De minces panneaux de bois, voilà ce qui nous reste, matériau léger, friable, pellicule de couleur posée sur un tissu de lin non moins fragile; et pourtant c'est d'eux qu'émanent non seulement le regard, mais cette longue interrogation cent fois reprise, qui finit par nous obséder comme si nous étions nous-mêmes concernés. Et peut-on ne pas l'être quand se conjuguent l'oeil et l'esprit, dans des traits qui pourraient être aussi les nôtres? Ce n'est pas que l'au-delà devienne perceptible, ou même saisissable, mais qu'il prend ici une valeur sensible qui nous touche : les yeux ordonnent le portrait comme si, en dépit du type, de l'âge, du sexe, une même aimantation les animait, et nous animait à leur contact. Pupille non pas dilatée (l'art du Fayoum ignore l'effet), mais immense, enveloppée d'une cornée si vaste qu'on dirait "un galet abandonné par la mer", souvenir peut-être des incrustations de jadis; pupille élargie à la dimension de l'interrogation, et que l'espace clair de l'oeil transforme aussi en astre sombre. Mais notre condition terrestre n'est-elle pas comme un galet à la dérive sur le sable, et nos espoirs, par-delà la mort, comme autant d'étoiles dans l'infini?
Jacques-Edouard Berger, "L'Oeil et l'Eternité - Portraits Romains d'Egypte", p. 125
Jeannine Gabriel