Situé à 42 km de Yogyakarta sur l'île de Java en Indonésie, le Borobudur
Le Borobudur

Avant d'étudier le monument lui-même, il faut tout d'abord que je vous donne son nom original, car "Borobudur", qui est un des plus beaux mots qui existent au monde - c'est fou ce que c'est musical et poétique - est en fait une simplification du nom original : "Bhumisan Barabadura". Traduit strictement en français, cela veut dire, et c'est très important sur le plan symbolique, "l'Ineffable Montagne des Vertus Accumulées" en langue savante, en langue liturgique. Puis le mot a été simplifié en Borobudur : la "Colline du monastère". On a simplifié à l'extrême en trouvant un mot cohérent. Mais le nom original "Ineffable Montagne des Vertus Accumulées" est important parce que le Borobudur est une montagne initiatique. Il est conçu comme une montagne initiatique à laquelle le sage, ou du moins celui qui aspire à la sagesse, est censé monter degré par degré, palier par palier pour arriver à l'unité du sommet. En fait, sur un plan extrêmement simple, à la base vous avez une multitude de pagodes, de stupa, de niches

et au sommet vous avez un seul stupa, c'est donc le trajet qui va du multiple à l'un.
du multiple à l'un
Et je crois qu'il est important de le rappeler parce qu'à très peu de distance de chez nous, en Occident, un homme construira le même monde mais pour célébrer la cause chrétienne, non pas par l'architecture mais par la poésie : Dante. En effet, si on lit le "Paradis" de Dante, on part des grandes zones du multiple pour culminer après le trajet à l'unité divine. Le Borobudur est exactement construit selon l'architecture du "Paradis" de Dante, et Dante n'est jamais venu à Borobudur vous imaginez bien. C'est une rencontre fortuite sans doute, mais c'est une rencontre que je trouve extrêmement intéressante parce que la démarche est la même : du multiple à l'un.
Le Borobudur est fait de toute une série de terrasses, avec quatre escaliers

aux quatre points cardinaux qui permettent de monter tout droit à cette unité, mais celui qui prétendait non pas visiter le stupa mais "vivre le stupa", ce pourquoi il avait été construit, devait faire tous les trajets, que Dante appelle cercles, et qui amènent jusqu'à l'unité. Chez Dante, aux cercles du paradis correspondent les cercles de l'enfer.
du multiple à l'un
Le Borobudur
est un haut lieu du Bouddhisme
Bouddhisme
Avant de regarder le plan en coupe, il est très important de savoir que nous sommes en plein Bouddhisme mahayaniste à Borobudur. Rappelons que le Bouddhisme hinayaniste est la pure et la stricte doctrine que le Bouddha a enseignée : c'est la loi bouddhique telle que le Bouddha l'a transmise. Le Mahayanisme désigne le Bouddhisme tel qu'au fond il s'est forgé au cours des siècles par porosité avec mille autres systèmes cosmogoniques, philosophiques et religieux qu'il a lentement absorbés. Le Mahayanisme est une religion constituée.
Selon la cosmogonie du bouddhisme mahayaniste, le monde se configure de la manière suivante : c'est une sorte d'immense plateau flottant dans l'absolu, dans les espaces sidéraux et cosmiques. Cet immense plateau est organisé selon un système de cercles concentriques dont le centre est une montagne qui est si grande, si belle, si haute, si pure, si divine qu'elle est au-delà de la perception de l'humain. Les textes bouddhiques appellent cette montagne le Mont Meru.
Mont Meru

Selon les textes, le Mont Meru est la chose indicible au sommet de laquelle le Bouddha, dans un complet recueillement de lui-même, a fermé ses yeux et attend de les rouvrir pour juger l'humanité au terme de son cycle. Tout en haut il y a l'immanence de Dieu au sens strict du terme et, ensuite, le monde s'organise de la façon suivante : sous le Mont Meru se trouve un premier cercle qui est complètement subtil et aérien, que les Occidentaux appellent le ciel, le ciel avec les étoiles et les constellations, les nuages et les vents. Puis il y a un autre cercle qui est le solide, c'est-à-dire la terre, les montagnes, les vallées, etc. Le troisième cercle est le liquide, c'est-à-dire les fleuves mais surtout les mers et les océans. Après les trois éléments fondamentaux, il y a naturellement un cercle qui marque les frontières du monde perceptible, c'est le feu. Au terme des mers disaient les cosmogonies bouddhistes, il y a un rideau de feu qui interdit d'aller plus loin. Les quatre éléments se retrouvent donc : l'éther/le subtil, le solide, le liquide puis le feu et, au-delà encore, il y a les cercles qu'on appelle propitiatoires. Sans entrer dans les détails, il s'agit d'un cercle de lait, d'un cercle de mélasse, d'un cercle d'alcool, etc., qui ne sont pas, comme trop souvent les bons moines l'ont compris, les futurs paradis. En effet, certains moines pensaient que la mort permettait de traverser le cercle du feu pour se baigner ensuite dans la mélasse ou l'alcool, mais ce n'est pas cela! Ces cercles de lait, de miel et d'alcool sont un peu à considérer comme l'énergie qui constitue notre monde et le contient. Ils sont les cercles nourriciers de notre monde. En fait, leur mouvement permet à notre monde de continuer son destin. On a donc l'inconnaissable en haut, ce Mont Meru que personne ne verra jamais, seul le Bouddha peut le voir, puis les quatre cercles du tangible que nous pouvons connaître : l'air, la terre, l'eau et le feu. Ensuite nous retournons de nouveau à l'indicible avec cette espèce d'accumulateur ou de batterie que sont les derniers cercles énergétiques de notre cosmos.
Tout pays qui a été touché par le Bouddhisme à un moment donné a nommé sa plus belle et sa plus haute montagne le Mont Meru. On trouve neuf Mont-Meru ne serait-ce qu'en Chine, trois en Inde, etc., mais c'est une désignation purement populaire.
Mont Meru
Borobudur est exactement cela. Nous voyons sur le plan en coupe le Mont Meru tout en haut et les trois mondes fondamentaux qui sont le monde du subtil/de l'esprit, le monde du solide/de la matière/de la forme et le monde du liquide, c'est-à-dire le monde des passions, tumultueux comme l'eau est tumultueuse. Les trois éléments fondamentaux convergent vers l'unité de l'indicible, c'est-à-dire à la totale transparence. Ces trois cercles
trois cercles
Le cercle inférieur, qui occupe en fait la terrasse inférieure, est le cercle dit de l'apparence, parfois aussi appelé cercle de la manifestation. Il désigne tout ce que l'être humain vit on pourrait presque dire viscéralement : les joies, les peines, les amours, les haines, l'avarice, la générosité, tout ce dont on est très fier quand on vit son quotidien, mais tout ce qui, en fait, n'est rien du tout quand on est un sage. Tout ce dont il faut apprendre à se débarrasser, positif comme négatif d'ailleurs. Puis vous avez le deuxième cercle qui est occupé par les deux terrasses supérieures : le cercle dit de la forme, qui concerne encore la personne physique, non dans sa vie quotidienne mais dans le sens de la biographie du sage : c'est ce qu'on espère, ce qu'on travaille, ce à quoi on peut prétendre faire en approfondissant. C'est dans ce cercle que sont racontées la vie du Bouddha et celles des maîtres antérieurs, c'est-à-dire des Bodhisattva. On y voit des modèles qui disent de faire et d'observer ceci ou cela. Dans le cercle de l'esprit, c'est-à-dire là où l'être n'a plus besoin de corps du tout, là où il devient pur esprit jusqu'au moment où il culmine dans l'Un, dans Dieu, où il fusionne avec Dieu mais ne devient pas Dieu : il rentre dans Dieu qui l'a lui-même délégué préalablement sur terre.
trois cercles
ont bien entendu leur nom et leur désignation.
En synthèse : en bas, c'est la relation strictement biographique
relation strictement biographique


relation strictement biographique
mais quasiment au niveau animal, au niveau des besoins, des passions, des pulsions, des amours et des haines. C'est là qu'on trouverait notamment, si ce cercle était complet, des représentations de guerres mais aussi des scènes érotiques, mais aussi quelques scènes érotiques contre nature, dites contre nature par notre morale judéo-chrétienne. C'est toute chose possible mais c'est simplement toute chose vécue. Tandis qu'au-dessus, c'est toute chose enseignée. On pourrait presque dire que c'est le cercle de l'enseignement
l'enseignement

l'enseignement
pour celui qui veut se dégager d'être simplement, à la limite, un animal et qui veut éveiller son âme. Il doit alors connaître un enseignement qui a pour modèle la vie du Bouddha et celles des Bouddha antérieurs qu'on appelle Bodhisattva. Et dans le troisième cercle qu'on peut appeler la sphère de la révélation
révélation

révélation
, on n'a plus besoin de corps, on n'est plus qu'esprit. On a donc la sphère du vécu, la sphère de l'enseignement et la sphère de la révélation. Ces termes ne sont pas tout à fait orthodoxes mais ils sont peut-être plus clairs que : manifestation, forme et esprit.
Bouddhisme
fondé à la fin du 9e siècle
9e siècle
L'œuvre a été accomplie entre les 8e et 9e siècles et il me semble important de dresser la gazette de ce qui se passait dans le monde à ce moment-là. A l'époque où l'on construisait le Borobudur, l'Europe était sous la loi carolingienne, c'est-à-dire subissait l'héritage du grand rêve de l'Empire romain germanique de Charlemagne, puis elle vivait son démembrement sous ses héritiers. C'est la lente éviction de la dynastie carolingienne et la montée au pouvoir de la dynastie othonienne allemande. Il est assez extraordinaire de se dire que c'est contemporain de la chanson de Roland. Mais si l'Europe se débattait entre l'héritage carolingien et la dynastie othonienne grimpante et montante, elle subissait aussi, par le Sud, un phénomène très important : son islamisation. En Sicile, on construisait les fameuses mosquées qui plus tard, sous la domination normande, seront transformées en églises. Saint-Jean-des-Ermites à Palerme date de la même époque que le Borobudur. Ce phénomène de l'islamisation touchait en fait tout le monde méditerranéen puisque l'Egypte, à ce moment-là, connaissait aussi sa grande islamisation. Le Borobudur est contemporain de la mosquée de Ibn Touloun au Caire, d'Aix-la-Chapelle à propos des Carolingiens, des premières constructions d'Othon en Italie, notamment les fameux châteaux des Pouilles. Pour l'Orient, c'est juste la fin de la grande époque des Pallava et des Chalukya en Inde. En fait, c'est l'époque des premiers signes de lézardement des deux dynasties. Pour être tout à fait précis, le Borobudur est à peu près contemporain du Temple Mallikarjuna de Pattadakal pour les Chalukya et absolument contemporain du Temple du Rivage à Mahabalipuram pour les Pallava. Et en Chine, c'était la fin de la dynastie des Tang. Le Borobudur était construit pendant que l'impératrice Wu Zetian de la dynastie des Tang construisait à Xian la grande Pagode de l'Oie sauvage. C'est une époque de très grandes réalisations et d'expansion de constructions qui marquent le monde. Mais certainement, de tous les monuments existants, le Borobudur est l'un des plus fabuleux, si ce n'est le plus fabuleux.
9e siècle
par des rois hindouistes de la dynastie des Shailendra.
dynastie des Shailendra


La dynastie des Shailendra est, semble-t-il, de lointaine origine indienne, cousine de la dynastie des Chandella qui a laissé beaucoup de monuments en Inde entre les 7e et 10e siècles, notamment les temples de Khajuraho en Inde. La scission de la famille se serait opérée au moment où le tronc dynastique s'est séparé en deux rameaux, l'un demeurant hindouiste, les Chandella, restés à Khajuraho, et l'autre, converti au Bouddhisme, à ce moment-là se serait expatrié en Indonésie au 4e siècle déjà.
L'apogée de la dynastie ici en Indonésie se situe aux 7e, 8e et 9e siècles. C'est le grand moment de la puissance des Shailendra. Le roi, considéré comme le fondateur du Borobudur, portait comme nom Indra (dieu hindouiste représenté sur un éléphant, dieu de la pluie, de la mousson, de la tempête et du vent). En fait, cela montrerait bien que cette dynastie aurait beaucoup hésité entre Hindouisme et Bouddhisme puisque le fondateur du plus fabuleux temple bouddhiste du monde porte un nom hindouiste, Indra de la dynastie des Shailendra. L'oeuvre est surtout signée ou co-signée par son fils, le roi Samaragunta ou Samaratunga (c'est un retournement de labiales, une question d'épigraphie, on peut employer les deux noms). Ce roi a terminé et donné ce Borobudur aux moines bouddhistes qui avaient le parrainage royal. A Java, exactement comme en Inde classique, les dynasties sont la plupart du temps d'appartenance, d'obédience et d'onomastique hindoues, mais elles peuvent être marquées par la révélation de la Loi du Bouddha et, sans se convertir officiellement, se convertir officieusement. Leur conversion
conversion
Nous chrétiens avons toujours tendance à voir dans la conversion quelque chose de définitif, mais en Orient la conversion n'est pas possible officiellement. On ne peut pas se convertir au Bouddhisme quand on est hindou parce que si vous êtes hindou, votre père est hindou et vos enfants seront hindous. Vous êtes né hindou et vous mourrez hindou et le système dans lequel vous vous inscrirez sera un système hindou. Cette notion est importante car elle permet de comprendre l'extraordinaire perméabilité des religions en Inde. Deux exemples ici, deux chefs-d'oeuvre à peu près contemporains : l'un est bouddhiste, c'est Borobudur, l'autre est hindouiste, c'est Prambanan. Les Occidentaux doivent se demander comment il est possible qu'une même dynastie puisse signer en même temps deux chantiers d'envergure aussi énorme que Borobudur pour le Bouddhisme et Prambanan pour l'Hindouisme, car nous ne concevons pas que l'on puisse soutenir deux religions à la fois. Lorsque l'on naît hindou, on est hindou de père en fils. Le destin est ainsi, cela appartient à la même idée que la notion du samsara, c'est-à-dire du perpétuel retour. Vous célébrez les dieux hindous mais libre à vous d'avoir une tendance intellectuelle, plutôt que spirituelle, vers le Bouddhisme et de marquer, de témoigner de votre foi, de votre adhésion à la loi du Bouddha en patronnant une communauté monastique laquelle, au fond, priera pour vous. Cette curieuse perméabilité existe encore dans le Japon d'aujourd'hui où vous êtes parfaitement libre de choisir si vous voulez être ne serait-ce que shintô ou bouddhiste. La plupart des Japonais naissent et se marient selon le rite shintô mais meurent selon le rituel bouddhiste. C'est tout à fait admis et classique avec cette même souplesse dans la mentalité que celle d'il y a un peu plus de 1'000 ans. Le Borobudur et Prambanan ont été construits dans un royaume où les deux religions étaient absolument paritaires.
conversion
est toujours attestée par le don d'un terrain, d'une somme d'argent, voire parfois de pensions aux moines bouddhistes qu'ils tolèrent à leur côté et qu'ils protègent.
dynastie des Shailendra

Le plan de ce stupa représente un mandala.
mandala

Maintenant regardons le plan qui représente un mandala. C'est un terme pali, indien donc, qui veut dire : dessin sacré. En Inde, dans une certaine approche notamment de l'Hindouisme, du Jaïnisme et du Bouddhisme, les fidèles prient en dessinant par terre, en répétant inlassablement des dessins fixés par la tradition qui sont censés leur donner la conscience du divin. Ce sont ces dessins que l'on appelle mandala. C'est la religion bouddhiste qui a le plus développé cet art des mandala. En visitant des expositions d'art tibétain ou d'art népalais, ou d'art du Sikkim, on peut voir ces grandes peintures que les moines accrochent au-dessus des statues du Bouddha et qu'on appelle thangka. Le thangka est un exercice spirituel qui reproduit un mandala sacré. Ce n'est pas une oeuvre d'art car une fois terminée elle n'a plus d'importance : pour le fidèle qui vient ici, c'est "faire le dessin" qui est important. En fait, il va suivre tout ce périple et accomplir ainsi le même travail qu'un moine peintre, qu'un moine enlumineur ou qu'un moine dessinant au sol ses mandala et les répétant sans cesse. Ce mandala est le plus ancien et le plus orthodoxe qui soit : son origine n'est pas bouddhiste mais hindouiste et c'est l'explication du début du monde.
début du monde
A l'origine de toute chose, il y avait le chaos. Le chaos était un être qui n'était pas un être, une forme qui n'était pas une forme, un nom qui n'était pas un nom. C'était l'indéterminé total, l'indéterminé sous toutes ses formes. Il n'avait rien et il avait tout en germe. Il était le devenir parfait. (Pour ceux qui sont un peu habitués à ces cosmogonies, cette notion n'est pas très éloignée de la cosmogonie égyptienne, car c'est le Noun à peu de chose près. Sans début et sans fin, sans passé et sans avenir, sans nom mais avec un nom quand même. C'est le tout.) Les textes appellent ce chaos originel Purusha. La caractéristique de Purusha était dans le non créé : il n'y avait pas encore de terre, de ciel, de soleil, il n'y avait rien. Dans le non créé, Purusha flottait, il changeait sans cesse de forme, de couleur, de saveur, d'odeur, il changeait de nom. Il était l'indétermination totale et, dans une souplesse totale, et un peu comme un ciel de nuages dans l'imagination des mythagogues, Purusha s'étalait. Les dieux qui pré-existaient ont vu Purusha toujours en train de se faire et de se défaire et se sont irrités de son désordre.
C'est une très belle notion que celle des dieux qui ne supportent pas le désordre. Partout au monde, les dieux font de l'ordre. Atoum n'a pas pu supporter le désordre d'un Noun et il a créé le monde. On pourrait même dire que lorsque Dieu le Père organise le monde et, par exemple, sépare le liquide du solide, il fait de l'ordre aussi. Dieu est architecte par excellence. Alors les dieux irrités du Veda sont descendus sur Purusha et l'ont fixé au sol. Selon les hymnes védiques, et c'est très beau comme image, les dieux tenant un énorme filet ont pris Purusha sous ce filet, l'ont couché au sol et sont restés assis sur lui. A ce moment-là, on pouvait commencer à créer le monde.
C'est exactement ce que nous voyons sur le plan : le cercle, forme dynamique par excellence, c'est Purusha, le chaos originel, et le filet des dieux qui se pose dessus, c'est le carré. Le cercle, qui est contenu dans le carré, est l'origine de toute chose. Dans l'Hindouisme védique, ce mandala représente l'organisation du monde, la création du monde et, par là même, le devenir possible du monde. Le Bouddhisme, le Jaïnisme et beaucoup d'autres religions sont des rameaux de cet Hindouisme primitif. Il n'est pas étonnant que les Bouddhistes aient gardé cette même idée. Le carré représente en fait l'absolu, le cercle représente la dynamique de l'absolu. C'est entre l'inertie et le mouvement, entre ce qui n'a pas de mouvement et ce qui en a, que naît le monde, la complexité du monde et le destin du monde. Au centre de toutes choses, il y a à la fois le coeur de Purusha et le coeur des dieux. Le nombril central est à la fois le nombril du devenir, Purusha, et le nombril de l'absolu, les dieux. C'est donc en son centre que se fixe le jour premier de la création. C'est là que tout a commencé, un peu comme le coeur d'un volcan. Dans le Bouddhisme, c'est le grand stupa central qui le représente.
début du monde
mandala
Après avoir parcouru les terrasses inférieures
terrasses inférieures
En regardant le plan, on distingue bien les terrasses et on constate que la première est très complexe, pleine de virages et d'accidents parce que notre vie, quand elle est simplement animale, est faite de passions et d'accidents : joies, peines, bonheurs et malheurs. On remarque que les deux terrasses au-dessus sont beaucoup plus sereines dans leur architecture car l'être subit, comme le Bouddha a subi, des joies et des peines dont on tire leçon bien entendu. Et quand on a dépassé ce niveau, on arrive au cercle parfait.
Les chrétiens aiment à dire : en bas c'est l'inconscient, ensuite c'est le conscient de la révélation, mais ce n'est pas tout à fait cela. On pourrait presque dire que c'est une sorte de marche à suivre pour oser prétendre à arriver plus haut.
Lorsque nous aborderons la visite, nous ne verrons qu'une petite partie du cercle inférieur parce qu'il n'en reste quasiment rien. Ensuite, nous nous baserons uniquement sur l'une des terrasses de la sphère de l'enseignement. C'est celle qui concerne la vie du Bouddha car on a à Borobudur une vie du Bouddha qui est la plus complète qui soit. Nous renonçons à expliquer les reliefs concernant les vies des 43 Bodhisattva
dont la complexité iconographique est telle qu'il faut vraiment être spécialiste pour les aborder, mais chacun pourra les apprécier esthétiquement. Puis nous monterons pour voir la beauté de l'architecture, la pureté architecturale de la zone supérieure où il n'y a plus besoin de bas-reliefs car il n'y a plus besoin de manifestation puisqu'on est dans le cercle de l'esprit.
Mais auparavant, il faut rendre hommage à ceux qui ont fait connaître le Borobudur, parmi eux à Sir Stamford Raffles, au Dr C. Leemans, à Theodoor van Erp et, plus particulièrement, à l'UNESCO qui a, avec le Gouvernement indonésien, si magnifiquement restauré le Bodobudur. Le Borobudur a été occupé, semble-t-il, jusqu'au 12e siècle seulement, puis complètement abandonné parce que le Bouddhisme semble avoir connu à cette époque-là une complète décadence. En fait, il s'est passé ce qui devait se passer : le monument a été regagné par la végétation, par les lianes, endommagé par les tremblements de terre. Il s'est complètement descellé au point qu'on ne voyait plus qu'une espèce de colline sans forme.
terrasses inférieures
ornées de bas-reliefs, les pèlerins
pèlerins


Ici, nous avons aussi cette notion de cercle. Selon la technique spirituelle bouddhiste tout à fait classique, le pèlerin devait faire chacune des étapes en tournant autour du stupa, jusqu'au plus petit tour qui est celui de l'unité tout en haut. Ce fameux rite est déjà cité dans des textes pré-védiques au-delà de 2'7OO avant J.-C.
Ce rite s'appelle en Inde
Inde
Mohenjo-Daro, qui est le plus vieux site de l'Inde, marque exactement le palier entre la préhistoire et l'histoire. Cette civilisation est encore extrêmement mystérieuse. On la connaît très mal parce qu'on a encore peu d'objets de fouille, mais on sait que c'est là que les premiers dieux de l'Inde, les premiers temples de l'Inde, les premiers prêtres ont donné son visage à la religion classique de l'Inde. Or, à Mohenjo-Daro on a découvert un temple consacré à une déesse-mère avec déjà cet énorme sein et cette énorme hanche, caractéristiques de celle qui donne la vie. C'est un temple circulaire entouré d'une balustrade où celui qui voulait célébrer la déesse-mère s'approchait et s'isolait dans la balustrade. Il se mettait dans l'espace de la balustrade où il était considéré comme déjà appartenant au monde des dieux et il tournait autour
Inde
le rite de la pradakshinapatha. Et ce rite porte le nom de pradakshinapatha aussi bien dans le domaine de l'Hindouisme que du Jaïnisme ou du Bouddhisme : c'est tourner autour du divin pour éveiller le divin, c'est-à-dire amener la statue à vivre et donc à exalter sa puissance, mais en même temps prendre conscience du divin, le connaître sous tous ses aspects. La pradakshinapatha s'accomplit toujours dans le sens des aiguilles d'une montre, quelle que soit la religion. En Inde et jusqu'au fin fond du Sud-Est asiatique, toujours vous avez votre main droite en contact avec le naos. C'est pour cette raison que la traduction la plus académique et la plus juste de pradakchinapata est : circumambulation dextrogire. C'est exactement ce que les pèlerins font ici, ce qu'ils accomplissent étage après étage. En règle générale, dans les religions de l'Inde, et dans le Bouddhisme en particulier, il n'y a qu'un niveau de pradakchinapata, et il suffit. Mais nous sommes ici dans un Bouddhisme déjà tellement savant, tellement culturé, tellement complexe que c'est toute une série d'étages correspondant à toute une série de zones de prise de conscience qui nous amène à l'unité
.
pèlerins
accèdaient au stupa central
stupa central


stupa central
, symbole de l'Absolu. A la suite de ses découvreurs
découvreurs
Je vais vous montrer une gravure. C'est intéressant de savoir que c'est un Anglais qui, le premier, a remarqué l'importance du Borobudur, très tôt d'ailleurs en 1815. Waterloo et découverte du Borobudur, vous voyez que ce n'est pas mal! Ce personnage s'appelait Sir Stamford Raffles et c'est lui qui a publié en 1817 à Londres les premières gravures montrant le site de Borobudur et les premiers bas-reliefs qui sont à mourir de rire (et c'est dommage qu'on n'en reproduise plus dans aucun livre). Le graveur, qui était naturellement un Anglais de Londres, n'était jamais venu ici et n'avait pour toute documentation que les dessins de Sir Stamford Raffles. Se disant que le pauvre ne savait pas dessiner, il a complètement hellénisé ces figures et rendu Borobudur complètement néoclassique et grec, on dirait l'autel de Pergame.
Il faudra attendre très longtemps, quasiment la fin du 19e siècle, pour que de grandes restaurations soient entreprises. La première restauration a été hollandaise, due en fait à un spécialiste de Leyde qui s'appelait le Dr C. Leemans. Il a été le premier à avoir le mérite de dégager le Borobudur et de commencer à étudier les bas-reliefs et, ses crédits étant extrêmement limités, à remonter ce qui était immédiatement remontable. On peut donc presque dire que le père du Borobudur d'aujourd'hui, celui grâce auquel ce site a été un siècle plus tard sauvé, c'est le Dr Leemans.
La restauration qui suivra est aussi une restauration hollandaise, celle de van Erp. Il faut cependant relever que ces différents savants, Raffles puis Leemans puis van Erp, n'ont pas eu le grand problème que le Borobudur rencontre aujourd'hui avec la pollution et la maladie de la pierre. Voici des documents extraordinaires : une photo de 1910 et une photo de 1960 qui nous permettent de nous rendre compte de l'incroyable lèpre du Borobudur mais aussi de l'effritement de la pierre qui provoque le tassement du terrain et la déformation du site et, par là même, sa mise en déséquilibre et donc son inévitable ruine, ce qui a amené l'UNESCO à s'intéresser au site.
La première restauration de l'UNESCO a été commencée en 1948, donc très tôt. C'était une opération de sauvetage, on peut le dire, c'était vraiment le radeau de la Méduse à ce moment-là. La deuxième restauration a eu lieu de 1971 à 1984 et ce que nous voyons maintenant en est le résultat. On ne peut pas dire que cet état soit définitif, parce que tout peut encore arriver. Il faut rendre hommage d'une part à l'UNESCO mais, d'autre part, au gouvernement indonésien d'avoir su isoler le Borobudur de façon aussi magistrale en créant tout autour ce magnifique jardin. Maintenant le Borobudur est beau comme une Jérusalem céleste et a retrouvé une noblesse qui est absolument merveilleuse.
Il y a eu encore une petite restauration à la suite d'un attentat sur le sommet du Borobudur où une bombe avait explosé et endommagé un certain nombre de stupa à croisillons. C'est une preuve de plus que l'imbécillité est internationale. Quand on n'attaque pas la Pieta de Michel-Ange à Rome, on attaque le Borobudur.
découvreurs
, visitons ce monument unique magnifiquement restauré par le Gouvernement indonésien et l'UNESCO.
Le cercle inférieur, comme van Erp l'avait signalé en premier, semble bien avoir été entièrement sculpté de bas-reliefs

Cause de laideur: la colère, la rancune, la disimulation, l'ironie, dire du mal d'autrui, ne pas nettoyer les cours des temples et des monastères, détruire des images saintes, se moquer des disgraciés, être malhonnête. Ici mener une vie oisive (chat en bas à droite)
admirables comme ceux que nous voyons ici, mais pour être cachés, pour être enterrés de façon à ce qu'en arrivant ici, le pèlerin puisse prendre conscience qu'il doit être déjà au-delà de ses passions. En fait, ce pied caché a été découvert à la fin du 19e siècle mais hélas avec trop de manques pour qu'on puisse le rétablir dans son entier. Nous avons ici quelques détails qui montrent très simplement la vie de tous les jours dans ces fameuses passions et pulsions. Par les fragments que l'on a pu retrouver, on sait qu'il y avait des scènes de guerre, des scènes de vie familiale, des scènes d'amour c'est une évidence, beaucoup de scènes représentant ce rapport extrêmement privilégié que l'oriental entretient avec les animaux. C'est un peu comme dans les mastaba de l'Egypte ancienne où l'on voit toujours les gens soigner leurs animaux, leur "biquette". De plus, cela correspond exactement au piétement des temples hindouistes. A Khajuraho, qui date de la même époque, la base du piétement nous montre des scènes de guerre, des scènes de palais, des scènes avec danseuses du ventre, des scènes érotiques, etc. Ces scènes représentent le Maha-Karmavibhanga.
Maha-Karmavibhanga
ou "Grande classification des Actes". Il s'agit d'un ensemble de texte sanskrits peut-être composés par des religieux bouddhistes indiens, qui furent traduits en chinois en 582, à partir de textes provenant d'Asie centrale (Kuche). Ce texte aurait été écrit par Paramārtha ou Kulanātha (499 - 569) originaire de la ville d'Ujjayinī située en Inde centrale. Envoyé comme missionnaire, il fut invité en Chine par l'empereur Wudi des Liang. Il entama en 548 une carrière de traducteur de textes bouddhistes qu'il poursuivit jusqu'à sa mort. Ce fut Sylvain Lévi, qui entre 1929 et 1932, alors qu'il étudiait les 160 bas-reliefs de la base cachée photographiée par Cephas au début du siècle dernier, les identifia comme illustrant des textes du Maha-Karmavibhanga.
Maha-Karmavibhanga
Ici en Indonésie, la notion du Karma a un peu un autre sens qu'en Inde car c'est vraiment le destin du vécu.

La médisance amène la laideur physique
Si on en reste là, on traîne dans ce vécu. Du point de vue de la qualité des bas-reliefs, il faut bien dire qu'ils sont parmi les plus beaux.

Décor floral et singes, détail d'un des piédroits du mur de la première galerie (ou terrasse carrée).

La Jâtakamâlâ - "Guirlande des naissances" - est un receuil de contes très populaires, constitués de 547 textes consacrès aux existences antérieures de celui qui allait devenir le bouddha Shakyamuni. Les avadanas sont similaires aux jātakas, mais le personnage principal n’est pas le Bodhisattva lui-même, mais à d’autres personnages légendaires dont la vie a été exemplaire et qui ont servi à l'avénement du Bouddha. Les jātakas et avadanas sont traités ensemble dans la même série de bas-reliefs. Ces bas-reliefs nous exposent comment des actes passés conditionnent les vies futures.

"Un monstre attaque un navire". Histoire d'une tortue: Un Bodhisattva se transforme en tortue et sauve les naufragés puis se sacrfie pour les nourrir. 193e bas-relief des 372 de la balustrade de la première galerie (ou terrasse carrée), registre supérieur, côté ouest, quartier nord-ouest du Borobudur

Légende de Chûla-Nandiya. Deux singes sauvent leur mère et le chasseur est puni. "Un singe récolte des fruits pour nourrir sa mère aveugle". 198e panneau des 372 bas-reliefs du registre supérieur de la balustrade de la 1ère galerie, face ouest, quartier nord-ouest du Borobudur.


"Le roi fait proclamer sa décision au son du tambour" Contre une sécheresse, un brahmane exige du roi le sacrifice de 100 sujets. Le roi décrète choisir les plus mauvais sujets. Tous deviennent vertueux. La sécheresse cesse. 42e bas-relief des 372 de la balustrade de la première galerie (ou terrasse carrée), registre supérieur, côté est, quartier sud-est du Borobudur.

"Le Bodhisattva dans la forêt". Jataka de l'histoire du lièvre où le lièvre jure à ses amis d'offrir sa propre chair si un nécessiteux venait. Shakra apparaît mais ne tue pas le lièvre et allume un feu. Le lièvre s'y jette et renaît aux cieux. 23e bas-relief des 372 de la balustrade de la première galerie (ou terrasse carrée), registre supérieur, côté est, quartier sud-est du Borobudur.

Jataka de la tigresse affamée. "Le Bodhisattva, enfant, est purifié" Devenu adulte il s'offre en pâture à une tigresse prête à dévorer son petit. 1er des 372 bas-reliefs du registre supérieur de la balustrade de la première galerie (ou terrasse carrée). Côté est, quartier sud-est du Borobudur.
Le Lalitavistara est un sûtra décrivant la vie du Bouddha Shākyamuni. L'original sanskrit, en prose, narre la vie du Bouddha depuis sa dernière existence jusqu'au premier enseignement de Bénarès. Il comprend 27 chapitres. Le Lalitavistara a été traduit pour la première fois en chinois en 318 et en tibétain au VIIe s. par l'érudit Jinamitra et le moine traducteur Yéshé dé.


Vue de l'angle sud-est et, à gauche, les 17e bas-reliefs de la première galerie (ou terrasse carrée) du Borobudur. Au registre supérieur: "Maya raconte son rêve au roi" et au registre inférieur: "Sudhana montre son adresse au tir à l'arc".

Parcourons quelques dizaines de ces panneaux.
C'est une version extraordinairement mahayaniste que nous avons ici puisque en fait, le Bouddha préexiste à sa manifestation terrestre. Il existe déjà au ciel depuis longtemps mais, sentant que le moment est venu de sauver l'humanité, il décide de venir s'incarner et l'on va assister à son incarnation. Le Lalita indien commence avec la naissance tout à fait physique et normale du Bouddha et ne présuppose pas cette prédestination qui est tellement importante.
Le début se situe dans la ville de Kapilavastu dont le roi s'appelle Shuddodhana et la reine Maya Devi. Ils vont être le père et la mère du Bouddha. A Ajanta, nous trouvons cette même scène qui représente le silence de Shuddodhana, qui est une très belle idée du Mahayana d'ailleurs. Shuddodhana adorait son épouse Maya Devi mais se désolait de ne pas avoir d'enfant et, au lieu de la répudier, au lieu de la chasser, il est entré dans un silence total. Il était complètement impassible et c'est cette impassibilité même qui a été insupportable à Maya Devi. C'est à ce moment-là qu'elle a commencé à demander au ciel de lui envoyer un enfant d'une façon ou d'une autre, mais elle ne savait pas ce qui l'attendait, bien entendu. Ce bas-relief est très beau : Shuddodhana est complètement hiératique, Maya Devi a une attitude entre la tendresse contenue et une espèce d'humilité, de culpabilité. C'est le fameux moment où, devant toute la cour désolée, on voit le couple royal séparé par le silence de Shuddodhana qui n'a pas de descendance.
Chose très curieuse en fait, comme dans le Christianisme, Maya Devi saura qu'elle va donner naissance à un être exceptionnel et Shuddodhana ne le saura pas, comme Marie le savait mais Joseph ne le saura que plus tard. Ce relief nous montre ce moment qui n'est pas tout à fait Annonciation mais où, déjà enceinte, elle se repose dans son palais à la campagne. En effet, le couple s'est séparé et Shuddodhana est resté dans son palais en ville. Maya Devi est au milieu de ses suivantes et elle dort. Elle rêve

Détail du 13e des 120 bas-reliefs de la vie du Bouddha. "La reine Maya rêve qu'un éléphant blanc pénètre en son sein". Registre supérieur de la première galerie, mur est, quartier sud-est du Borobudur

obsessionnellement de l'apparition d'un éléphant miraculeux lequel, suivant les pays et les textes, peut être un éléphant blanc ou un éléphant à six défenses ou un éléphant à quatre défenses, ce qui n'a aucune importance. C'est un éléphant tout simplement, symbole de la force même d'une dynastie. Donc Maya Devi sait déjà dans son coeur qu'il va se passer quelque chose et, en fait, elle sait qu'un jour elle va donner naissance à un être d'exception. Nous voyons ici le petit éléphant qui flotte dans les airs, posé sur des lotus. Pour bien marquer l'importance du rêve, on a mis au-dessus de lui le chhatra, c'est-à-dire le parasol, symbole royal et impérial.
Dans une civilisation , encore très animiste, le rêve est très important. Des scènes où la reine essayera de savoir quel est le sens de son rêve

Détail du 17e des 120 bas-reliefs de la vie du Bouddha. "la reine Maya raconte son rêve au roi". Registre supérieur, 1ère galerie, mur sud, quartier sud-est du Borobudur

sont donc tout à fait normales ici, alors qu'en Inde , on ne les traite jamais. Chaque pays adapte le Lalita selon sa culture. Mais la représentation du palais est très intéressante parce qu'elle nous permet d'admirer l'architecture palatiale

Détail du 54e des 120 bas-reliefs de la vie du Bouddha. "Siddhârtha reçoit 3 palais du roi son père". Registre supérieur du mur ouest de la première galerie, quartier sud-ouest du Borobudur

dont nous n'avons plus aucun témoignage, puisqu'elle était de brique et de bois, mais à Borobudur elle est transcrite dans la pierre de l'architecture religieuse.

C'est une preuve très importante.
Maya qui vit une grossesse paradisiaque n'a qu'un désir, celui de donner naissance à son enfant en dehors de la ville. Elle choisit un jardin qui lui appartient en propre, que le roi lui a donné, et c'est dans le jardin de Lumbini que, selon la saga bouddhique, naîtra le futur Bouddha. Le départ

Détail du 27e des 120 bas-reliefs de la vie du Bouddha. "La reine Maya se rend au jardin de Lumbini". Registre supérieur de la première galerie, mur sud, quartier sud-est du Borobudu

de la reine sur son grand char pour Lumbini

Détail du 27e des 120 bas-reliefs de la vie du Bouddha. "La reine Maya se rend au jardin de Lumbini". Registre supérieur de la première galerie, mur sud, quartier sud-est du Borobudu

est un des bas-reliefs clés.
Selon le Lalita original, le Bouddha va naître dans la 17e heure qui a suivi l'arrivée de la reine à Lumbini, comme s'il avait senti qu'il était à Lumbini. Effectivement, 17 heures après son arrivée, la reine Maya Devi a été prise de douleurs et là le Lalita nous dit quelque chose de très beau : elle a senti des douleurs dans sa poitrine et non pas dans son ventre. Oppressée, pour reprendre son souffle, elle s'est accrochée

Le détail montrant la reine Maya se tenant à l'arbre du 28e des 120 bas-reliefs de la vie du Bouddha. "La reine Maya donne naissance au jeune Siddhârtha". Registre supérieur de la première galerie, mur sud, angle sud-est du Borobudur.

à une branche d'arbre et son flanc s'est ouvert. Et lorsque le bébé est arrivé par terre, il s'est immédiatement dressé et a accompli quatre pas vers les quatre points cardinaux, et à chaque pas, une fleur de lotus est née.
Le lotus central, là où il est tombé, et les quatre autres aux quatre points cardinaux forment les cinq lotus de la révélation du Bouddha. C'est très intéressant parce que cela nous montre que dans le Bouddhisme, on veut marquer la prédestination du Bouddha dès l'instant même où il apparaît sur terre. On trouve tout de suite cette fameuse notion des cinq points qui deviendront les cinq paradis du sage. Les Indiens représentent très souvent la reine Maya Devi accrochée à un arbre, par exemple à Ajanta, à Ellora, et également les Birmans, par exemple dans le temple Ananta de Pagan. Par contre, c'est très rare que les pas du Bouddha soient représentés. C'est donc une représentation
assez exceptionnelle et c'est dommage qu'elle soit en si mauvais état.

Le détail montrant les Dieux venant rendre hommage au Bodhisattva, 32e des 120 bas-reliefs de la vie du Bouddha. Registre supérieur de la première galerie, mur sud, angle sud-ouest du Borobudur.

Sans entrer dans les détails, il faut savoir que Maya Devi est morte une semaine après avoir donné naissance au Bouddha qui donc n'aura jamais de mère. Il aura une sorte de tutrice-nourrice, sa tante Gaotami. L'introduction de cet épisode dans le Lalita est très amusante, car elle résulte du fait que les Hindouistes ont replaqué toutes les légendes de leur mythologie concernant les bébés divins sur le Bouddha dans les bras de Gaotami, par exemple celles sur l'enfance de Krishna qui rappelle énormément les légendes de Hercule-enfant dans notre mythologie. D'ailleurs l'histoire du serpent étouffé existe aussi dans les Veda.
Un autre bas-relief montre des rites de fiançailles

Détail du 51e des 120 bas-reliefs de la vie du Bouddha. "Siddhârtha dans son palais avec ses amis et Yashodhara sa première épouse... il se réjoiut avec ses parents et amis". Registre supérieur du mur ouest de la première galerie, quartier sud-ouest du Borobudur. Jogjakarta, Indonésie

qui sont strictement indonésiens et pas du tout tributaires du Lalita classique. Or, il s'agirait en fait de rites prénuptiaux comme dans nos contes de fée. Lorsqu'un bon prince épouse une belle princesse, il doit vaincre tous les autres d'abord, ce qui est aussi connu chez nous. De la même façon, pour épouser cette princesse gupta, Bouddha est astreint à de multiples épreuves comme le tir à l'arc

Détail du 49e des 120 bas-reliefs de la vie du Bouddha. "Encore prince, Siddhârtha s'exerce au tir à l'arc". Registre supérieur de la première galerie, mur ouest, quartier sud-ouest du Borobudur

, etc. Autre épisode de pure force : le meurtre d'un éléphant par un prince qui d'un seul coup de pied tue l'éléphant alors que le Bouddha l'envoie par-dessus l'enceinte de la maison. Tout le monde applaudit et ils se marient. En fait, chose extraordinaire, c'est un jataka.
Rappelons que Jataka est un mot qui désigne toutes les légendes qui sont tributaires de la vie des Bouddha antérieurs, des Bodhisattva donc. Dans les écritures boudhiques d'une Indonésie fraîchement bouddhiste, ce chapitre-là concerne une histoire antérieure au Bouddhisme qui est entrée de plain-pied dans l'histoire du Bouddha, ce qui montre bien la difficulté qu'ont eu les différents pays gagnés par le Bouddhisme a être vraiment orthodoxe. Il y avait beaucoup d'erreurs possibles, et celle-ci est plus que manifeste. L'histoire de percer d'une seule flèche sept arbres est en fait une histoire hindouiste qui concerne la jeunesse de Arjuna, l'un des héros du Mahabharata, qui a ainsi prouvé sa force à son propre père. Il s'agit donc à nouveau de récupération. C'est pourquoi il est important, dans un premier temps, de ne regarder que les choses essentielles afin d'avoir une vision cohérente.

Et voici le fameux moment que l'on trouve dans presque tous les Lalita : en l'emprisonnant dans le luxe et la facilité
la plus extraordinaire, le père du Bouddha essaie de le retenir ici-bas. On sent cette prédestination on ne sait pas très bien vers quoi, mais on sent qu'il va échapper à l'ordre humain. On voit la présentation au prince des concubines royales renversées dans ses bras. L'une d'elles est en train de se regarder dans un miroir
. Il est très étonnant de retrouver ce même groupe de trois personnes en peinture à Ajanta. C'est un pur hasard et c'est assez étonnant, mais nous sommes toujours un peu dans les marges du Lalita.

56e des 120 bas-reliefs de la vie du Bouddha. "Lors de sa première sortie du palais, le prince Siddhârta (Bouddha) rencontre un vieillard". Registre supérieur de la première galerie, mur ouest, quartier sud-ouest du Borobudur. Jogjakarta, Indonésie

Les trois ou quatre bas-reliefs qui suivent représentent la prise de conscience par le Bouddha de l'immensité de l'humanité. Le Bouddha avait reçu une éducation complètement fausse car son père avait interdit de lui montrer un vieillard, interdit de lui apprendre qu'il y avait la maladie, la décrépitude et la mort. Il vivait dans cet espèce de privilège qu'était la vie d'un jeune prince enfermé dans son palais. D'après le Lalita classique, c'est en sortant fortuitement du palais que le Bouddha va faire trois rencontres fondamentales. Et c'est un point très important : dans tous les Lalita du monde, depuis Datong au fin fond de la Chine jusqu'à Borobudur, au fin fond de l'Indonésie, ces trois rencontres sont toujours indiquées dans le même ordre. La première rencontre que fait le Bouddha est celle de la pauvreté. Il faut se souvenir que le Bouddha n'a jamais connu le pouvoir de l'argent. Donc, première découverte, un mendiant
. La deuxième rencontre est celle de la maladie
qui est représentée ici par cet être squelettique. Jamais le futur Bouddha n'avait su qu'on pouvait être malade, cela n'existait pas dans son éducation. Le troisième choc, peut-être le pire, c'est la mort car il faut s'imaginer que le Bouddha, arrivé à l'âge quasiment adulte, n'a jamais eu conscience de la mort. Et tout à coup il voit l'un de ses semblables inerte, qu'on le lave, qu'on le met dans un suaire. La découverte de la mort est une chose absolument effroyable et ce troisième choc sera donc le choc décisif. Il est toujours représenté sur son même char puisque tout s'est passé dans la même journée selon le Lalita.
Pauvreté
, maladie
et mort
sont des chocs qu'il ne peut pas comprendre évidemment. Il devra demander à un saint homme, à un ermite, de lui expliquer les trois tares dont il vient de prendre conscience. Et nous voyons ici un brahmane
qui lui explique l'inéluctable fait que tous, on sera malade une fois, tous, on vieillira une fois et tous, on mourra une fois. Le brahmane consulté lui a dit que c'est le destin de tout être et a ainsi éveillé en Bouddha le besoin de faciliter chez autrui ces fameux passages initiatiques que sont la maladie, la vieillesse et la mort. Donc il a décidé de se donner à l'humanité pour en fait faciliter ces passages, et pas du tout pour supprimer la maladie, la vieillesse et la mort comme l'expliquent neuf auteurs occidentaux sur dix. Le Bouddha n'a jamais dit cela mais on le lui fait dire.

Détail du 65e des 120 bas-reliefs de la vie du Bouddha. "Siddhârtha quitte la palais escorté par les dieux qui soutiennent les pas de son cheval". Registre supérieur du mur ouest de la première galerie, quartier nord-ouest du Borobudur.

Le Bouddha veut partir, quitter son monde mais on l'en empêche. Selon le Lalita, il a dû partir clandestinement

Détail du 64e des 120 bas-reliefs de la vie du Bouddha. "Bien que surveillé, Siddhârtha veut quitter le palais, les gardes dorment, son cocher Chandaka lui amène son cheval Kanthaka". Registre supérieur de la première galerie, mur ouest, quartier nord-ouest du Borobudur.

de son palais. Il a fait préparer son cheval, on a emballé les sabots

Détail du 65e des 120 bas-reliefs de la vie du Bouddha. "Siddhârtha quitte la palais escorté par les dieux qui soutiennent les pas de son cheval". Registre supérieur du mur ouest de la première galerie, quartier nord-ouest du Borobudur.

du cheval pour éviter tout bruit, on a endormi les sentinelles et le Bouddha est parti. Dans les premiers Lalita qui nous sont racontés, ce sont les quatre vents du Nord, du Sud, de l'Est et de l'Ouest qui ont porté les sabots du cheval. Pour les amateurs de mythologie comparée, c'est très intéressant parce qu'en fait tous les salvateurs sans exception partent sur un cheval volant. C'est une des grandes constatations qu'a faite notamment Mircea Eliade. Persée lorsqu'il va délivrer Andromède, et par là même conjurer la malédiction des démons, arrive sur un cheval volant. C'est une scène importante qui est traitée dans tous les grands sites bouddhistes classiques depuis Datong en Chine, par exemple, jusqu'au Palais de Bangkok où nous est racontée la vie du Bouddha.

Détail du 67e des 120 bas-reliefs de la vie du Bouddha. "Siddhârtha (Bouddha) coupe ses cheveux, insigne de sa caste noble". Registre supérieur de la première galerie, mur ouest, quartier nord-ouest du Borobudur.

Mais il ne faut pas croire que les aventures du Bouddha en seront facilitées pour autant. En fait, lorsqu'il va descendre de cheval et prendre pied dans le monde, le Bouddha va être confronté à son propre destin

Détail du 66e des 120 bas-reliefs de la vie du Bouddha. "Bouddha renonce au monde et renvoie les dieux qui l'avaient assisté". Registre supérieur, 1ère galerie, mur ouest, quartier nord-ouest du Borobudur.

. C'est l'un des grands moments de la catalyse du Bouddha. Quand le Bouddha descend de son cheval au milieu d'un village, avec cette idée merveilleuse mais naïve qu'il pourra sauver l'humanité, les habitants du village tombent prosternés à terre croyant qu'il vient en parade. Personne ne veut l'écouter, on ne veut que le saluer et le célébrer. Le Bouddha sera astreint à quitter ses vêtements devant les villageois stupéfaits puis, comme cela ne suffit pas et que les gens restent prosternés, à couper ses cheveux

Détail du 67e des 120 bas-reliefs de la vie du Bouddha. "Siddhârtha (Bouddha) coupe ses cheveux, insigne de sa caste noble". Registre supérieur de la première galerie, mur ouest, quartier nord-ouest du Borobudur.

car les cheveux longs étaient le privilège des aristocrates, ce qu'il fait avec son épée. Et comme cela ne suffit toujours pas, sacrifice suprême, il enlève ses boucles d'oreilles. En Orient, le droit de porter les pendants d'oreilles dynastiques est le symbole d'une lignée royale, c'est même plus important que la couronne ou le sceptre. En enlevant ses pendants d'oreilles, le Bouddha quitte toute identité. Il se dépare de tout et dès l'instant où il n'aura plus ni vêtements ni cheveux ni boucles d'oreilles et où il sera vraiment nu devant tout le monde, les villageois se relèveront et pourront l'écouter. Ce n'était pas possible autrement, quoi qu'il dise, car telle est la force de l'atavisme social en Orient et en Inde en particulier. Mais c'est une scène qui est très rarement représentée. Et chacun se souvient que si le Bouddha est toujours représenté avec des lobes d'oreilles distendus, c'est pour rappeler qu'il avait le droit de porter des boucles d'oreilles, mais qu'il y a renoncé volontairement.
Le Bouddha va mener la vie des gens que l'on appelle sadhu en Inde. Il va partir dans la forêt et méditer sur le monde pour pouvoir ensuite apporter le fruit de sa méditation pour le salut des autres. Cette scène est aussi représentée dans le stupa de Sanchi, dans les grottes d'Ajanta, dans les bas-reliefs d'Ellora.
Il est parti au milieu des autres sadhu et s'est astreint à l'ascèse totale. En règle générale, on nous le montre amaigri d'épisode en épisode jusqu'à devenir comme un squelette dans les bas-reliefs du Gandhara dont les artistes aimaient ce type de représentation un peu expressionniste. Toujours est-il qu'il a maigri comme les autres sadhu jusqu'au jour où il a pris conscience de la vanité de l'ascèse et que de vaincre son propre corps était en fait le comble de l'orgueil. Vaincre son propre esprit était aussi le comble de l'orgueil car il faut tout simplement vivre pour pouvoir donner et non pas s'astreindre à une pseudo-mort. Il a compris l'orgueil de l'ascète et c'est à ce moment là qu'il a accepté le premier bol de soupe ou de lait d'une femme qui s'appelle Sudjata. Donc il accepte de se nourrir et c'est à ce moment là qu'il connaîtra l'Illumination.

Détail du 86e des 120 bas-reliefs de la vie du Bouddha. "Siddartha Gautama (Bouddha) se baigne dans la rivière Nairanjana". Registre supérieur, 1ère galerie, mur nord, angle nord-ouest du Borobudur.

Siddartha Gautama se rend au bord de la Nairañjana, se baigne dans la rivière. C'est un moment important puisque nous sommes au moment où le Bouddha va de nouveau naître c'est-à-dire qu'on arrive au moment où il va connaître le pouvoir de la parole à Sarnath, l'éveil de la Loi à Sarnath. Et c'est toujours à ce moment-là qu'on représente la traversée du fleuve qui est un acte initiatique dans toutes les religions du monde préparant une renaissance, à la dernière naissance, celle du Verbe.

On se souvient que le Bouddha a connu l'Illumination dans la ville de Bodgaya. Ce jour-là, alors qu'il méditait comme tous les jours, le Bouddha connaîtra ce miracle qu'il est le seul à avoir connu : l'harmonie intérieure s'est faite en lui et il a reçu la Lumière divine. "Bodhi" signifie la Lumière de la Connaissance pour les Indiens qui l'ont dès lors nommé le Bouddha, l'Illuminé.
C'est un moment capital dans la vie du Bouddha, moment qui est considéré comme sa deuxième naissance.

94e des 120 bas-reliefs de la vie du Bouddha. "Alors que Siddhârtha médite sous l'arbre pippal, les hordes de Mâra, la Mort l'assaillent". Registre supérieur de la 1ère galerie (ou terrasse carrée), mur nord, quartier nord-est du Borobudur


Détail du 94ebas-reliefs: Mâra

Le panneau de la tentation du Bouddha est primordial. Exactement comme le Christ, le Bouddha a été tenté par les dieux qui ne supportaient pas qu'un humain soit si pur. On dit que c'est Mâra, le démon de la tentation, qui est venu. Mais en fait, selon le Lalita classique, ce sont les dieux. Ils ont tous essayé, Shiva, Vichnou, Indra, Suria, etc. Jamais ils n'ont pu fléchir l'immobile et splendide silence du Bouddha en pleine méditation. Les dieux sont représentés avec de multiples bras portant de nombreux attributs : la roue de Vichnou, le grand sabre recourbé de Shiva, la hache de Durga, etc. Les dieux essaient de tenter le Bouddha mais n'y parviennent pas. Or ce panneau représente en fait la première icône du Bouddhisme, la plus ancienne et la plus vénérable car elle montre encore les dieux hindouistes. Dans les grottes de Bhaja en Inde, sculptées au 2e s. avant J.-C., on voit dans une niche le Bouddha entouré d'un côté par Suria et de l'autre côté par Indra. C'est exactement le même sujet et c'est émouvant de constater que l'iconographie demeure absolument traditionnelle bien qu'il se soit passé pas mal de siècles, 1100 ans pour être tout à fait exact. Pour tenter le Bouddha, Mâra a tout fait et a même envoyé ses filles

Détail du 95e des 120 bas-reliefs de la vie du Bouddha. "Siddhârtha médite et les filles de Mâra tentent de le séduire". Registre supérieur du mur nord de la première galerie, quartier nord-est du Borobudur.

, scène que l'ont voit aussi à Ajanta. Mais le Bouddha ne s'est pas laissé distraire.

Détail du 118e des 120 bas-reliefs de la vie du Bouddha. "Ses anciens compagnons quêtent son enseignement". Registre supérieur de la première galerie, mur est, quartier nord-est du Borobudur.


C'est la fin de l'histoire, 120e panneau de la première galerie
Petit résumé des 120 panneaux:
Le Bodhisattva (futur Bouddha) apparaît tout d'abord avant sa naissance dans le ciel Tushita (panneaux 1 à 7). Nous voici maintenant sur terre, dans le palais du roi Suddhodâna, avec celle qui sera sa mère, la reine Mâyâ-devî (8 et 9). Le futur Bouddha quitte le ciel Tushita accompagné par diverses divinités (10). Il descend sur terre (12) et entre dans le sein de sa future mère sous la forme d'un éléphanteau blanc, phénomène qu'applaudissent les divinités (13-14). La reine Mâyâ se retire dans un jardin ombragé par des arbres Ashoka et fait un rêve (15-17) qu'un brahmane interprète (18-19). Les panneaux 20 à 24 nous décrivent le palais divin et nous montrent la reine Mâyâ enceinte, ainsi que divers miracles survenant avant la naissance (25) du futur Bouddha. La reine Mâyâ, alors que selon la coutume elle se rend chez ses parents pour enfanter, est prise de douleurs en arrivant dans le jardin de Lumbinî (26-27). C'est là qu'elle donne naissance au petit Siddhârtha Gautama (28-29). Mais la reine meurt sept jours plus tard. Sa sœur, Prajâpatî, se charge alors d'élever le jeune prince (30). Des sages, nommés Asita et Nârada, arrivent au palais de Kapilavastu et prédisent au roi que son fils deviendra un roi Chakravartin ou un Bouddha (31). Les dieux rendent alors hommage au jeune prince (32). Le futur Bouddha, ayant grandi, visite un village (39). Il s'assied sous un arbre jambosier (40). Le moment de ses fiançailles avec la princesse Yashodharâ (41) est venu. Le jeune prince mène alors une vie fastueuse et fait l'apprentissage de son métier de roi (40 à 49). On le voit vivre dans ses différents palais (50-55), se promener dans le parc (56-59) et parmi ses femmes (60). Vient le jour où il demande à son père la permission de renoncer à la vie mondaine (61), ce qui ne lui est pas accordé. Il est confié à la garde de ses femmes et des courtisans (62). Mais une nuit, profitant du sommeil des femmes et de ses gardes (63), il demande à son palefrenier de lui amener son cheval blanc et quitte le palais (64). Le futur Bouddha renonce alors au monde et se fait chercheur de vérité (65-69). Sa recherche le conduit à rencontrer différents maîtres, parmi lesquels Arâda-Kâlâma (70). Le roi Bimbisâra du Magadha vient lui rendre visite à son ermitage (74). Il continue sa vie ascétique sous la direction du sage Rudraka-Râmaputra (75) et s'entraîne en compagnie de cinq autres ascètes sur les rives de la rivière Nairanjanâ (77). C'est alors que sa mère défunte, la reine Mâyâ, devenue un être céleste, vient lui rendre visite (78). Gautama décide d'interrompre son ascèse. Une jeune femme, Sujâtâ, du village d'Uruvilvâ, lui apporte de la nourriture (81-84). Il va se baigner dans la rivière Nairanjanâ (85-86). Le jeune Gautama atteint alors à la Bodhi (à l'Éveil) en méditant sous l'arbre pippal à Bodh-Gayâ, devenant ainsi un Bouddha (90-95) après avoir victorieusement repoussé les tentations du démon Mârâ (94-95). Il est vénéré par les divinités (96-98) et demeure pendant sept jours en samadhî ou extase (99) avant de pratiquer le chankrama ou marche méditative, qui fait partie des exercices de concentration (100). Le roi des Nâga (serpents), Muchilinda, lui fait de son capuchon à sept têtes une ombrelle et de ses anneaux un haut siège afin de le protéger de la pluie et des eaux ruisselantes (101). Le Bouddha rencontre d'autres ascètes (102) puis deux marchands, Tarapusha et Bhallika (103-104), tandis que des divinités gardiennes des horizons (Devarâja) lui offrent son bol à aumônes (105). Les dieux du panthéon brahmanique lui demandent alors de révéler au monde sa Doctrine ou Dharma (106-107). Le Bouddha quitte Bodh-Gayâ et se rend à pied à Vârânasî (108-116). Il rencontre ses cinq anciens compagnons dans le parc des Gazelles à Sarnâth (117-119) et leur délivre son premier sermon (120).
Ref:Borobudur, Jean-Louis Nou/Louis Frédéric - Imprimerie nationale Editions, Paris 1994

. Il représente le moment où à Sarnâth

Détail du 119e des 120 bas-reliefs de la vie du Bouddha. "Il est ondoyé par ceux qui deviennent ses disciples". Registre supérieur de la première galerie, mur est, quartier nord-est du Borobudur

, avec la bénédiction des dieux, le Bouddha fait son premier grand sermon, accomplissaant sa troisième naissance, la naissance au Verbe. Il pourra alors enseigner et, chose assez étonnante, à partir de moment-là, on ne nous raconte plus le message du Bouddha dans sa vie quotidienne car tout est contenu dans les Soutra.
Au fond, ce qui nous est raconté dans le Lalita du Borobudur, c'est tout ce qui précède l'éveil à la parole, c'est-à-dire les trois premières naissances du Bouddha : sa naissance physique à Kapilavastu, sa naissance à la Lumière Bodgaya et sa naissance au Verbe à Sarnath.
Et la dernière naissance, la naissance absolue, la mort pour nous, le Purinirvana ne nous est pas montré. Le Lalita se termine avec le moment où le Bouddha peut parler puis les Soutra prennent la suite. Tout ceci est un document absolument exceptionnel. Alors, de la première galerie où nous sommes, montons maintenant d'une traite tout en haut, à l'Un, à l'Unique.
Les trois terrasses supérieures du Borobudur sont circulaires et concentriques au stupa central. Elles sont bordées de 72 stupa ajourés contenant chacun une statue, toutes identiques, de Vairochana (le Bouddha suprême) en mudra de "l'enseignement de la loi" (dharmachakra).

Il faut auparavant remarquer la différence d'ordre des niches qui, à la première galerie, sont en plein cintre, avec un décor architectural relativement simple, tandis qu'à partir de l'étage supérieur, on voit apparaître le fameux kalamakara. Nous sommes ici encore dans la sphère manifestée tandis que, juste au-dessus, on est dans la sphère de l'enseignement. Il y a des allusions architecturales qui permettaient aux fidèles de s'y retrouver parfaitement bien.








A nos pieds, nous avons donc le plan carré qui raconte la vie selon la Loi. Nous avons au-dessus le plan rond qui amène à l'Unité et à l'Absolu. C'est ici exactement que se rencontrent le cercle et le carré
et c'est un passage
très important. Tout à l'heure, tout était couvert de bas-reliefs, de l'intérieur à l'extérieur des balustrades et, dès l'instant où l'on arrive à cette Unité suprême, il n'y a plus rien du tout, absolument plus rien, et cette suppression tout à coup de l'image a un effet extrêmement prenant. Cette pureté, cette simplicité originelle est vraiment ineffable. Même le Bouddha a été caché en tant qu'image et on dirait presque que les moines mahayanistes ont essayé là de retrouver de nouveau une certaine densité hinayaniste puisque chacun des petits stupa qui prolongent le grand stupa central contient une statue du Bouddha, tout au moins contenait mais que certains contiennent encore. Tout cet espace tend vers le dernier cercle, vers le stupa absolu, le grand stupa central.





Lorsque en 1815, le Borobudur a été sondé pour la première fois, il a été retrouvé vide. Les historiens d'art et les historiens des religions, qui l'étudient énormément parce que c'est l'un des sanctuaires les plus passionnants, se battent pour savoir s'il a toujours été vide ou s'il contenait une statue qui aurait été volée. L'opinion personnelle de Jacques-Edouard Berger est qu'il a toujours été vide pour la simple et bonne raison qu'il n'y avait en 1815 aucun intérêt pour l'art oriental. Si la statue avait été simplement mutilée, on aurait retrouvé les morceaux. Or on n'a rien retrouvé du tout. Donc vraisemblablement le message va très loin : le stupa central ne contient pas le Bouddha parce qu'on est au-delà même de l'apparence, on est vraiment dans l'esprit pur. Ainsi le stupa central serait en quelque sorte l'absolu symbole mais sans aucune référence à quelque forme que ce soit.
Lorsqu'on voit le stupa central et ensuite cette sorte de pluie de stupa, on ne peut s'empêcher de penser à la notion de Purinirvana, ce moment où le Bouddha
renonce à la vie terrestre et où son âme, disent les textes, s'épand en millions d'âmes à travers l'univers. C'est fabuleux de voir le stupa central qui est vraiment le Bouddha, et les stupa annexes qui représentent l'étalement de la Loi et l'étalement de la Foi. Et toutes ces particules qui en fait emplissent l'univers entier, on les retrouve partout, même sur les balustrades jusqu'en bas. Autrement dit, on a l'impression que le Bouddha diffuse la grandeur de son message jusqu'au plan le plus terrestre et le plus bas. Cette mise en place il y a plus de 1000 ans d'une pensée aussi abstraite et présente à la fois est exceptionnelle.

Il y avait à l'origine 6O2 statues du Bouddha sur le Borobudur, c'est maintenant sûr et certain. Auparavant, on parlait de 564 et même de 504. Sept têtes provenant d'ici, ne serait-ce que sept, sont au Musée Guimet à Paris, deux sont au musée de Boston, une au Metropolitan, etc. Mais un grand nombre de têtes ont disparu depuis 1873, c'est-à-dire entre la première restauration sérieuse et la dernière restauration de l'UNESCO.
Nous sommes arrivés au stupa central et il faut constater que par ce cheminement on gagne sans cesse des dimensions nouvelles mais, au fond, que le Bouddha nous accompagne partout car c'est là une des très belles idées du Borobudur. Il est absolument omniprésent, où que nous soyons, dans quelque direction que nous nous tournions, une niche est là et dans cette niche il y a le Bouddha. Il est toujours là pour conforter l'âme de celui qui n'en peut plus, pour l'aider et pour l'amener lentement à cette idée de l'Unité.