24 - mai 1999 - Les derniers soupirs de joie

" Dès la fin du XVIe siècle, en pleine Contre-Réforme, un langage plastique nouveau, révolutionnaire, voit le jour usant de lignes simples, austères parfois, de volumes puissants, d'effets dramatiques d'ombre et de lumière affrontées, de contrastes savants de faux marbres et d'ors éclatants, le baroque s'impose pour la première fois à Rome, dans l'Eglise du Gesù de Vignola et de Della Porta, puis gagne la Basilique Saint-Pierre de Maderna et de Bernin, pour atteindre Venise, Turin, et de là toute l'Europe du Nord, l'Allemagne, l'Autriche, la Bohême, et plus loin encore la Russie. Dès le début du XVIIIe siècle, sous l'emprise de princes et de prélats riches et ambitieux, des chefs-d'oeuvre surent en exalter les fastes, en exacerber la magnificence, jusqu'à faire triompher ce vertige de l'ornement que l'on désigne sous le nom de rococo. "
Jacques-Edouard Berger

En 1843, dans son roman " le Chevalier d'Harmental ", Alexandre Dumas évoque le XVIIIe siècle:
"L'esprit du temps n'était point tourné encore à la mélancolie. C'est un sentiment tout moderne, né du bouleversement des fortunes et de l'impuissance des hommes. Au dix-huitième siècle, il était rare que l'on rêvât aux choses abstraites, et que l'on aspirât à l'inconnu: on allait droit aux plaisirs, à la gloire ou à la fortune, et pourvu qu'on fût beau, brave ou intrigant, tout le monde pouvait arriver là. C'était encore l'époque où l'on n'était pas humilié de son bonheur. Aujourd'hui, l'esprit domine de trop haut la matière pour que l'on ose avouer que l'on est heureux".
Sur les pas de Jacques-Edouard nous avons visité beaucoup d'églises et de palais rococo. Chaque fois nous avons été frappés par l'exubérance du décor souvent somptueux, par les couleurs éclatantes, par la fantasmagorie des sculptures. Il nous semblait alors entendre l'écho lointain d'éclats de rire comme venue d'ailleurs. Fête vertigineuse en cette fin du XVIIIe siècle. Il nous semblait entrevoir les spasmes d'un corps épuisé qui chante encore, qui danse encore avant de se rendre vaincu dans un autre monde.

Sensation de ce même vertige dans cet escalier du monastère de Melk en Autriche.
Truus et Philippe Salomon, avril 1999