25 - juin 1999 - Shiva Ardhannarishvara, androgyne de la cybernétique et de la noosphère !




SHIVA ARDHANARISHVARA
GROTTE DE SHIVA NATARAJA - AIHOLE - INDE,

Les sociétés humaines se sont généralement organisées en structures hiérarchiques, pyramidales, dirigées par un pouvoir central incarné dans un prince, un roi, un tsar... Simultanément, elles se sont aussi dotées de systèmes religieux, de cosmogonies élaborées sur des schémas analogues, distribuant les rôles et les fonctions selon une cascade d'échelons et de paliers entre la matière inerte et le divin éthéré.

Cependant, l'épanouissement de systèmes démocratiques au détriment des régimes monarchiques a aussi eu comme conséquence l'érosion du modèle pyramidal comme exemple d'organisation et comme justification théologique. L'avènement de l'internet confirme et accentue cette tendance. La communication en réseau privilégie le mouvement horizontal. Aucune autorité toute-puissante ne trône au sommet d'une hiérarchie par la maîtrise de la connaissance et de la communication.

Un gigantesque flux d'échange, de diffusion de données, d'informations, de savoirs est instauré, dans un espace ouvert, omnidirectionnel.

La gigantesque toile électronique avec ses ancrages sur la non moins gigantesque panoplie de machines cybernétiques autour de la planète constitue une entité nouvelle.

Theillard de Chardin a déjà évoqué la noosphère, sphère pensante de la population humaine qui recouvre la planète. Mais cette enveloppe pensante est aujourd'hui doublée d'une nouvelle couche, ou mieux : activée, innervée, transcendée par la réalisation effective du réseau planétaire. Deux formes complémentaires de "pensée", d'"intelligence", de "savoir"... deux aspects différents de la création trouvent une complémentarité optimale, voluptueuse ! La terre s'est dotée d'une étonnante parure, fruit de l'épanouissement simultané de deux processus particuliers :

- La création vivante, avec l'être humain en ultime produit du développement.
- La création technologique, scientifique, épanouissement des potentialités de la matière.

Shiva

" L'un des principaux aspects de Shiva est l'ARDHANARISHVARA, l'hermaphrodite. Dans le processus de la création, le pouvoir de concevoir (vimarsha) et le pouvoir de réaliser (prakasha), lorsqu'ils sont réunis se manifestent d'abord dans un point limite (bindu), une localisation qui est le point de départ de l'espace-temps."

"La cosmologie shivaïte envisage vingt-quatre éléments fondamentaux ou "principes autonomes" (tattvas) qui rendent possible l'apparition et le développement du monde. Il s'agit d'abord de cinq conditions ou préalables qui déterminent la possibilité d'une création, et qui sont :

1) une cause première appelée Shiva. Le mot Shiva est dans ce cas dérivé de la racine shi, qui dénote le sommeil. Shiva est "celui en qui tout dort", le sommeil étant l'image de l'état latent de la création;
2) Une énergie ou pouvoir de se manifester appelé Shakti;
(...)"

"Lorsque Shiva et Shakti sont unis, leur unité est volupté. La volupté est leur réalité."

"Le plan ne devient une réalité que quand il se réalise dans la matière. Shiva n'est qu'une abstraction jusqu'à ce qu'il s'unisse au principe énergétique, à la Shakti, substance du monde."

Shiva et ses mille noms représentent une somme considérable de concepts, de notions, de significations dans la culture polymorphe de l'Hindouisme. SHIVA ARDHANARISHVARA, l'androgyne Shiva-Shakti, est ainsi la représentation, le symbole d'un aspect de la création, un fragment d'un modèle de lecture de la nature du monde.

Au-delà de la curiosité artistique, du raffinement esthétique, de la vénérable divinité, l'image anthropomorphe constitue surtout une clé pour entrer dans une culture élaborée, complexe et subtile.

On peut donc, sans sacrilège, proposer cette lecture actualisée du symbole :

L'androgyne masculin-féminin, le lieu de volupté Shiva-Shakti, la dualité provisoire concept-énergie (Purusha-Prakriti, dans d'autres textes), représente aussi la fusion de la noosphère et de la web-sphère, la dynamisation de l'humanité pensante en humanité communicante. Ou, pour adhérer plus justement encore aux notions shivaïtes, on peut dire que le concept , le projet de communication globale, potentialité prééminente, n'est qu'une image tracée par la trame immense du réseau. La virtualité devient réalité, se concrétise par l'énergie, la vie organique épanouie avec l'homme en communication et échange qui vient habiter le projet, le modèle électronique, matérialisation d'un archétype.

Ecrire Internet avec un "I" majuscule revient donc à donner une nouvelle appellation, un nouveau nom à Shiva, non pas dieu tout-puissant, mais principe de dynamique cosmique !



Robert Cottet, juin 1999.

Les citations sont extraites de divers ouvrages de Alain Danielou, référence éminente pour l'approche de l'Hindouisme, citée par Jacques-Edouard Berger.