité d'édifices qui, répondant à de pures spéculations de l'esprit, dépassent rarement le stade de l'apparence et de l'impression ressentie.

Le plus souvent l'extérieur ne donne qu'eue idée imparfaite, sinon mensongère, de la structure interne : étages fictifs — proportions truquées -- notion de la nécessité de l'arc, mais appareillé comme un mur et défiant les lois de la pesanteur — envolées d'ogives barrées par des plafonds de bois à hauteur de corniche — débauche d'escaliers trop raides qu'il faut gravir à quatre pattes, les pieds posés de biais — discordances entre le plan et la façade --- simili voûtes, fausses-portes et baies murées — assemblages et coupes de pierres relevant de la technique du charpentier... Ce manque de sincérité dans les moyens d'expression, l'Asiatique ne s'y arrête pas, n'en souffre pas ; nous aurions mauvaise grâce à nous montrer plus exigeants que lui et à troubler par ces misères notre juste appréciation de l'ensemble.

LES ELEMENTS CONSTITUTIFS

Toute l'architecture khmère repose sur les notions d'axe et de symétrie, impliquant nécessairement la répétition des éléments.

LE PRASAT

L'élément fondamental est la tour-sanctuaire ou prasat », abritant l'idole en sa cella de plan carré. Dûment orientée, elle communique avec l'extérieur parfois par deux ou quatre portes, plus souvent par une seule baie ouvrant à l'Est, les autres faces étant murées de fausses portes. Le plan peut devenir cruciforme par l'adjonction d'avant-corps formant vestibules, qui apparaissent vers la fin du Xe siècle.

Des perrons d'axe, généralement précédés d'une marche décorative dite en accolade», accèdent au prasat, édifié sur un socle pouvant reposer lui-même sur un terrasson.

L'étage principal, couronné d'une corniche, a ses piles d'angle à simple ou double redent sculptées ou non de divinités dans des niches. Chaque porte est cantonnée de colonnettes portant linteau, bordées elles-mêmes de pilastres surmontés d'un fronton. Au-dessus, des étages fictifs, presque toujours au nombre de quatre, reprennent le principe de réduction proportionnelle des temples à gradins, avec répétition des mêmes éléments qu'à la base, tandis qu'à l'intérieur les assises de pierre disposées en encorbellement constituent une sorte de cheminée à ressauts, que cachait d'ailleurs un velum ou plafond de bois. Un motif de couronnement à pétales de lotus ferme le tout, d'où saillissait une hampe de métal trident?.

A chacun des ressaute d'étage, la silhouette extérieure s'anime d'antéfixes qui sont souvent aux angles des maquettes de prasat : ainsi la tour-sanctuaire trouve-t-elle- en elle-même son propre décor, affirmant son caractère de temple en réduction.

Les tours à quatre visages de l'époque du Bayon (fin du XIIe siècle) sont une simple variante du prasat.

LES GALERIES

Les galeries pourtournantes réunissant les prasats constituent les enceintes successives, que l'on a coutume de numéroter en partant du centre du monument. Simples elles sont bordées de deux murs dont l'un peut être plein, et éclairées par des baies libres ou garnies de balustres tournés, toujours en nombre impair. Au-dessus de la corniche, elles sont couvertes en forme de voûte à section ogivale plus ou moins surbaissée, masquée intérieurement par un plafond de bois. L'extrados, crêté d'une ligne d'épis ou de petites niches décoratives, imite fréquemment les bombements parallèles de la toiture en tuiles à canaux, terminés par un rang de pétales de lotus.

Formant cloître les galeries peuvent aussi s'ouvrir plus largement sur une face en remplaçant le mur par un alignement de piliers ; ce dispositif, qui n'apparaît guère qu'au début du XIIe siècle, s'adjoint bientôt une seconde rangée de piliers formant bas-côté, couvert en demi-voûte, avec poutre (étrésillon) joignant les points d'appui. Dans les galeries axiales tout mur disparaît, et le passage central est à double bas-côté.

LES ENCEINTES ET GOPURA

Lorsqu'elles ne sont pas limitées par des galeries, les différentes enceintes sont marquées par de simples murs à chaperon. Dans tous les cas il existe sur chaque axe un pavillon d'entrée ou a gopura s dont le corps central, de plan généralement cruciforme, s'accompagne fréquemment de vestibules, de porches, d'ailes latérales et d'entrées secondaires, prenant dans certains cas un développement considérable, surtout sur la face réservée au passage principal. Extérieurement ces gopuras se silhouettent sous forme d'une ou de trois tours comparables à celles des sanctuaires, ou d'une croisée de nefs à quatre pignons traités en frontons.

BATIMENTS ANNEXES

Quelques temples présentent, reliés au sanctuaire central par un vestibule de jonction, une salle longue voûtée avec avant-corps à l'Est, les parois latérales étant elles-mêmes percées d'une porte encadrée par des fenêtres ; ce dispositif se retrouve dans les monuments de l'inde.

Dans la partie orientale de la première enceinte, de part et d'autre de l'axe principal, deux bâtiments de même nature, ouvrant seulement à l'Ouest à l'inverse des sanctuaires et faiblement éclairés par des fenêtres gisantes, reçoivent le nom de bibliothèques . Bien qu'une inscription, trouvée au Prasat Khna semble justifier cette appellation, ces bâtiments, dont l'implantation est certainement rituelle, doivent plutôt, à notre avis, représenter des sortes de sacristies où se trouvaient enfermés, outre les livres sacrés, les divers objets du culte. Lorsqu'il n'existe qu'une de ces bibliothèques, elle se trouve du côté Sud.

Bien que le plan intérieur soit simplement rectangulaire, l'extérieur donne l'impression d'une nef à double bas-côté, une fausse demi-voûte recouvrant la majeure partie de l'épaisseur des murs, surmontée d'un étage d'attique fictif. Le berceau de la voûte se termine par des frontons.

A l'intérieur de la dernière enceinte des temples importants de la fin du XIIe siècle, du côté de l'Est, — on en voit un au Nord de l'axe principal à Prah Khan et à Ta Prohm - des bâtiments, plus larges que de coutume grâce à un système audacieux de voûtes à double courbure, servaient de gîtes d'étape avec du feu. Longtemps appelés dharmaçâlâ, ils sont mentionnés par Tcheou Ta-Kouan : sur les grandes routes, il y a des lieux de repos analogues à nos relais de postes. L'inscription de Prah Khan parle de 121 gîtes d'étape jalonnant les anciennes chaussées du royaume, dont 57 d'Angkor à la capitale du Champâ (chaussée de l'Est, passant par Deng Méaléa et Prah Khan de Kompong Svay) ce qui correspond à des relais espacés de 12 km 500 en moyenne.

En dehors de ces trois types particuliers de bâtiments, on trouve dans les enceintes successives toute sorte de constructions dont le caractère utilitaire s'affirme par la nature des maçonneries et surtout les toitures de tuiles sur charpente en bois, dont on retrouve les vestiges. C'étaient principalement, sur tout le pourtour, une suite de salles longues ou galeries, lieux d'habitation ou de retraite pour les desservants — la foule des laïcs attachés au service du temple étant sans doute logée dans des paillotes aux alentours — magasins et dépôts, abris pour les fidèles.

ABORDS DES MONUMENTS

Chaque temple en principe était entouré d'une ceinture de bassins-fossés qui, nous l'avons dit, représentait l'océan de ce microcosme ; ce pouvait être aussi un efficace moyen de défense. Au droit de l'entrée principale, ou même sur plusieurs axes, des lions ou dvârapâla armés de massues faisaient office de gardiens, puis, franchissant les douves; une large chaussée dallée s'étendait, parfois, sur plusieurs centaines de mètres, bordée de nâga-balustrades sur dés — motif essentiellement khmer — coupée de perrons latéraux, accompagnée parfois d'une vaste terrasse cruciforme propre aux cérémonies et danses rituelles, encadrée de pièces d'eau ; ailleurs, c'était une allée de bornes décoratives menant à quelque barai»


CHAPITRE VII - La construction
Au Cambodge, nous dit Henri Parmentier, il semble que la construction ait été une nécessité ennuyeuse qu'on bâclait le plus possible pour réaliser au plus vite la seule chose qui comptât, la forme, plus ou moins imposée par la tradition.

Il est de fait que les Khmers, spécialisés de tout temps dans l'architecture en bois, où ils se montraient fort habiles, ont fait preuve dans l'art de bâtir en dur de touchantes incapacités techniques, ignorant jusqu'aux rudiments de la stéréotomie. Trop souvent les blocs de pierre n'étaient ni équarris ni réglés en hauteur par assise, et les joints verticaux, filant du haut en bas d'un édifice sans aucun chevauchement, comme aux tours du Bayon, créaient de véritables plans de rupture. La masse des gros murs n'était pas homogène, le corps principal étant revêtu d'un parement simplement accolé, souvent fort mince et fait d'un matériau différent. Les porches ou galeries à larges travées voyaient tout le poids des frontons ou des voûtes réparti sur de longues architraves monolithes reposant sur les piliers et qui, presque invariablement, se brisaient sous l'excès de la charge.

Partout les erreurs et malfaçons sont flagrantes, sans que les corrige aucun chaînage autre que quelques ancrages d'une pierre à l'autre, en certains cas critiques, au moyen de fers plats en double té. Des encorbellements excessifs et l'emploi d'un matériau mixte dans la construction des voûtes, comme l'usage-aux Xe-XIe siècles de poutres de bois doublant les linteaux de grès, ont provoqué maints éboulements. Constamment la pierre est traitée comble le bois, avec les mêmes assemblages, et sans tenir compte du fait qu'elle ne peut travailler à la traction.Et pourtant l'ensemble a tenu, malgré les injures du temps et du climat. Tous ces défauts qui nous troublent ou soulèvent notre réprobation, les Khmers, en tant qu'Orientaux peu soucieux des pauvretés de détail, les toléraient sans que leur oeil ni leur esprit en tussent choqués ; leur appréciation générale sur la qualité de l'œuvre ne s'en trouvait certainement pas modifiée.

LES MATERIAUX

Les temples anciens du Cambodge sont construits soit en grès soit en briques, plus ou moins combinés avec la latérite.

- Le grès - En cambodgien thma phok ou pierre de boue — de couleur variable, est à l'exception du grès rose, particulièrement dur, employé notamment à Bantéay Srei, une pierre tendre et peu résistante. Le grès gris surtout, qui domine, se décompose et devient friable sous l'action des agents atmosphériques, se brise sous l'effort des racines et, souvent posé en délit, se dégrade par lamelles : il garde rarement l'intégrité de ses profils et de son décor, ses faces nettes et ses arêtes vives. Son poids est de deux tonnes à deux tonnes et demie au mètre cube.

D'importantes carrières à ciel ouvert ont été retrouvées à flanc de coteau entre le temple de Beng Méaléa et l'extrémité Sud-Est de la chaîne du Phnom Kulen, à une quarantaine de kilomètres d'Angkor. Le transport devait se faire partie par voie d'eau, partie à l'épaule ou par halage sur rouleaux : les trous ronds de quelques centimètres de diamètre et de profondeur que l'on voit plus ou moins régulièrement répartis dans les monuments sur la plupart des blocs étaient sans doute destinés au logement de chevilles en bois serrées par des liens végétaux, ou des ergots métalliques de sortes de louves, dispositifs permettant les différentes manipulations de la pierre eu cours de la mise en œuvre. Ces trous, en qui la légende voit les empreintes des doigts d'Indra, étaient obturés par la suite au moyen de tampons de grès taillés à la demande ou de bouchons de mortier.

Le grès, employé avec parcimonie au début et presque uniquement pour les motifs d'entourage des baies et les fausses-portes, devait fournir peu à peu la totalité des éléments de la construction, à l'exception toutefois des blocages intérieurs de murs épais, des bâtiments à caractère utilitaire et de certains dallages.

- La brique, utilisée dans tous les édifices d'art primitif, puis dans de nombreux temples de la première moitié de la période classique (IX- X siècles), était fabriquée sur place et fort bien cuite, au point de pouvoir supporter la ciselure et d'être employée dans l'établissement de voûtes à encorbellements successifs. Son moule était variable, pouvant aller de 22 x 12 x 4 à 30 x 16 x 8,5 centimètres et même au-delà. Généralement d'un rose pâle, il semble qu'en élévation elle ait été laissée rarement apparente, étant de préférence recouverte d'un enduit au mortier à base de chaux : c'est dans la pâte de ce dernier qu'était sculpté le décor, sur fond de briques préalablement dégrossi en cas de forts reliefs.

- La latérite ou bai kriem (riz grillé) est une pierre poreuse, d'un ton brun-rouge, qui présente certaines analogies avec notre meulière. Abondante dans le sous-sol de la partie méridionale de la péninsule indochinoise, elle se taille facilement au sortir de terre et durcit à l'air malheureusement certains blocs subissent une décomposition qui les rend friables, ce qui n'a pas manqué de provoquer bien 'des éboulements.

Matériau de remplissage, la latérite, qui supporte le travail de mouluration, a été aussi employée dans la construction des murs de soutènement de temples à gradins, des bâtiments utilitaires, des piles de ponts, des murs d'enceinte et des dallages de cours.

- Le bois, choisi, parmi les essences les plus dures, servait, même dans l'architecture monumentale de la période classique, à l'édification de certains éléments extérieurs légers se combinant avec la pierre.

A l'intérieur des bâtiments on en faisait des poutres de soutien ou de doublure, des charpentes de toits, des portes à pivots à deux vantaux — dont l'emplacement des crapaudines reste souvent visible dans les pierres de seuils — des dais abritant les idoles, des panneaux de revêtement de murs et plafonds richement sculptés : quelques vestiges de ces derniers, ornés de fleurs de lotus épanouies, plus ou moins rongés par l'humidité et les termites, étaient encore en place à Angkor Vat lors des travaux de déblaiement, et des fragments de poutres subsistent dans ce temple comme en plusieurs autres monuments.

- Les tuiles des toitures des bâtiments-annexes, dont on a retrouvé au cours des fouilles de nombreux spécimens, étaient d'excellente qualité. En terre cuite ordinaire ou vernissées, avec talons d'accrochage, elles étaient de deux sortes : les unes plates à rebords formant canaux, les autres courbes formant couvre-joints. C'est le type de couverture dit en tuiles romaines. Le faîtage était marqué d'une ligne d'épis, et, au bas de chaque versant, des tuiles d'about se retroussaient en pétales de lotus ou autres motifs à décor.

LA MISE EN œuvre

- Les fondations - Les monuments d'Angkor étant construits sur un sol résistant de sable argileux, les fondations étaient réduites à leur plus simple expression : une ou deux assises de latérite, reposant parfois sur une couche de pierraille pilonnée. Peu de tassements se sont produits ; sauf sur quelques parties en remblai.

- Les soubassements - Ils existent partout, souvent unis et couronnés d'un simple bandeau en tant que murs de soutènement des gradins d'une pyramide — abondamment moulurés et ornés comme soubassements de terrasses portant ou non des constructions : ils deviennent alors un des éléments les plus remarquables de l'architecture.

Le soubassement khmer a ceci de particulier qu'il reste indépendant du mouvement d'expansion verticale du bâtiment qu'il porte : c'est une base, un plateau, dont émerge comme de la terre même le Meru céleste, c'est la composante horizontale du système. Celle-ci s'affirme par la mouluration qui possède un axe de symétrie horizontal schématisé par un bandeau médian entre deux doucines opposées. La symétrie s'exprime jusque dans le détail de l'ornementation, où seuls les rangs de pétales de lotus sont invariablement tournés vers le haut.- Les murs - Qu'ils fussent en grès, en brique eu en latérite, les murs étaient à joints vifs, sans interposition de mortier : pour la brique seule une sorte de colle végétale dont la formule reste inconnue venait renforcer la liaison.

Dans une architecture où toutes les phases du travail de mouluration et de sculpture se déroulaient sur une maçonnerie déjà montée, il importait de se rapprocher le plus possible du monolithe par l'adhérence parfaite des lits et des joints verticaux, rigoureusement dressés et rendus filiformes. Ce résultat était obtenu au moyen du rodage de chaque bloc par frottement contre les pierres en contact tant de l'assise précédente que de celle en cours de pose : un bas-relief du Bayon (galerie intérieure, face Ouest, moitié Sud) donne des indications précieuses sur le détail de cette opération.

L'épaisseur des murs est essentiellement variable, mais toujours très supérieure aux limites imposées par la résistance des matériaux ; des largeurs d'un mètre à un mètre cinquante ne sont pas rares, et il n'y a guère que les murs de clôture à être construits en parpaings.

Il est vrai que fréquemment un même mur, d'aplomb sur sa face interne du sommet à la base, correspond extérieurement aux décrochements d'éléments fictifs ; d'autre part chacun n'est le plus souvent que la juxtaposition d'un parement et d'un blocage, ce qui en diminue la cohésion.

Il est à remarquer que les cadres des portes ménagées dans les murs de façade ou de refend, et dont les éléments sont traités à assemblages droits ou d'onglet comme le bois, ont toujours leur traverse basse en saillie sur le dallage : l'existence de ces seuils élevés, qui rend la visite des temples si fatigante, devait correspondre à l'idée d'accuser le caractère d'espace clos de chaque cellule et d'augmenter le nombre des sanctuaires en compartimentant à l'extrême les galeries, plutôt qu'à des nécessités d'ordre technique.

- Les escaliers - Le temple à gradins est l' «escalier du ciel : peut-être ce symbole suffisait-il à justifier le côté abrupt de pentes aménagées sous un angle de 45° à 70°, à moins que les degrés de pierre fussent une simple réplique des échelles de meunier des habitations de bois, où l'absence de contremarches permet au pied de se poser quelle que soit la raideur.

Quoi qu'il en soit, les dimensions respectives de la marche et de le contremarche sont inversées par rapport à celles de chez nous, et ce dispositif — où l'escalier, se présentant toujours de front encastré dans le soubassement et sans paliers intermédiaires, transforme la montée en véritable escalade — confirme qu'il n'était pas destiné aux évolutions d'une foule, mais seulement à l'usage de quelques officiants. Du point de vue monumental l'avantage est certain : le carré de la base n'ayant pas à s'étaler démesurément en surface, l'édifice entier se dresse vers le zénith dans un élan qu'on ne retrouve nulle part ailleurs.

— Les voûtes — Le problème de la voûte conditionne l'un des aspects du temple khmer, comme d'ailleurs de toute architecture religieuse d'inspiration hindoue : c'est l'absence de toute grande salle, inutile puisqu'il n'y a lieu d'abriter aucune assemblée de fidèles.

Seule la voûte à claveaux autorise de grandes portées : pratiquée depuis l'antiquité dans les pays occidentaux, elle était connue jusqu'en Chine. Il peut donc paraître extraordinaire gue les Khmers du IXe au XIIIe siècle l'aient ignorée, alors qu'ils employaient l'appareil à joints rayonnants dans des revêtements de puits circulaires, par exemple au Mébôn occidental. Peut-être faut-il voir plutôt dans cette abstention quelque raison rituelle, ou le respect du dicton hindou que nous rapporte Henri Parmentier : «les voûtes appareillées n'ont pas de repos, seules les voûtes encorbellées dorment ...

La voûte khmère, qui ne donne point de poussée sur ses points d'appui tant qu'aucun mouvement ne se produit dans ses éléments, n'est que la continuation des murs par surplombement jusqu'à leur rencontre flans l'axe de l'espace couvert. les assises sont donc à joints horizontaux et encorbellements successifs, coiffées au sommet par une dalle à cheval sur les deux parois.

L'intrados, de forme ogivale généralement assez élancée, est laissé brut lorsqu'il est masqué par un plafond de bois à hauteur des naissances : il est au contraire parfaitement dressé lorsqu'il doit rester apparent et recevoir un décor, notamment dans les demi-voûtes des bas-côtés de galeries. L'extrados est forcément beaucoup plus applati, se rapprochant du plein-cintre, et sa courbe sert de gabarit à la mas-se du fronton.Dans les bâtiments de plan cruciforme, l'intersection des deux berceaux se fait normalement par voûtes d'arêtes, et pour les e prasat s de plan carré on applique le principe des voûtes en arc de cloître, niais souvent interrompues par des parties verticales correspondant aux ressauts des étages fictifs extérieurs.

DÉLAIS D'EXÉCUTION

On ne possède aucun renseignement sur les moyens d'exécution dont pouvaient disposer les Khmers pour la construction de leurs temples. Les bas-reliefs donnent seulement quelques indications sur les opérations de rodage des blocs de pierre, sans qu'y figure le moindre appareil de levage — nous en sommes donc réduits aux hypothèses. A en juger par les conditions actuelles de nos travaux, où notre ou-tillage mécanique se réduit à quelques palans, les Cambodgiens ont dû conserver les méthodes de bâtir de leurs ancêtres. Fort habiles à dresser avec de simples bois coupés dans la forêt et serrés par des liens végétaux les échafaudages les plus hardis, qui mettent en valeur leurs qualités de grimpeurs, ils soulèvent - en s'encourageant de la voix comme tous bons orientaux — les charges les plus pesantes, les portent à l'épaule suspendues à deux perches ou bambous, les halent à grande hauteur sur des rampes en rondins. Il est donc permis de supposer que le levage se faisait de même autrefois au moyen d'échelles ou de plans inclinés, peut-être avec l'aide de treuils ou do cabestans.Georges Groslier s'est livré à des études très poussées sur le temps nécessaire à la construction d'un grand temple du Nord-Ouest du Cambodge, Bantéay Chhmar : ses évaluations, basées sur le raisonnement et la logique plutôt que sur des faits précis, le conduisent à un délai d'exécution d'une cinquantaine d'années et en tout cas, au minimum, de 32 à 35 ans : nous serions assez tenté d'adopter ce dernier chiffre, qui correspond sensiblement à la durée du règne de Sûryavarman II, constructeur d'Angkor Vat: le style très homogène de ce monument autorise en effet à le considérer comme ayant été édifié sans interruption et sous une direction unique.

La thèse de Georges Groslier est d'autre part un argument péremptoire contre l'attribution au seul roi Jayavarman VII, qui régna quelque vingt ans, de la totalité des temples dits du style du Bayon, où abondent les preuves de nombreux remaniements et qui manquent singulièrement d'unité.MOYENS D'EXÉCUTION DES TRAVAUX

L'amélioration du matériel de la Conservation d'Angkor, commencée avant 1955, a été amplifiée par l'attribution d'un lot considérable mis à la disposition de l'E. F. au départ de l'armée française.Monsieur Malleret obtenait ainsi un équipement digne du Groupe de Monuments le plus important du monde.Actuellement, une dizaine de camions, autant de jeeps, 15 2 CV, des élévateurs, chariots, grues, Decauville, échafaudages par tubes, etc., etc..., sont à la disposition d'une vingtaine de techniciens français.


CHAPITRE VIII - L'ornementation
C'est le triomphe de l'art khmer, où l'architecture, nous l'avons vu, n'est que la mise en œuvre d'un rituel. Bien loin de distraire l'attention de l'ensemble de la composition, de la géométrie des lignes et des volumes, l'ornementation souligne et rehausse chaque forme mais sans la dominer; par elle la rigide ossature des profils et des masses s'anime de tout le chatoiement des lumières et des ombrés, tout est en communion de vie. Cadre, scènes à personnages et décor réalisent l'accord parfait.

Aucun monument khmer n'a la froideur ni la sécheresse d'une épure, et c'est à la sculpture ornementale, mode d'expression plastique de l'esprit créateur, qu'il le doit. Même dispensée à profusion comme en certains temples où pas un pan de mur ne reste nu, elle n'est ni déformante, ni de mauvais goût et ne fait fonction de remplissage.

Comme les prêtres, architectes et sculpteurs ne sont que les desservants d'un même culte traditionnel; ils font œuvre pie avec une égale abnégation, tout restant anonyme et impersonnel. L'artiste travaille selon un concept d'abstraction, et ce qu'il exécute est à base de constante répétition : l'art réside en ce que cette répétition n'engendre pas la monotonie mais le rythme.

Pratiquement c'était la seule solution possible ; car il ne suffit pas d'une ordonnance royale pour faire ciseler des kilomètres carrés de murs par des milliers de sculpteurs. L'artiste véritable est un être d'exception, dont l'activité se greffe sur celle du maître d'œuvre. Il était libre sur des thèmes imposés de moduler ses variations, mais entre l'ébauche gravée au trait sur la pierre et les derniers coups de ciseau, il lui fallait avoir recours à toute une équipe de praticiens, d'artisans spécialisés travaillant sur des poncifs et ne pouvant donna cours à leur fantaisie qu'en des détails infimes.

Chacun ayant sa tâche bien définie et, si l'on peut dire, son rayon, pouvait atteindre à une suffisante habileté manuelle à défaut de maîtrise : le Khmer d'ailleurs était trop idéaliste pour s'arrêter à quelques imperfections qu'il tenait pour secondaires tant que la valeur d'intention restait intacte. Parfois de véritables artistes se révélaient, et c'était la prodigieuse réussite d'un Bantéay Srei : partout on gardait une apparence d'unité, rehaussée de quelques points brillants dûs aux mains les plus expertes. Enfin, le nombre très restreint des éléments fondamentaux de l'architecture, l'éternelle répétition des motifs, favorisaient la tâche d'unification : l'évolution du décor était liée seulement au caractère de chaque époque, selon qu'on se trouvait en période d'incubation, d'épanouissement, de cristallisation on de déclin.

LES BAS-RELIEFS

Si l'artiste khmer parvient parfois à s'évader de la rigidité des principes qui le dominent et à laisser transparaître sa personnalité, c'est évidemment sous la forme narrative des bas-reliefs Echappant aux combinaisons strictement ornementales de l'arabesque il peut, sur des sujets tirés de la mythologie ou de l'histoire, des légendes épiques ou de l'ethnographie, sinon se laisser aller à l'émotion, du moins se rapprocher du mouvement, de la nature et de la vie. Il est d'ailleurs probable, sans qu'il en reste rien aujourd'hui, qu'à côté de ces pages de pierre, qui rappellent à certains égards les tapisseries de notre moyen-âge telles que celle de la Reine Mathilde à Bayeux, des fresques peintes dans le même esprit venaient animer la froide nudité des murs intérieurs des sanctuaires.

Sauf à Bakong où, sur le gradin supérieur de la pyramide, nous avons mis au jour quelques rares vestiges d'un déploiement de bas-reliefs à ciel ouvert, il semble que jusqu'au Xe siècle les Khmers se soient contentés de la représentation de quelques scènes sur les champs très limités de linteaux ou de frontons ; les plus remarquables se trouvent sur les tympans de Bantéay Srei. Par la suite l'habitude s'est conservée pour les frontons, qui sont tantôt à composition unique, tantôt à registres superposés ; les Khmers, ignorants des lois de la perspective, avaient choisi ce dernier mode d'expression pour indiquer les plans successifs, le registre inférieur figurant le premier plan.

Au Baphûon, apparaissent des bas-reliefs par étagement de panneaux sur pans de murs étroits : c'est une succession de tableautins qui, quoique d'inspiration légendaire, sont à tendances naturalistes d'ailleurs naïvement exprimées.

A Angkor Vat au contraire, ce sont, sur les douze à treize cents mètres carrés de murs de la grande galerie extérieure, d'énormes compositions en rapport avec la belle ordonnance du monument ; les parois sont entièrement couvertes, sans un vide, sans un repos, formant un tout ou divisées en registres selon la nature des sujets traités qui en font soit des pages débordantes de vie, soit de sévères images hautement stylisées, toutes taillées à fleur de pierre.

Au Bayon enfin, tout au moins à la galerie extérieure, nous quittons les sujets légendaires pour les récits tirés de l'histoire du règne et les scènes de la vie courante. Ces reliefs, traités plus en volume et dans un style familier, sont une source inépuisable de renseignements sur les coutumes des anciens Khmers, peu différentes de celles des Cambodgiens d'aujourd'hui. Situés comme à Angkor Vat dans la partie du temple accessible au public, ils étaient faits pour lui. C'est là que l'artiste, inspiré par une force supérieure, s'efforçait d'associer le peuple à ses propres pensées, de l'initier, de l'élever jusqu'à lui c'était la propagande du moment.

On ne peut quitter la série des bas-reliefs sans mentionner le grandiose revêtement de la Terrasse des Eléphants d'Angkor Thom : sur un développement de près de 400 mètres, ces animaux, sensiblement grandeur nature, sont représentés de profil, participant à des scènes de chasse et traités de façon beaucoup plus réaliste que de coutume. Certains panneaux sont sculptés de beaux garudas en atlantes, et, immédiatement au Nord, la double paroi à redents de la Terrasse dite du Roi Lépreux» montre en plusieurs registres des alignements de femmes au visage très pur qui constituaient les cours des rois des êtres fabuleux qui hantent les flancs du mont Meru : ces divers bas-reliefs sont du style du Bayon.DEVATAS, APSARAS, DVARAPALAS

Ce sont des bas-reliefs à personnages isolés ou groupés, ciselés parfois en pleine muraille ou sur fond de décor, mais le plus souvent abrités dans des niches.

Nymphes célestes, dont le caractère hiératique s'accommode si bien de la présentation de front, les devatâs garnissent en tous temps les redents des sanctuaires puis, au XII siècle, les parois des salles et galeries : Angkor Vat les prodigue par centaines, tenant le visiteur sous le charme de leur sourire toujours empreint de sérénité. La fraîcheur de leur jeune corps au torse nu, la grâce de leurs gestes souples et de leurs doigts fuselés tenant un lotus ou jouant avec des cordons de lieurs, font oublier la lourdeur des jambes, toujours sacrifiées, et la gaucherie de leurs pieds présentés de profil, faute d'avoir su traiter les raccourcis.D'échelle au moins demi-nature, parées de nombreux bijoux, les devatâs diffèrent selon l'époque par le drapé de leur longue jupe ou sarong , et la prodigieuse variété de leurs coiffures et des tiares ou diadèmes ( mukuta ).

La danse liturgique, qui tenait une si grande place dans le rituel — la stèle de Ta Prohm parle de 615 danseuses vivant dans l'enceinte de ce temple — devait fournir au sculpteur l'occasion de s'évader de la rigidité habituelle des attitudes représentées et d'exprimer le mouvement. Mais alors que la danse cambodgienne pouvait permettre de traduire toute la gamme des sentiments humains, l'apsaras apparaît toujours sur la pierre dans une même pose dérivant de celle du personnage volant, d'ailleurs à peu près impossible à tenir, avec seulement quelques variantes dans les gestes des bras ; la stylisation est poussée à l'extrême, et l'usage du poncif n'est pas douteux.

Généralement à échelle réduite, rassemblées en longues files comme à Prah Khan ou par motifs remarquablement composés de deux ou trois comme sur les piliers du Bayon, les apsaras par milliers, vêtues seulement d'un pagne léger moulant les cuisses et dont les pans voletaient derrière elles, est couvertes de bijoux et des plus étincelantes parures de tête : isolées du monde par un lotus épanoui ou volant en plein ciel, elles sont le symbole divin de la joie.

Les dvârapalâs sont figurés debout, armés d'une lance ou d'une massue, sur les pilastres flanquant l'entrée des sanctuaires de certains temples comme Prah Khan : dieu d'un côté, au sourire bien-veillant, démon de l'autre, au caractère menaçant, représenté de façon assez puérile par le rictus sinistre du visage et la contraction des traits, ils ont pour mission de chasser les influences néfastes. D'autres fois, abrités dans des niches sur les piles d'angle des prasat, ce sont de puissants guerriers à l'aspect plus humain et conscients de leur force comme à Prah Kô, ou les charmants éphèbes de Bantéay Brui.

L'ORNEMENTATION MURALE

De toutes les manifestations d'activité de l'art khmer, celle-ci, mieux que toute autre, témoigne dé la puissance d'adaptation du sculpteur et de son extraordinaire prolixité. Il rechigne à laisser nue la moindre surface et dévore littéralement la muraille, mais de l'excès même de ce foisonnement naît une impression de grisaille qui met en valeur les centres d'intérêt, et dont la complication n'apparaît que dans une étude de détail, sans porter préjudice à la netteté des formes et des profils.

Quand un pan de mur est entièrement couvert, c'est tantôt par un revêtement régulier de motifs géométriques ou d'ornementation pure comme à Bantéay Srei, tantôt par la combinaison de quelques parties de décor avec un arrière-plan végétal traité de façon presque naturaliste, comme en certains points du Prah Khan. Comme toujours les éléments-types sont peu nombreux, et leur emploi est à base de répétition, mais non de redites l'évolution est continue et les incidentes se multiplient au cours des siècles.

Dans l'ordre végétal, l'inspiration vient du lotus : boutons, péta-les ou fleurs épanouies, donnant naissance à toutes les variétés de rosaces — parfois aussi, surtout en la première époque, de la délicate ombelle du lotus bleu, rappelant le lotus d'Egypte.

Puis c'est la gamme des feuillages en crosses, dérivés de la feuille d'açanthe, s'étirant en flammes, s'enroulant en volutes, formant hampes ou succession de rinceaux, si proches de notre Renaissance, et parsemés de figurines ou d'animaux. Enfin, jugulant toute fantaisie par l'emploi de quelques formes géométriques simples, le décorateur épuise -toutes les possibilités que peuvent offrir le cercle, le losange et le carré associés par bandes ou par panneaux.Sur les murs ou piliers intérieurs et les tableaux des baies, principalement au XIIe siècle, de fines ciselures à fleur de pierre viennent animer la sévérité des galeries : personnages en prière dans des niches, feuillages légers et tout un déroulement de galons et de frises à pendeloques, véritable travail de tapisserie.

LES COLONNETTES

Destinées à porter le linteau, les colonnettes sont d'une façon générale à section ronde dans l'art primitif (VII-VIIIe siècles), rectangulaire dans le style du Kûlen (première moitié du IXe siècle), puis octogonale dès le début de l'art classique. Entre leur base sculptée d'un petit personnage dans une niche et leur chapiteau, le fût est cerclé de bagues moulurées en nombre variable, séparée par des nus et frangées de feuilles décoratives. Le nombre et l'importance des bagues vont en augmentant de la fin du IXe siècle — époque où se rencontrent les plus beaux spécimens — jusqu'au XIIIe siècle, tandis que les nus se rétrécissent et que les feuilles se multiplient et s’amenuisent jusqu'à disparaître totalement.

LES LINTEAUX

C'étaient, avec les colonnettes, les seules parties en grès sculpté dans les prasat en briques de la première époque. Le décor, venant directement de l'Inde et dérivant Le l'architecture en bois, se composait essentiellement d'une sorte d'arc méplat rehaussé de médaillons, craché aux extrémités par des e makaras s — monstres marins composites à trompe — tournés vers le centre, et laissant tomber une série de pendeloques. Par la suite les makaras faisaient place à des motifs en crosses végétales, le feuillage gagnait de plus en plus transformant l'arc en, véritable branche, et donnait dans le style du Kûlen, avec parfois la réapparition des makaras, quelques pièces de tout premier ordre. C'est à cette époque qu'apparaît au centre et placé haut dans le linteau le motif d'origine javanaise de la tête de Kâla, monstre dévorant armé de deux bras et sensé représenter un aspect de Çiva — le Temps qui détruit toute chose — dont l'emploi devait se généraliser dans les siècles suivants (1).

Dans l'art classique, la branche de feuillage s'impose définitivement : horizontale ou sinueuse, parfois coupée aux quarts par un motif ornemental, interrompue au centre par quelque personnage surmontant généralement la tête de Kâla, elle fait saillie sur un fond de feuilles flammées et de crosses végétales, crachée souvent par des lions et terminée par des nages polycéphales. Les linteaux du style de Prah Kô (fin du IXe siècle), où le décor s'agrémente de multiples petits personnages, sont parmi les plus intéressants, particulièrement développés en hauteur et couronnés par surcroît d'une petite frise.

(1) La tête de Kâla est aussi appelée Tête de Rahu •, démon des éclipses. La légende de Battu est liée au Barattement de la Mer de lait ; le monstre en effet, voleur de l'amrita, liqueur d'immortalité. est dénoncé par le Soleil et la Lune à Vishnou qui, d'un jet de son disque, lui sectionne le corps en deux; depuis, chaque tronçon. demeurant immortel, s'efforce. pour se venger. de dévorer le Soleil et la Lune chaque fois que l'un de ces astres passe à ta portée.

Au XIIe siècle, on rencontre quelques linteaux où la branche est à brisures multiples, puis celle-ci disparaît complètement, l'axe vertical devenant un axe de symétrie pour l'ornementation, faite de longues feuilles flammées émanant de larges crosses, tandis que la tête de Kâla s'abaisse progressivement

LES PILASTRES

Exécutée d'abord sur fond de brique en enduit au mortier de chaux, dont il nous est resté quelques rares éléments, la décoration des pilastres ne devait connaître son plein développement qu'avec la généralisation de l'emploi du grès.

Flanquant chaque porte et supportant le fronton, let pilastres formaient de longues bandes verticales appelant de toute évidence la superposition de motifs identiques. De leur base à leur corniche, toutes deux moulurées, ils pouvaient se couvrir de rinceaux, faits d'une série de crosses végétales, souvent baguées et prenant toute la largeur du panneau jusque vers le milieu de la période classique, puis sans bagues et bordées latéralement de petites feuilles. la fantaisie de l'artiste ne s'exprimant que par l'adjonction de petite personnages et d'animaux participant de l'enroulement des crosses.

Simultanément, et quelle que fût l'époque, se trouvait le type à chevrons», dont chaque élément se composait d'un motif central surmonté d'un fleuron formant pointe et d'où descendaient deux retombées de feuilles symétriques. Le motif central s'accompagnait fréquemment d'une petite niche à arc trilobé abritant une figurine, ou bien, surtout à partir du XIe siècle, d'une hampe de feuillage. Au XIIe siècle, époque où s'affirmait le goût pour les bas-reliefs, de véritables petites scènes à personnages garnissaient la partie inférieure du pilastre au-dessus de la mouluration de base.

En certaines époques, et principalement à celle du Baphûon (XIe siècle), la hampe de feuillage devient motif principal et envahit toute la surface du panneau, donnant un mouvement purement ascendant, en arête de poisson. Parfois aussi apparaissent des superpositions de motifs en forme de lyre (styles du Bakheng et d'Angkor Vat), ou de losanges (fin du IXe siècle).

LES FAUSSES PORTES

Les trois fausses-portes d'un prasat étaient la réplique en pierre de la porte en bois de l'entrée Est : faites de deux vantaux séparés par la barre de fermeture à gros boutons carrés, elles étaient traitées en chacun de leurs panneaux dans le même esprit que des pilastres, mais encadrés d'une riche mouluration de plus en plus envahissante au cours des siècles. Au IXe siècle, des sortes de mascarons (têtes de lion ou autres) marquaient le milieu de chaque vantail correspondant sans doute aux motifs porte-anneaux des portes véritables.

LES FRONTONS

Pour tout esprit méditerranéen, l'idée de fronton implique celle de la figure géométrique du triangle, qui ferme et qui assoit : c'est le couronnement rigide et implacable du temple grec.

Le fronton khmer classique au contraire, simple ou à encadrements superposés, aboutissement de la forme ogivale de la voûte des galeries, participe du mouvement ascendant du prasat : loin d'être inerte, il aspire de bas en haut ce qui se trouve au-dessous et s'élance vers le ciel, servant de base aux autres frontons décroissants qui marquent les ressauts des étages. Sans rien garder de la sécheresse des lignes, il s'enveloppe des souples ondulations de l'arc polylobé du nâga stylisé, dont le corps se dentelle de feuilles flammées, et dont les têtes elles-mêmes se recourbent et se redressent à chaque extrémité. La composition des scènes du tympan vient accentuer encore l'impression d'envol.

Au début toutefois, alors que le fronton de briques, recouvert d'enduit et pauvrement décoré de quelques motifs isolés (réductions d'édifices et personnages), était quelque peu sacrifié au linteau de grès, sa forme était toute différente. Né de l'arc en fer-à-cheval des monuments indiens, il constituait un large panneau rectangulaire à redents, plutôt surbaissé. Souvent réalisé en grès dès la fin du le siècle, son tympan se couvrait d'un décor végétal à grandes volutes formant composition unique, tandis que son encadrement, traité en méplat, se terminait par des têtes de malteras divergentes.

A partir du Xe siècle le makara fait place au nâga polycéphale craché par la tête de Kâla, puis celle-ci disparaît à l'époque du Baphûon (milieu du XIe siècle), tandis que l'arc se bombe, marquant une certaine tendance au réalisme ; au XIIe siècle enfin, le nâga est à nouveau craché par une tête de monstre, rappelant cette fois la tête de dragon. La silhouette générale s'est exhaussée dès l'apparition de la galerie voûtée, adoptant définitivement la formule de l'arc polylobé de proportion très élancée.

Parallèlement, on voit apparaître dès le Xe siècle certains tympans à scènes à côté de ceux à décor végétal, qui ne subsistent que jusqu'au début du XIIe : comme sur les bas-reliefs des murs, les épisodes représentés sont tantôt d'une seule venue, tantôt à registres superposés — formule qui prévaut dans le style du Bayon.

On ne peut omettre de mentionner, aux X-XIe siècles (Koh Ker, Bantéay Srei, Ptah Vihéar) quelques frontons de forme triangulaire d'une grande valeur décorative. Ce n'est qu'un rappel de l'architecture en bois, conditionné par les toitures en tuiles à deux versants antérieures à l'apparition de la voûte : les deux lignes divergentes s'y enroulent aux extrémités en larges spirales (1).

(1) Pour ce chapitre et le suivant, inspirés directement des études minutieuses de M. Philippe Stern et de Mme de Coral-Rémusat sur l'évolution des thèmes d'ornementation, nous prions le lecteur désireux d'approfondir la question de bien vouloir se reporter a l'excellent ouvrage, abondamment illustré, de Madame de Coral-Rémusat : L'Art Khmer , publié par les Editions d'Art et d'Histoire, Paris 1940.


CHAPITRE IX - Les Sculptures en Ronde-Bosse
LES ANIMAUX

Le nâga — stylisation du cobra, est doté de plusieurs têtes disposées en éventail, toujours en nombre impair et allant généralement de 3 à 9. Venant de l'Inde, il figure dans la légende à l'origine du peuple khmer et est le symbole de l'eau.

Constamment représenté dans l'art, il a pris en tant que nâgabalustrade, motif entièrement nouveau, une importance capitale. Au début — notamment à Bakong (fin du IXe siècle) — le corps s'allonge directement sur le sol, et les têtes, très massives donnent une singulière impression de puissance. Par la suite, le corps est surélevé sur des dés, et les têtes, d'abord simplement diadémées, sont de plus en plus largement crêtées, soit de tresses flammées comme à Angkor Vat ou Prah Palilay, soit d'une auréole continue et purement ornementale comme à liens Méaléa : en cette période (première moitié du XIIe siècle), le col est nu et d'une courbe parfaite.

Peu après — par exemple à Bantéay Samré — le nâga est craché, comme aux bordures des frontons, par une sorte de dragon, une tête de Kâla apparaît sur la nuque, et un petit garuda sur la crête axiale. Dans le style du Bayon, ce dernier élément devient dévorant, le nâga n'est presque plus qu'un accessoire, chevauché par un garuda énorme : même supérieurement exécuté comme à la terrasse du Srah Srang, le motif perd toute simplicité de ligne, devient lourd et confus.

Aux portes d'Angkor Thom et de Prah Khan, le nâga porté par les devas et les asuras n'offre aucune particularité nouvelle ; mais sur certains ponts d'anciennes chaussées khmères, probablement d'époque tardive, les têtes du nàga surmontent une image du Bouddha.

Les deux nâgas aux queues enroulées de Néak Péan, dépouillés de toute ornementation, s'apparentent par leur nudité même au nâga Mucilinda, abritant de ses têtes éployées la méditation du Bouddha.

Le lion — Les lions, gardiens des temples dont ils ornent l'entrée de part et d'autre des perrons, sont à vrai dire assez médiocres. Inconnus dans la faune indochinoise, ils imposaient au sculpteur l'obligation de s'inspirer seulement de thèmes venus de l'Inde, de Java ou de la Chine, sans recours direct à la nature.

Philippe Stem a démontré que leur évolution, du IXe au XIIIe siècle, était liée au soulèvement progressif de l'arrière-train et à la stylisation de plus en plus accusée de la crinière.

Dans le style de Prah Ko (fin du IXe), le lion, franchement assis et d'allure très ramassée, ne manque pas de caractère. De suite après, au Phnom Bakheng, bien que la tête demeure caricaturale avec sa gueule énorme et ses yeux exorbités, la proportion s'améliore grâce à l'allongement du corps. Simplement accroupis vers la fin du Xe siècle, ils se dressent de plus en plus sur leurs quatre pattes, cambrés à l'excès, tandis que leurs formes deviennent plus grêles ; dans le style du Bayon la tête est de plus en plus grinçante et parfois tournée de trois-quarts. D'une façon générale la queue, prise dans 1a masse, court tout du long de l'échine ; dans le cas contraire, où elle était peut-être en métal, elle a disparu.

Le gajasimha ou lion-éléphant est une variété de lion avec trompe assez peu répandue.

L'éléphant — On ne le rencontre guère en ronde-bosse qu'aux angles des gradins de quelques pyramides de la première moitié de l'époque classique — Bakong, Mébôn oriental, Phiméanakas — sa taille allant en décroissant progressivement à chaque étage comme tous les éléments de l'architecture ; il marque donc, face à l'extérieur, les quatre points collatéraux. Sculpté de façon assez réaliste dans un seul bloc de pierre, il porte un harnachement complet avec clochettes et grelots.On peut citer également comme ronde-bosse les trois têtes accolées garnissant les angles rentrants des portes monumentales d'Ankor Thom : les trompes descendant verticalement et cueillant des touffes de lotus sont d'un heureux effet décoratif.

Le taureau — Le taureau sacré Nandin, en tant que monture de Çiva, est couché face aux entrées de quelques sanctuaires consacrés à ce dieu. Lorsque le prasat est à quatre baies libres, comme au Phnom Bakheng — et à Bakong, où devait exister un sanctuaire initial en matériaux légers — le Nandin est placé aux quatre points cardinaux, symbolisant le pouvoir de son maître sur toutes les régions de l'espace. A Prah Ko il en existe devant l'entrée unique des trois sanctuaires de la première rangée : on en rencontre également, plus ou moins mutilés, à Bantéay Srei, Ta Keo et Chau Say Tevoda.

Le Nandin est porteur d'une bosse comme le zébu ; assez exactement reproduit au IXe siècle dans une pose naturelle, les jambes antérieures repliées sous le corps, il se soulève ensuite de plus en plus sur l'une de ses pattes, tandis que ses proportions deviennent beaucoup plus grêles et, sa ligne de moins en moins satisfaisante. Il est généralement paré d'un collier de grelots ou d'orfèvrerie.

LA STATUAIRE

Bien des visiteurs s'étonnent de ne voir dans les monuments qu'un nombre infime de statues : c'est qu'il a été reconnu impossible de les y laisser en raison des déprédations et des vols. Les plus belles pièces trouvées dans les fouilles ont donc été envoyées dans les musées de Phnom-Penh, Hanoi, Saigon le surplus étant conservé dans un dépôt.

On a beaucoup médit de la statuaire khmère qui parmi des milliers d'autres simplement honorables, n'a fourni que quelques œuvres vraiment remarquables, susceptibles de satisfaire pleinement notre goût d'Occidentaux et de donner, comme les chefs-d'œuvre de la Grèce antique, le sentiment de la perfection.

C'est que le génie plastique tel que nous le comprenons implique chez l'artiste, en sus de l'inspiration, le sens esthétique, une technique supérieure, et l'affirmation d'une personnalité : ce qui chez les Khmers faisait la force de la sculpture ornementale et assurait en réussite devait nécessairement nuire à nos yeux à la qualité de la statuaire.

L'art khmer, c'est l'idée en quête d'une forme. L'artiste ne s'inspire pas de la nature, ne s'efforce pas de représenter le mouvement et la vie, d'exécuter une belle chose : partant d'un type fixé dans l'abstrait, il cherche à l'exprimer dans le domaine du réel avec une mentalité de visionnaire, et selon la formule de l'immobilité plastique chère à sa race. Son œuvre est un acte de foi, de foi plus collective qu'individuelle, où chacun puisse retrouver ses propres émotions ; le chef-d'œuvre naît de l'intensité de cette flamme intérieure qui l'inspire, de sa communion spirituelle avec la divinité. D'où la pauvreté — pour lui absolument sans importance — de certains détails, et l'accoutumance à tant d'aspects qui nous étonnent: personnages fantastiques et composites, dieux à bras multiples et têtes étagées. De là aussi la puissance d'expression de tant de visages et leur calme beauté, véritable rayonnement de l'âme aspirant à la sérénité bouddhique.

Il est normal que plusieurs des pièces jugées par nous les plus remarquables soient celles datant de la période de début de l'art Khmer allant jusqu'au IXe siècle, où le sculpteur s'efforçait de rendre exactement la vérité anatomique : nous citerons entre autres l'admirable statue de Çiva à huit bras, avec arc de soutien, du Phnom Da (Province de Takeo) qui se trouve au musée de Phnom Penh entourée de deux acolytes, — le Hari-Hara de l'Asram Malta Rosei (Musée Guimet) — le Hari-Hara du Prasat Andet, d'une élégante pureté de ligne (Musée de Phnom-Penh), — plusieurs Vishnous du Phnom Kulen. Une des caractéristiques de cette époque est la coiffure en mitre cylindrique, et l'on ne retrouve nulle part, dans cet art essentiellement chaste, le caractère forcené, délirant et obscène de certaines sculptures de l'Inde.

Dès la fin du IXe siècle, où l'on rencontre, notamment à Bakong et au Phnom Bakheng, quelques superbes corps de femmes d'une grande sobriété d'expression, le sculpteur s'oriente vers la stylisation et une forme d'hiératisme de plus en plus rigide et conventionnelle, qui d'ailleurs ne manque pas de puissance. Puis, de la fin du Xe siècle (Bantéay Srei) à l'époque d'Angkor Vat (première moitié du XIIe), les préférences vont à la statuette, traitée avec plus de souplesse et de douceur dans les visages.

Au XIIe siècle enfin, c'est le concept de spiritualité qui triomphe, et tandis que le corps, d'un modelé rudimentaire et campé sur des jambes massives, a souvent la gaucherie d'une ébauche, tout l'effort se concentre dans le reflet de vie intense né de la méditation de l'être.

Partout, à côté de divinités féminines pleines de charme et richement parées, se multiplient les images du Bouddha assis sur les replis du corps du nâga et qu'abritent ses têtes en éventail ; on en trouve notamment au Bayon quelques exemples empreints d'un profond mysticisme et véritablement émouvants. Certaines représentations de bodhisattvas, qui passent pour être des statues-portraits de personnages divinisés, s'imposent à l'admiration de tous, et avec des œuvres comme la Prajnapârâmita du Prah Khan (musée Guimet) ou le Lokeçvara irradiant du sanctuaire central de ce même temple, laissé sur place, touchent vraiment au grand art.

Le bronze n'a guère livré que des statuettes, exécutées à cire perdue et offrant les mêmes caractéristiques que la statuaire : il n'en est pas moins probable qu'il devait exister des pièces beaucoup plus importantes, que la rareté de la matière a fait passer à la refonte. Au Mébôn occidental, nous avons trouvé dans un puits un important fragment (tête et partie de buste) d'un colossal Vishnou couché, plus de deux fois grandeur nature et remontant au XIe siècle : œuvre de qualité, qui prouve que les Khmers, avec les médiocres moyens dont ils disposaient, ne reculaient pas devant un large emploi du métal.

Il nous reste à dire quelques mots des piédestaux des statues : moulurés et décorée comme les soubassements des terrasses ou sanctuaires avec un axe de symétrie horizontale, ils supportaient, comme nous l'avons vu pour le linga, un plateau à ablutions ou snânadroni permettant à l'eau lustrale de se déverser par un bec invariablement tourné vers le Nord. Sous la statue, à l'intérieur du piédestal, une pierre cubique généralement à 16 ou 32 alvéoles alignées sur son pourtour, recevait le dépôt sacré, constitué par quelques gemmes ou matières précieuses ; il n'est pas impossible qu'elles aient aussi contenu parfois des cendres du personnage divinisé.

Au sommet des tours, à l'intérieur du lotus de couronnement, se plaçait une autre sorte de pierre à dépôts, dalle plate orientée, creusée d'un nombre variable de cavités disposées dans un ordre rituel ; aucune n'a échappé à l'attention des pillards.

Chronologie
Dates Souverains Capitales Monuments Evénements
Epoque formative
Ier-IIe siècles Indianisation de l'Indochine, de la Malaisie et de l'Insulinde. Expansion commerciale de l'Inde vers l'Asie du Sud-Est
225-539 Fan Tchan, etc. Oc-éo Enceintes dans le delta du Mékong Constitution d'un Etat khmer. Royaume du Fou-Ban. Domination sur la Malaisie
Epoque préangkorienne
550 Bhavavarman Ier Phnom Da Royaume du Tchen-la.
Constitution d'une architecture sacrée en dur, prasats en brique et enceintes à gopuram
Division du Tchen-la en Tchen-la d'Eau et Tchen-la de Terre.
Période troublée par des raids javanais.
616-635 Isanavarman Ier Groupe de Sambor
636-656 Bhavavarman II Sambor Prei Kuk Prei Kmeng
657-681 Jayavarman Ier Prasat Andet
VIIIe siècle
Epoque angkorienne préclassique
802-850 Jayavarman II Kulen
Angkor
Roluos
Rong Chen
Ak Yum
Constitution du temple-montage
877-889 Indravarman Roluos Preah-Kô Equipement de la zone d'Angkor:
889-900 Yasovarman Angkor(Yaso-dharapura) Prei Kmeng Equipement de la zone d'Angkor:
900-921 Harshavarman Ier Angkor Baksei Chamkrong
Epoque de transition
921-944 Jayavarman IV Koh Ker (Chok Gargyar) Le Prang et Prasat Thom Usurpation et création d'une capitale nouvelle.Elaboration de l'art classique khmer.
944-968 Rajendravarman Angkor Mébon Oriental Pré Rup Retour à Angkor. Conquête temporaire du Champa
Epoque angkorienne classique
967-968 Rajendravarman Angkor Banteay Srei Classicisme dans le décor Galerie pourtournante. Conquête du Siam
968-1001 Jayavarman V Angkor Phiméanakas
Takéo
Conquête du Siam
1002-1050 Suryavarman Ier Angkor Preah Vihear Conquête du Bassin du Ménam Baray Occidental
1050-1066 Udayadityavarman II Angkor Baphuon 449,954
1066-1080 Harshavarman III Angkor Preah Vihear Raid des Chams contre l'empire khmer Guerre avec les Chams
1080-1107 Jayavarman VI Angkor (?) Vat Phu Guerre civile
1107-1113 Dharanîndravarman Ier Angkor Révolte du futur Suryavarman II
1113-1150 Suryavarman II Angkor Angkor Vat Apogée de la puissance khmère Domination en Malaisie et Invasion du Champa par les Khmers
1150-1177 Dharanîndravarman II
Yasovarman II
Angkor Bang Mealéa
Banteay Samré
Apogée de la puissance khmère Domination en Malaisie et Invasion du Champa par les Khmers
1177-1181 Tribhuvanadityavarman Angkor ruiné Période troublée, guerres de succession, usurpations et chaos. Angkor mis à sac par les Chams Occupation du pays par les Chams
Epoque d'efflorescence baroque
1181-1219 Jayavarman VII Angkor Thom Ta Prohm
Banteay Kdei
Srah SrangPreah Khan
Bayon
enceinte d'Angkor Thom
Reconquête et restauration de la puissance khmère.
Conquête du Champa.
Période de construction intensive et hâtive
1219-1243 Indravarman II Angkor Thom Terrasses royales Le Champa se libère des Khmers
1243-1295 Jayavarman VIII Angkor Thom Fin de l'architecture de pierre Fin de la domination khmère en Malaisie. Décadence
1353 Prise d'Angkor par les Siamois Abandon d'Angkor
1393 Prise d'Angkor par les Siamois Abandon d'Angkor
1431 Prise d'Angkor par les Siamois Abandon d'Angkor
1570-1587 Sâtha Réoccupation d'Angkor Restauration d'Angkor Vat et d'Angkor Thom
L'héritage architectural importé de l'Inde
Les apports de l'Inde ont été déterminants dans le processus de civilisation qui est à l'originie du monde khmer, tant dans le domaine des techniques agricoles que dans celui de la religion; mais nous verrons que cette action se manifeste également avec force en ce qui concerne l'art. C'est pourquoi nous allons récapituler les principaux points sur lesquels s'exerce l'influence indienne en matière d'architecture, et plus particulièrement de constructions religieuses. Car c'est avant tout sur l'aspect des édifices sacrés qu'est perceptible le rayonnement indien. Dans ce domaine, il est évident que les cultes ont une importance capitale: ils conditionnent le programme des bâtisseurs, Or, nous savons que les religions en usage dans le monde angkorien sont originaires de l'Inde, même si certains rites marquent des survivances autochtones. Les grandes religions indiennes, telles que l'hindouisme (brahmanisme, shivaisme et vishnouisme) et le bouddhisme (mahayana et hinayana), ont pénétré massivement dans l'ancien Cambodge, dès l'époque founanaise, influençant aussi bien la forme des lieux de culte que le statuaire et le décor.
Ainsi, l'Inde constitue le ferment, le moteur de l'art khmer. Cela à deux titres: d'une part en tant que source des cultes, donc du programme architectural (car des mêmes nécessités procèdent des formes analogues), et de l'autre en tant que modèle des techniques de construction fondamentales.
Angkor, Henri Stierlin, Fribourg: Office du livre, ©Henri Stierlin 1970.

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Glossaire
ApsaraNymphe ou divinité céleste
AshramErmitage, lieu de retraite et de méditation
BarayLac artificiel cambodgien
BodhisattvaPersonnage sur la voie de la sainteté et qui deviendra Bouddha
ÇailandraNom d'une dynastie de Java, signifiant «Seigneur de la Montagne»
ÇakyamuniLe Bouddha, «l'ascète de la race des Çakya»
ChaityaSanctuaire bouddhique
DevataNymphe ou divinité céleste
DharmashalaGîte d'étape, hospice pour les pauvres
DvarapalaGardien de porte du temple
Garbha GrihaCella d'un temple hindou
GarudaOiseau mythique, monture de Vishnou
Gavaksa«Œil de rayons», voir Kudu
GopuramPavillon d'entrée d'un temple
GuruMaître spirituel hindou
HinayanaPetit Véhicule vers le Salut, nom d'une doctrine bouddhique
HariharaDivinité réunissant les attributs de Shiva et de Vishnou
IndraRoi des dieux, seigneur de l'orage
IshvaraShiva, le Seigneur du monde
JagamohanSalle de réunion des temples indiens
KuduFausse lucarne en fer à cheval, symbolisant la présence de la divinité
LingamSymbole phallique de Shiva, idole placée dans la cella du sanctuaire.
MahayanaGrand Véhicule vers le Salut, doctrine bouddhique
Makara Monstre marin, motif décoratif
MandalaDiagramme magique à dessin géométrique
MandapaSalle de réunion précédant le sanctuaire (dans les temples plats khmers)
MandukaMandala comportant un nombre pair de padas, ou carrés unitaires
MérouMontagne sacrée, pivot du monde, sur laquelle vivent les dieux
NagaDivinité des eaux chez les Indiens et les Khmers, serpent mythique
NagaraPour Nokor ou Angkor: la ville royale, la capitale
NandinTaureau de Shiva
PadaPortion carrée d'un mandala, par extension: quartier de ville
Pallava Dynastie du sud de l'Inde médiévale
Pancharam Maquette d'édifice ornant la toiture d'un sanctuaire
Phnom Colline
Prasat Sanctuaire, tour d'un temple khmer
RathaTemple édifié comme représentation d'un char de procession
Shiva Le dieu suprême, le destructeur
Srah (Sras) Etang, bassin aux ablutions
SthapatiArchitecte du temple, en Inde
StupaTertre funéraire symbolique de forme hémisphérique dans la religion bouddhique
Vat (Wat)Monastère bouddhique
VishnouLe dieu protecteur

Angkor, Henri Stierlin, Fribourg: Office du livre, ©Henri Stierlin 1970.