21 - février 1999 - Les Portraits du Fayoum


Moscou, Musée Pouchkine, tempera et encaustique sur bois
provenance inconnue

De minces panneaux de bois, voilà ce qui nous reste, matériau léger, friable, pellicule de couleur posée sur un tissu de lin non moins fragile; et pourtant c'est d'eux qu'émanent non seulement le regard, mais cette longue interrogation cent fois reprise, qui finit par nous obséder comme si nous étions nous-mêmes concernés. Et peut-on ne pas l'être quand se conjuguent l'oeil et l'esprit, dans des traits qui pourraient être aussi les nôtres? Ce n'est pas que l'au-delà devienne perceptible, ou même saisissable, mais qu'il prend ici une valeur sensible qui nous touche : les yeux ordonnent le portrait comme si, en dépit du type, de l'âge, du sexe, une même aimantation les animait, et nous animait à leur contact. Pupille non pas dilatée (l'art du Fayoum ignore l'effet), mais immense, enveloppée d'une cornée si vaste qu'on dirait "un galet abandonné par la mer", souvenir peut-être des incrustations de jadis; pupille élargie à la dimension de l'interrogation, et que l'espace clair de l'oeil transforme aussi en astre sombre. Mais notre condition terrestre n'est-elle pas comme un galet à la dérive sur le sable, et nos espoirs, par-delà la mort, comme autant d'étoiles dans l'infini?

Jacques-Edouard Berger, "L'Oeil et l'Eternité - Portraits Romains d'Egypte", p. 125

Jeannine Gabriel