A une centaine de kilomètres au sud du Caire, Le Fayoum est une région verte et fertile formée par une vaste dépression circulaire. D'est en ouest, son diamètre est d'environ 60 kilomètres au nord ouest du lac Qarun. Les anciens Egyptiens appelaient cette région Mer-our (Le Grand Lac). Le Fayoum joua un rôle considérable pendant la XIIe dynastie puis sous les Ptolémées.

Le Fayoum compte beaucoup de témoinages de la période gréco-romaine: ruines de l'Antique Karanis, celles de Dionysias et ces fameux portraits du Fayoum.

Etrange confrontation que celle des portraits du Fayoum, dispersés de par le monde entre musées et collections, et que rassemble ici, sous un même regard, l'image. Musée idéal que l'on parcourt de page en page, et qui bientôt nous attache au point que, au fil de la visite, des traits familiers déjà nous attendent, car c'est bien l'une des caractéristiques ambiguës de cet art que de multiplier des effigies qui, à vue hâtive, donnent très vite, trop vite, le sentiment du connu.

Les portraits du Fayoum
Aborder les portraits du Fayoum, ce n'est pas seulement découvrir un art mal connu, c'est aussi faire une expérience dont on sort difficilement indemne. Le portrait généralement rassure, soit qu'il emprunte des traits suffisamment distincts pour qu'on l'identifie aussitôt, soit qu'il propose une ressemblance secréte qui le rend aussitôt familier. Combien différent notre contact avec les portraits antiques! A peine s'ils tolèrent le tête-à-tête: le premier regard jeté sur eux, nous voilà à la fois requis par leur singularité, et par ce qu'il faut bien appeler le piège de la transparence. Trouble auquel nul n'échappe.

Est-il excessif de dire que ces êtres défunts ont délégué à leurs simulacres un pouvoir hypnotique, comme si, la vie disparue, se manifestait à travers la mince pellicule de la peinture une sorte d'appel, parfois de sommation, qui nous invite, qui nous oblige à la fois à voir et à nous voir ? Le Fayoum se situe au carrefour des grands axes du monde antique.

Egypte
Pendant plus de trois mille ans, l'Egypte a donné à l'homme ce regard qui traverse la mort pour s'élever jusqu'à la lumière infrangible d'Osiris. Chéphren, Aménophis, Ramsès, mais aussi bien le laboureur, le boucher, le bouvier ou le moissonneur s'abreuvent aux sources mêmes de l'éternité. Sculptures, peintures, à l'instar de l'architecture, sont hiéroglyphes, signes sacrés: ils ont le pouvoir de suspendre le temps, ou plus exactement de le porter à un point d'incandescence que renouvelle sans cesse la puissance de la flamme, tel le soleil, intact dans l'accomplissement de sa course.
Rome
Tout cela, Rome l'ébranle aux pas de ses légionnaires, qu'avaient précédés les hoplites grecs. Les armées impériales projettent sur le monde leurs ombres gigantesques qui inaugurent un autre temps, celui de l'histoire. Triomphes, défaites, victoires, vicissitudes, sont plus que des événements, ils deviennent la trame d'une civilisation qui délaisse l'éternité pour la conquérir par les armes. Les saisons s'aiguisent aux heurts des glaives; les heures s'inscrivent au sol avec du sang. Entre le corps impérissable de l'Egyptien et la chair vulnérable du Romain, le portrait du Fayoum commet un double aveu: la nostalgie d'un monde qui ignorait la séparation de la vie et de la mort, l'avènement d'un autre monde qui, en dépit du fracas des batailles et de la clameur des dieux, sait que l'histoire compte ses jours, et qu'à jours comptés répond l'irrévocable figure du destin. Les dieux traversent encore ces portraits, mais ils ne sont plus que vision crépusculaire, tandis que s'amorce déjà, dans leurs prunelles agrandies, non pas tant l'espérance chrétienne que la stupeur qu'annonce Celui qui vaincra l'histoire par la Rédemption.
L'icône byzantine
L'icône byzantine est toute proche, qui exalte la vie éternelle à travers l'immensité du regard, comme est proche aussi le Christ Pantocrator dont les yeux embrassent l'univers. Il s'agit moins de filiations ou d'influences que d'analogies en profondeur. Les traits que dépeignent les portraits du Fayoum attestent la personne du défunt, mais la manière de les traiter amorce une transcendance ouverte, sinon propice, à l'Incarnation. Ce que l'art byzantin accomplira par le truchement de ses ors incorruptibles.
Le Sphinx
Mais il est une autre question qui reste posée. A partir de Rome, plus tard, de la Renaissance, le portrait occidental est lié à l'existence d'ici-bas; il s'empare du statut social, il se déploie dans la pompe du pouvoir; il s'associe aux signes de la richesse et de la prospérité, tout en subissant aussi les vicissitudes de l'âge, de la maladie. Ainsi se déroule le film de notre existence mondaine que somment les portraits des grands- François Ier, Henri VIII, Charles-Quint, Louis XIV, Napoléon - nobles et bourgeois s'efforçant à leur tour de leur ressembler. En face de cette célébration de l'existence terrestre, les portraits du Fayoum, liés, comme l'art égyptien, à la mort, aux rites funéraires, demeurent une énigme. Alors que le Sphinx nous interroge sur notre condition, les portraits du Fayoum posent, dans toute son acuité, la problématique de notre identité. Leur étrange pouvoir, ce qu'il faut bien appeler leur actualité, revient peut-être à nous faire prendre conscience que notre effigie échappe à l'opposition des concepts de la vie et de la mort, comme elle échappe à la distinction du signe et du symbole. De fait, rompant avec nos catégories, ils nous montrent comment, toute distance abolie, l'effigie devient coincidence. Par-delà fonctions, croyances et significations, le portrait exorcise doublement le temps pour nous restituer au flux de l'ambivalence, à ce qui ne prend jamais fin, tout en étant toujours menacé de finir.
Tertiaire
Au Tertiaire, le Fayoum, comme toute l'Egypte, était recouvert par la mer; les eaux, lorsqu'elles se retirèrent, sculptèrent lentement, niveau par niveau, le cours sinueux d'un fleuve, le profil d'une vallée. L'Egypte était alors une vaste étendue chaude et humide aux plateaux fertiles. Plus tard, au cours du Quaternaire, le dessèchement progressif du continent provoqua le reserrement des zones vertes aux abords immédiats de l'eau. Dès lors, l'Egypte allait vivre de son épine dorsale, le Nil.
Paléolithique
L'homme apparut le long du Nil au cours du Paléolithique moyen: on a pu retrouver à Keneh, à Naga Hammadi, au Gebel Ahmar, des silex taillés au profil oblong qui témoignent d'une première industrie.
Des sept oasis qui, tout au long du Nil, ponctuent le désert libyque, Selimeh, Khargeh, Daklah, Farafra, Baharyeh, Siwa.Le Fayoum fut la première occupée par l'homme : on y a retrouvé des silex identiques à ceux de Naga Hammadi.
Néolithique
Vers 4500 avant notre ère, à l'aube du Néolithique, l'homme se rapprocha du fleuve nourricier: les hordes jusqu'alors nomades ou semi-nomades se fixèrent enfin. Le Fayoum fut aussitôt terre colonisée: à Dimeh, à Kom Ouchim, à Kasr es-Sagha, furent fondées les premières stations, les premiers villages. On en retrouva les fondations, huttes ovales de deux à trois mètres de diamètre maximum, partiellement creusées dans le sol; un muret bas d'argile et de pierrallle les entourait tout entières, qu'il fallait enjamber pour pénétrer dans la pièce unique. Sur un talutage de pisé percé d'une porte, mais le plus souvent sans fenêtre, on avait posé des nattes en guise de toit. Aux abords de l'agglomération, des traces d'aires de battage, des silos, des meules, certains outils dont le sarcloir, la faucille, confirment la vocation agricole des populations indigènes.
Narmer
Un millénaire plus tard, l'Egypte entrait dans l'histoire. Aux nobles, aux princes, aux dynastes locaux qui s'étaient jusqu'alors partagé le pouvoir, succédèrent les premlers rois, dits «thinites» du nom de leur capitale, This, située en Haute-Egypte, non loin d'Abydos, où l'on a retrouvé leurs sépultures. A Hiérakonpolis, ville sainte du royaume primordial, ont été exhumés les objets votifs, dépôts sacrés, qui marquent les débuts mêmes de l'épopée égyptienne. Le roi Taureau y est représenté par deux fois, portant tour à tour les couronnes rouge et blanche, les pa-sekhemty, « les deux Puissantes », qui, imbriquées l'une dans l'autre, formeront ce pschent que coifferont les pharaons jusqu'aux dernières dynasties, jusqu'en période romaine. A l'issue d'une guerre décisive, le roi préside à son propre triomphe: à ses pieds, un butin de 120 000 prisonniers, de 400000 taureaux et de 1422000 chévres! Le Sud est conquis, le Fayoum est rattaché au royaume dont il devient l'un des nomes, l'une des provinces, sous le nom de che-chema, «le lac du Sud-».
Au roi Taureau, au Ménès de Manéthon, au Narmer des documents indigènes, succédèrent les premiers dynastes: Aha le Guerrier, qui consolida l'oeuvre de son prédécesseur, Djer le Sage, Ouadji, Oudimou, Adjib, Semerkhet, bien d'autres;à en croire les annales, ils élevèrent des forteresses, rasèrent des villes entières, menèrent campagne contre les peuplades des déserts, ordonnèrent des expéditions au Sinaï et jusqu'à la mer Rouge, affirmèrent leur pouvoir en instaurant la fête solennelle du jubilé royal, le heb-sed, et surtout déplacèrent la cour de This à Memphis, à la frontière même des deux Egypte. L'absence de documents empêche de définir le statut du Fayoum en ces temps là; tout au plus savons-nous qu'il faisait partie de l'empire, et que la fertilité légendaire de ses terres attira sur les rives de son lac de nouveaux colons: outre les sites précités, on a retrouvé traces d'occupation à Ger-zeh, à Abousii. el-melek et à Harageh. Un Sphinx d'albâtre au sourire d'au-delà en est le dernier gardien.
L'Ancien Empire
L'Ancien Empire nous a laissé plus de témoignages: Memphis était alors siège du gouvernement, résidence de ces monarques qui firent la grandeur des IIIe-VIe dynasties, les Djéser, Snéfrou, Chéops, Chéphren, Mykérinos, Ouserkaf, Pépi. La cour, les innombrables rouages de cette administration modèle que les rois avaient mise sur pied, faisaient à eux seuls de la cité une métropole, aujourd'hui disparue, engloutie sous le limon qui, dès l'abandon des quartiers périphériques, gagna, crue après crue, les temples et les palais. Les Egyptiens de qualité, princes, nobles, hauts fonctionnaires, le roi lui-même parfois, aimaient à chasser et à pêcher. A l'Ancien Empire, le Fayoum, tout proche de Memphis, devint leur terre d'élection.
On peut imaginer aussi que le Fayoum fut, à cette époque-là déjà terre de rapport: les pharaons des IVe, Ve et VIe dynasties se firent élever, on le sait, des pyramides pour sépultures; un chantier royal exigeait une importante concentration d'ouvriers, qu'il fallait entretenir et nourrir. Les paysans des vastes domaines qui entouraient le lac eurent sans doute à fournir aux fonctionnaires de la cour d'importants contingents de céréales, voire, en saison, de légumes, que l'on acheminait sur les lieux de travail, à Sakkara, à Guizeh, à Abouslr, Abou Roach, Dahchour, Meïdoum, Zaouyet el-Aryan. Il est curieux d'observer que tous ces sites sont implantés sur la rive gauche du Nil, soit en rapport direct avec ce grenier qu'est, qu'était déjà le Fayoum; on serait tenté d'avancer que l'emplacement même des pyramides fut déterminé non seulement par respect des usages, les tombeaux de période classique étant élevés traditionnellement à l'Occident, mais aussi pour profiter d'une voie directe aux zones de ravitaillement les plus proches.
A l'ancien Empire, le Fayoum ne fut pas que terre de rapport et domaine de chasse; il eut aussi, comme tous les nomes d'Egypte, sa vie propre: son chef-lieu est cité dans les Textes des Pyramides déjà, sous le nom de chedi. Il était consacré au dieu crocodile Sobek, que l'on y vénéra en tant que seigneur de la province pendant près de trois mille ans. L'emplacement de ses quartiers n'a pas pu être déterminé avec certitude; tout pousse à croire pourtant qu'ils occupaient le site de Kiman Fares. L'Ancien Empire s'acheva dans le désordre, les troubles politiques et sociaux. Le trop long règne de Pépi II marqua l'effondrement de la monarchie memphite. Libérés des exigences de leur service de cour, les princes, les nomarques renouèrent avec la féodalité des premiers temps. Manéthon témoignera de la confusion générale qui régnait alors en intercalant entre les VIe et VIIIe dynasties une VIIe dynastie, toute symbolique, qui aurait compté soixante-dix rois ayant régné au total soixante-dix jours.
XII-dynastie
Puis la paix revint. Les princes de Thèbes surent imposer leur hégémonie à tous les dynastes, à tous les roitelets qui se partageaient la vallée du Nil, et établir à Thèbes le siége d'un gouvernement fort. Les Antef, les Mentouhotep, l'usurpateur Amenemhat, furent les premiers à monter sur un trône qui pendant près de deux mille ans allait assurer la nouvelle grandeur de l'Egypte. L'histoire du Fayoum fut dès lors liée intimement à celle de la cause royale: Amenemhat I réalisa bientôt combien il était délicat de gouverner, de Thèbes, toute la vallée du Nil et notamment ce Delta qui échappait sans cesse à son contrôle. Il établit donc sa résidence à la jonction même des deux Terres, non loin du bourg de Licht. Forteresse plutôt que vile, la nouvelle capitale administrative fut baptisée ity-taoui, « Celle qui se saisit des deux Pays». L'emplacement n'en a jamais été retrouvé. Les autres pharaons de la dynastie établirent leurs résidences dans la même région, Amenemhat II à Dahchour, Amenemhat III à Hawara, et Sésostris II à Kahoun. Le bourg de Kahoun, occupé quelques décennies seulement, nous est parvenu dans un état de conservation rare pour un complexe urbain de l'Egypte ancienne: les villas princières, les habitations modestes de deux, trois, quatre ou six pièces sont enfermées dans une enceinte de 400 sur 350 mètres environ, séparées en deux quartiers traversés par une avenue centrale. Au cours des fouilles, on a retrouvé là des objets utilitaires ou votifs, des scarabées qui permettent d'identifier hauts fonctionnalres et notables de la province: Montounisou, le responsable des canaux, Irkhet, directeur des chantiers et des travaux, Sennebsou, chancelier du roi de Basse-Egypte. Ce sont eux, et tant d'autres, qui firent du Fayoum un domaine privilégié. Le Fayoum était jusqu'alors une vaste oasis entourant un lac, le toche, le lac Karoun d'aujourd'hui, alimenté par un canal, le Bahr Youssouf, qui quitte le Nil à quelque 200 kilomètres en amont. Le lieu même ou le canal, débouchant des zones désertiques, pénètre dans l'oasis, portait dans l'antiquité le nom de ro-henet, "la Bouche du Crocodile". Plus tard, Sésostris II fit élever à ro-henet un barrage qui permit de régulariser le débit de l'eau, et de la distribuer dans les champs au gré des cultures. A ces travaux, le grand Amenemhat III ajouta une écluse régulatrice à la bouche même du Fayoum, un front de digues protégeant les terres de l'inondation. Il ne reste plus aujourd'hui que d'infimes vestiges des travaux fabuleux de la XIIe dynastie.
Au Sud-Ouest du Fayoum, Medinet Madi a conservé en bordure des kôms qui recouvrent l'antique cité gréco-romaine de Narmouthis le seul temple du Moyen Empire qui nous soit parvenu.
De tous les monuments du Fayoum, celui qui a soulevé sans partage l'enthousiasme de ceux qui ont eu le privilège de le visiter, voyageurs ou chroniqueurs, est le Labyrinthe. Il y a une plaine en forme de table avec un bourg et un vaste palais composé d'autant de résidences qu'il y avait autrefois de nomes. Il y a d'innombrables galeries couvertes prolongées par des couloirs tortueux communiquant entre eux, si bien qu'aucun étranger ne pouvait trouver son chemin pour gagner les aulae ou en sortir sans l'aide d'un guide. Le plus étonnant, c'est que les toits de ces résidences sont faits chacun d'une seule pierre, et que les galeries sur toute leur longueur sont couvertes de même, avec des dalles de pierre d'une taille prodigieuse, sans aucun mélange de bois ou de toute autre matière.
Les pharaons de XIIe dynastie firent donc de l'oasis l'un des hauts lieux du royaume.
A la mort de la reine Sobekneferoure, dernier souverain de XIIe dynastie, vers 1785 av. J.-C., l'ordre légitime de succession au trône fut sans doute bouleversé: il semble que les souverains de la XIIIe et de la XIV dynasties n'aient pas appartenu aux maisons régnantes, mais qu'ils se soient imposés par force sur un trône d'ailleurs chancelant. A en croire le papyrus de Turin, cent soixante rois se partagèrent le pouvoir entre la fin du Moyen et le début du Nouvel Empire.
Nouvel Empire
Au Nouvel Empire, sous les Aménophis et les Thoutmosis, le Fayoum redevint, tout comme à l'Ancien Empire, le lieu d'élection d'une cour brillante, passionnée de chasse et de pêche; la paix revenue, on put songer à nouveau à se délasser et Menna, Nakht, Ousirhat, etrouvèrent les harpons, les flèches, les boomerangs qui avaient servi autrefois l'adresse des nobles de Sakkara.
Le Fayoum dut respirer alors cette plénitude que célébrera, quelques années plus tard, ce poète que fut aussi Akhenaton : « chaque troupeau est satisfait de son herbe; arbres et herbes verdissent; les oiseaux qui s'envolent de leurs nids,leurs ailes éployées, sont en adoration devant ton être. (...) Tes rayons nourrissent la campagne. Dès que tu brilles, les plantes vivent et poussent pour toi. Tu fais les saisons pour développer tout ce que tu as créé: l'hiver pour les rafraîchir et l'ardeur pour qu'ils te goûtent. ».
Plus tard, Ramsès II, dont l'activité au Fayoum est difficile à cerner, fit agrandir, et du même coup usurpa, le temple de Sobek de chedi. Mais il semble bien qu'aucun des pharaons du Nouvel Empire n'ait apporté à l'oasis le soin jaloux des Amenemhat et des Sésostris. Preuve en est que de leur temps, le nom même de la province fut modifié, de pehou-chema, "Réservoir du Sud", appellation d'ingénieurs ou d'administrateurs, en ouadj-our, le grand Vert, ou plus communément pa-yom, «la Mer C'est de pa-yom d'ailleurs qu'est issu le nom actuel de Fayoum, par abâtardissements successifs de l'égyptien au grec, du grec au copte, et du copte à l'arabe. Quant au principal canal d'adduction, il portait encore le nom de mer-our, «le grand Canal».
L'Egypte alors était prospère; et le roi savait récompenser ceux qui s'attachaient à sa grandeur. La Basse Epoque vécut encore sur l'héritage des dynastes du Moyen Empire; on ne trouve au Fayoum que de très rares mentions des pharaons des XXIe à XXXe dynasties. Seul y est cité en fait Sekhemkheperre Osorkon Iier, second roi de la XXIIe dynastie; Piankhi, dans la stéle relatant sa reconquête de la Basse-Egypte et du Delta en 725 av. J.-C.
Les Tanites
Aux dynastes thébains succédèrent les Tanites, d'origine libyenne, les Bubastites, les Saïtes, les Napatéens de Haute-Nubie. Les étrangers s'immiscèrent alors dans le jeu complexe des rivalités, des luttes d'influence, des traités et des contre-traités pacifistes d'abord, tel Hadad, prince d'Edom, qui, fuyant les persécutions de Joab, trouva asile à la cour d'Egypte où il épousa la soeur de la reine Tachpenès, grande épouse de Psousennès II; puis guerriers: Assarhaddon mena les armées assyriennes jusqu'à Memphis et conquit le Delta ; son fils Assourbanipal y fit campagne égaiement, avec plus de détermination encore puisqu'il toucha Thèbes. Après les Assyriens survinrent les Babyloniens, qui ne franchirent pas toutefois les frontières: la mort inopinée de leur Nabopolassar, obligea son fils, Nabuchodonosor, à faire marche arrière, à rentrer en hâte dans ses états pour y être couronné comme l'exigeait la tradition. Enfin déferlèrent les Perses: dès son avènement au trône, Cyrus avait écrasé l'allié de la couronne, Astyagès, roi des Mèdes, puis Crésus, roi de Lydie, puis Babylone même ; il mourut en laissant à son fils Cambyse l'empire perse à son apogée. Cambyse défit Psammétique III à Péluse, se rendit maître du Delta, gagna la Haute-Egypte, la Nubie. Les dieux le punirent de son fol orgueil.
Alexandre
Alors apparut Alexandre; premier haut fait de la prodigieuse épopée qui devait l'amener jusqu'aux confins du monde connu, il défit l'empire perse au Granique, écrasa Darius à Issos. C'en était fait, pensérent les Egyptiens, de ces Barbares qui s'arrogeaient leurs dernières ressources, qui opprimaient le peuple, pillaient, ravageaient, incendiaient, torturaient, ou pire encore, violaient les sanctuaires, arrachaient aux prêtres les statues sacrées, emmenaient en captivité les dieux nationaux. Le Macédonien, peut-être attiré par un parti d'indépendance clandestin, fut accueilli à Memphis en triomphateur: aucun Egyptien ne se rendit compte qu'après les Babyloniens, les Assyriens, les Perses, l'Egypte passait simplement en de nouvelles mains.
Les Ptolémée
A la mort du conquérant en 323, le conseil des généraux lui choisit pour successeur son demi-frère, Philippe Arrhidée, régent du fils posthume d'Alexandre que venait de mettre au monde Roxane, Alexandre II, dit Aegos. Le régent, ou plutôt celui qui régnait en son nom Perdiccas envoya dans les empires et les provinces conquis des satrapes, des gouverneurs, chargés d'y assurer la continuité du régime. L'Egypte échut à Ptolémée, fils de Lagos. Ami d'enfance d'Alexandre, apparenté peut-être à la famille royale de Macédoine par sa mère Arsinoé, bon guerrier, bon capitaine, il avait été l'un des compagnons les plus fidèles du jeune roi. Ce Macédonien bon teint allait devenir en 306 le premier roi de la dernière dynastie pharaonique, l'«Horus vivant, riche en Force, Seigneur des Diadèmes, au Nom des Dieux à qui il doit la Divinité, Horus d'Or, Seigneur des deux Terres, Roi de la Haute et de la Basse-Egypte, Dominateur des deux Contrées, aimé d'Amon, élu par Ra, Sétepenre XIV Mériamon XII Ptolémée I Soter I». Quatorze rois, tous portant le même nom de Ptolémée, et une reine, Cléopâtre, vécurent les dernières décennies d'une histoire trois fois millénaire, dont le destin se joua quelque part en mer, à Actium, en 31 av. J.-C.
Sous les Ptolémées, le Fayoum connut sa dernière grande époque: tout d'abord, l'oasis entière, le nome fut rebaptisé: aux noms indigènes de to-che, de che-chema, de pehou-chema, de ouadj-our, de pa-yom même, On préféra des vocables grecs: Limnè, «le Lac», traduction littérale du to-che originel puis «Domaine d'arsinoé», ou plus communément « nome arsinoïte » ; le Fayoum fut en effet consacré à Arsinoé, à la fois soeur et épouse de Ptolémée II Philadelphe. Ptolémée II avait épousé en premières noces Arsinoé, fille de Lysimaque; Arsinoé la Seconde, en vraie princesse macédonienne, implacable et audacieuse comme le sera plus tard Cléopâtre, réussit à évincer la reine, tout comme, quelques années auparavant à la cour de Macédoine, elle avait causé la perte de l'héritier présomptif du trône, Agathocle, en le faisant accuser de haute trahison. Accusée elle aussi de conspirer contre la dynastie, la malheureuse fut exilée à Coptos, cependant que ses complices présumés étaient mis à mort. La bouillante Macédonienne put alors épouser Ptolémée, accéder: au trône, et mériter dès lors l'épithète de Philadelphe, celle qui aime son frère»! Ce genre d'union, traditionnelle, rituelle dans l'Egypte des pharaons, choqua les Grecs Pour étouffer le scandale, on voulut exalter la nature divine de la nouvelle reine: le Fayoum, érigé donc en nome arsinoïte, lui fut consacré, et on l'associa au culte des divinités locales en tant que thea sunnaos. Les noms de villes, de villages même, furent changés pour servir la cause royale et garantir les institutions dynastiques: Ptolémaïs, Philadelphie, Théadelphie, Arsinoé, et même Dionysias, qui commémorait la dévotion particuliére que les Lagides portaient au fils de Sémélé.
Depuis son avènement, et suivant une idée chère à son père, Ptolémée II rêvait de créer en Egypte une Macédoine nouvelle, terre vierge ou loger ses soldats et leurs familles, qui leur rappelle la mère patrie; plus que toute autre province, le Fayoum s'y prêtait, avec ses vaste étendues de bonne terre, son lac, plus proches du coeur des Grecs que l'austère aridité de la vallée du Nil. Les travaux étaient d'envergure: pour gagner de nouveaux champs, pour doter les siens sans léser pour autant les propriétaires autochtones, Ptolémée II dut faire assécher une grande partie du lac. En 253 av. J.C., en l'an 32 de son règne, Ptolémée Philadelphe inspecta lui-même le Fayoum ; Les colons affluèrent bientôt à côté des propriétaires autochtones qui s'étaient jusqu'ici partagé le terrain apparurent les clérouques. Ces clérouques étaient d'anciens machimoi, des hommes de guerre, d'origine gréco-macédonienne exclusivement sous les premiers Lagides, plus tard aussi asiatique, arabe ou sémite, voire indigène, qui étaient mis au bénéfice d'un kléros, d'un lot de terre, d'un domaine. Ce système ingénieux permettait au roi de disposer d'hommes de métier en tout temps et de pouvoir lever une armée sans retard si les circonstances l'exigeaient; le kléros était attribué par le roi, et revenait au roi à la mort de son bénéficiaire pour être redistribué, à moins qu'il ne passe, comme l'usage s'en établit bientôt, aux descendants directs. Ainsi commença cette fusion des races, des coutumes, des religions, dont la civilisation même du Fayoum est l'étonnante résultante. L'oasis connut donc un nouvel âge d'or: adroitement exploitée, sa riche terre noire produisait en abondance ces céréales que l'on exportait jusqu'aux confins du monde méditerranéen. Riche, le Fayoum l'était! On vit alors surgir, en bordure des terres arables, de nouvelles villes, de nouveaux bourgs, dont les noms trahissaient l'origine de leurs fondateurs: Grecs à Lysimachis, Héphaestias, Hérakléa, Evéméria; Egyptiens à Kerkéosiris, Pseuaryo, Athribis, Mendès; Asiatiques ou Sémites à Magdola, Chanaana~st Samaria.
Rome
Alors se profilèrent les aigles de Rome: en 207 av. J.C;, Ptolémée VIII Soter, descendant légitime de la dynastie lagide, chassé d'Egypte par sa propre mère, la reine Cléopâtre III, qui lui substitua son jeune frère Ptolémée IX Alexandre. Exilé à Chypre, Soter dut attendre la mort de la reine et l'assassinat d'Alexandre, prince impopulaire s'il en fut, pour regagner la capitale et rétablir la légitimité du Pouvoir, associant au trône sa propre fille, Bérénice Philadelphe. Depuis plusieurs années déjà, suivant de près les inextricables démêlés des Lagides, Rome n'attendait que l'instant favorable pour s'immiscer dans les affaires de l'Etat, et mener dès lors à sa guise la fortune de l'Egypte; lorsque Soter mourut, que Bérénice III occupa seule le trône, Sylla joua un atout maître en lui envoyant pour époux son propre cousin, un fils d'Alexandre, qui, réfugié à Cos, était devenu l'un de ses clients. A peine introduit au palais, le jeune prince devenu Ptolémée X, fut plongé à corps perdu dans les intrigues, les complots, qui faisaient et défaisaient la cour. Rome, ayant réussi à éliminer le dernier représentant légitime de la dynastie, essaya de faire valoir un testament apocryphe du feu roi, qui léguait «par reconnaissance» l'empire d'Egypte à la République. C'était aller trop vite: les Alexandrins surent parer le coup en mettant sur le trône un bâtard de Soter. Irresponsable,instable à l'extrême, il devint à ce point impopulaire qu'il dut aller se réfugier à Rome pour y demander protection. A Alexandrie, sa fille Bérénice s'empara du trône vacant, et tint à envoyer elle aussi une délégation au Sénat pour obtenir confirmation de sa légitimité. Rome enfin allait pouvoir jouer le rôle d'arbitre! Mais une fois de plus le destin devait retarder les choses : lorsque les deux ambassades égyptiennes se présentérent, la République était en proie aux luttes des partisans, et trop préoccupée de ses propres affaires pour prendre parti. Enfin, en octobre 48, César arriva à Alexandrie; il y trouva, au pied du trône, opposés et farouches comme le voulaient les traditions familiales, Ptolémée XII, un enfant, et sa soeur-épouse Cléopâtre VII. L'Egypte devait être bien puissante encore pour attacher au dernier chapitre de son histoire quatre des figures les plus marquantes du siècle, Pompée, César, Antoine et Octave, qui, tour à tour, luttèrent d'influence pour s'y imposer en maître. Le 2 septembre 31 à Actium, le destin de l'Egypte était joué. Province romaine, l'Egypte restera liée au sort de l'Empire jusqu'au règne de Maximin, jusqu'en 310 ap. J.C. environ.
Le Fayoum perdra sous la domination de Rome tout le bénéfice de l'héritage lagide, bien qu'à l'écart des soulèvements nationalistes, des des révoltes, des répressions qui ensanglantèrent le pays pendant près de trois siècles, épargnée même par les armées de Zaldas qui envahirent le Delta au nom de Zénobie, reine de Palmyre, la province n'en fut pas moins affamée, reduite à la misère, désertée enfin. Au début du IVe siècle de notre ère, le «grenier de l'Egypte» n'était plus qu'une vaste plaine désolée aux terres épuisées, que tentaient d'engraisser vainement quelques fellahs haves, sillonnée parfois par les lentes processions des prêtres vêtus de blanc qui seuls demeuraient en faction auprès de leurs dieux abandonnés.
Il est vrai que Rome avait eu la main lourde: Octave, devenu Auguste, considéra l'Egypte bien plus comme un domaine personnel que comme une province rattachée au Sénat; sans autre souci que de rentabilité, il imposa au pays des charges écrasantes. Pour mâter toute résistance, trois légions auxquelles on adjoignait parfois des troupes de renfort avalent été mises sous l'autorité d'un préfet résidant à Alexandrie au nom de l'empereur. Les trois premiers préfets en charge, Cornelius Gallus, Aelius Gallus et Petronius s'y employèrent avec un zèle si implacable qu'écrasés déjà par les exigences des Ptolémées, les cultivateurs du Fayoum furent bientôt aux abois. Comme il était impossible aux préfets de soutirer de l'argent là où il n'y en avait plus, Tibère eut l'idée de s'adresser aux classes jusqu'alors privilégiées en substituant au principe de l'impôt d'affermage celui de la responsabilité collective: ce que les paysans ne pouvaient pas payer, les riches devaient s'en acquitter.
Les empereurs épuisaient l'Egypte, mais respectaient pourtant ses dieux on retrouve leurs effigies tout au long de la vallée du Nil, revêtus des insignes sacerdotaux accomplissant les gestes qu'exige le rituel. Néron ouvre la procession des dieux Nil au temple d'Hathor de Denderah, Domitien, Trajan, Hadrien se sont associés au culte d'Isis à Philae; Antonin le Pieux, Commode et Macrin à celui de Sobek de Kom Ombo. Au Fayoum même, le stratège Zobalos consacra à Auguste un autel qu'il mit sous la protection d'Ermouthis, l'ancienne Rennoutet, devant son temple de Medinet Madi. Gestes politiques ou témoignages d'une certaine ferveur, de cuirosité peut-être, il est difficile d'en trancher. Outre les touristes ordinaires, tel ce Memmius qui se fit organiser une visite exhaustive du Fayoum, avec pèlerinage au Labyrinthe et repas des crocodiles sacrés, certains empereurs se plurent à remonter le Nil: Germanicus, alors héritier présomptif, parcourut le grand temple d'Amon de Thèbes, et se vanta d'y avoir rencontré le dernier prêtre initié à la lecture des hiéroglyphes; Titus, dit-on, assista à l'intronisation d'un taureau Apis; Hadrien fut à ce point passionné par l'Egypte qu'il y passa près d'un an en 130-131.
Les derniers empereurs rendirent muets les dieux d'Egypte. Les Chrétiens, eux, les anéantirent, brisèrent leurs statues, martelèrent leurs effigies, massacrérent leurs prêtres; en mars 415, le farouche saint Cyrille d'Alexandrie, le «Père de tous les Sceaux », celui qui fit triompher l'orthodoxie au concile d'Ephèse, affronta la belle Hypatie, fille de Théon d'Alexandrie, philosophe néo-platonicienne, mathématicienne et astronome; Cyrille lâcha une foule fanatique et grondante sur le Mouseion, où la paienne» fut mise en pièces au nom du Christ. Alors l'Egypte se tut.
Les sites majeurs
Nous sommes hélas mal renseignés sur les nécropoles, sur les hypogées où furent mises au jour les momies à portraits. Les sites majeurs d'Er Rubayat, d'Abousir el-Melek, de Hawara même, avaient été exploités par les fouilleurs clandestins bien avant que n'en prennent possession les archéologues , le saccage était alors trop avancé pour songer à toute enquête : fosses béantes, momies démembrées, linceuls déchiquetés ne permettaient même plus de procéder aux relevés habituels, ni, à plus forte raison, d'aborder l'étude des rites funéraires de l'Egypte gréco-romaine, si mal connus pourtant.
En outre, nombre de nos portraits furent acquis par les musées ou par les collectionneurs sur le marché, auprès d'antiquaires spécialisés, tels que Theodor Graf, qui les tenaient de leurs correspondants attitrés au Caire, eux-mêmes alimentés par ces rabatteurs professionnels dont le talent est de dénicher dans les campagnes le fellah à la pioche heureuse. A celui qui cherche, à celui qui prétend remonter la filière, s'oppose toujours, à un échelon ou à un autre, le mutisme obstiné de celui qui n'avouera jamais ses sources!
Gageons que nous aurons bientôt à reparler de peinture!
Hawara
A Hawara, à relire Petrie, les momies avaient été déposées dans de simples fosses à fleur de sol, «in the open ground », et recouvertes de sable ; le plus souvent, les parois intérieures de la fosse étaient plaquées de briques crues en assises régulières, qui assuraient seules la protection des corps ensevelis. Tout au long des fouilles qu'il dirigea là, Petrie ne mit au jour qu'une tombe taillée dans le roc: elle se composait d'une chambre funéraire de petite dimension (2 m 31x1 m 61) sans décor aucun, dont l'accès était assuré par un large puits. Cette tombe, l'une des plus anciennes de la nécropole, livra cinq momies, dont trois à portraits.
Abousir el-Melek
A Abousir el-Melek, au cours de la campagne d'hiver 1903-1904, on dégagea l'entrée d'une fondation funéraire parmi les plus importantes de la province : un puits creusé à flanc de colline conduisait à une galerie longue d'une trentaine de mètres, sur laquelle s'ouvraient vingt-et-un loculi, dix occupant le côté gauche et onze le droit, de dimensions irrégulières, ces loculi abritaient de un à cinq sarcophages chacun, sans mobilier funéraire aucun. Les premiers sarcophages examinés remontaient à la période romaine; mais plus loin on en découvrit de plus anciens, saïtes sans doute; la galerie, occupée jusqu'aux premiers siècles de notre ère, avait donc été creusée dans la première moitié du VIIe siècle av, J.-C. déjà, sous le règne de ce Psammétique Ier, premier roi de la XXVIe dynastie, qui apposa ses cartouches à une oeuvre plus ambitieuse, quoique de conception analogue, le Sérapeum de Sakkara.
Er Rubayat
Sur Er Rubayat, les rapports sont plus minces encore: selon Reinach, les plus beaux portraits de la collection Graf auraient été retrouvés dans des tombes «creusées dans le roc» et dans de mystérieux «édicules ronds ou carrés abritant une grande salle d'où rayonnent des loculi»; nous connaissons ces édicules, par trois esquisses, plans et coupes, dues à l'ingénieur autrichien Stadler, qui participa à la découverte, ou tout au moins s'y compromit en vendant pour son compte un lot de portraits à Ali, le correspondant fameux de Graf. Mais ces relevés sont si visiblement fautifs, si flous, qu'on ne saurait honnêtement les considérer comme matériau archéologique. Le troisième et dernier témoignage est dû à l'autorité du Dr Fouquet, le grand collectionneur, résidant alors au Caire: dans une communication à l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres en date du 25 avril 1887, Fouquet annonce la découverte de la nécropole et, en marge du site, d'une «grotte »: « le sol était couvert de cadavres, les uns momifiés, les autres seulement enveloppés de plusieurs suaires superposés. Sous la tête de chacun de ces derniers se trouvait une planchette portant une inscription qui indiquait le nom du mort, sa profession et son lieu de naissance. Les parois de la grotte étaient ornées d'un très grand nombre de portraits peints sur bois et pour la plupart en très bon état de conservation. (.) Les vandales qui ont fait cette importante trouvaille n'ont pas craint de brûler pendant trois nuits consécutives les inscriptions et les portraits, dont quelques pièces à peine ont échappé à ce carnage». Enquête menée, le rapport de Fouquet ne repose que sur des témoignages indirects; il doit donc être reçu avec autant de prudence que les croquis de Stadler.
Haute-Egypte

Cheik Abadeh

Nous connaissons mieux, heureusement, les nécropoles romaines de Haute-Egypte: grâce à Albert Gayet, grâce aux pages colorées qu'il consacra à ses fouilles de Cheik Abadeh Gayet découvrit, un a un, les défunts de l'antique Antinoopolis: «d'un quartier à l'autre de cette ville des morts, l'aspect des tombes diffère d'une façon sensible. Celles du premier consistent en un petit caveau, bâti en briques crues, établi une profondeur de deux mètres du sol, dans lequel est déposé un sarcophage de bois sans ornements. Souvent, même, le mort est simplement couché sur un plancher, le corps emmailloté de bandelettes. Dans les deux autres groupes, ce caveau se réduit à une sorte de sépulcre, de la grandeur d'un cercueil. Deux ou trois dalles forment le fond, deux ou trois autres les côtés, deux ou trois autres encore le couvercle. A fleur de sol, un rectangle, tracé au moyen de briques, posées à plat, marque la place du tombeau, et forme comme un entourage, qui servit, peut-être, autrefois, de base au monument».
Trois types fondamentaux de sculpture
  1. Le plus courant, le plus rudimentaire aussi, consiste en une fosse réservée dans le sable ou dans la caillasse, où reposent une ou parfois plusieurs momies, protégées par un bâti de briques; les tombes de ce premier type, les plus nombreuses, forment le noyau central des nécropoles de Cheik Abadeh et de Hawara ; pour Gayet et Petrie, elles appartiendraient toutes à la période impériale tardive.
  2. Les fondations du deuxième type rassemblent les caveaux à puits ou à descenderie: un couloir étroit, ménagé dans le roc, conduit soit à une petite chambre funéraire comme à Hawara, soit à une galerie en épine dorsale au long de laquelle s'ouvrent des loculi, comme à Abousir el-Melek; ces tombes sont sans doute antérieures à celles du premier type: la galerie d'Abousir el-Melek avait été creusée, en période saïte déjà; à Hawara, l'examen des cinq momies retrouvées permet de dater l'aménagement de la chambre de la fin du Ier siècle de notre ère, des règnes de Nerva ou de Trajan. On peut rattacher à ce deuxième groupe l'hypogée de Sakkara qu'explora Pietro della Valle, et, si ses rapporteurs ne l'ont pas trompé, la «grotte» du Dr Fouquet à Er Rubayat.
  3. Le dernier ensemble est plus difficile à cerner, puisque l'étude en repose exclusivement sur les croquis de Stadler: à croire l'ingénieur, on aurait mis au jour à Er Rubayat trois tombeaux collectifs de conception nouvelle, révolutionnaire même sur terre d'Egypte, le premier, plaqué de briques crues, ressemble en fait étrangement à l'hypogée d'Abousir el-Melek: un escalier conduit à une salle souterraine desservant quinze loculi, six sur chacun des latéraux et trois dans l'axe central. Le deuxième, en pierres de taille, compte six loculi, dont quatre dotés de niches annexes, distribués par groupes de deux autour d'un atrium de plan carré. Le troisième est le plus déconcertant: bâti à niveau sur plan circulaire, il groupe, autour d'une cour centrale à ciel ouvert, sept loculi rayonnants dont l'accès est assuré par un couloir bas percé de quatre loges de taille à recevoir chacune un sarcophage. Aucun des trois tombeaux qu'a décrits Stadler n'a pu être identifié sur le terrain.
Mobiliers
Le mobiler funéraire que livrèrent les tombes de Basse et de Hautes-Egypte est des plus rudimentaires; ni les fosses de Cheik Abadeh ou de Hawara, ni les loculi d'Abousir el-Melek ou d'Er Kubayat n'ont pu contenir les dépôts somptueux des grands hypogées de haute époque. Faute de place, il fallut limiter les offrandes à l'essentiel de ce que le rituel exigealt que l'on plaçât au chevet des morts. Si modestes qu'aient été les objets, les pillards ont tout saccagé en détroussant les momies.
Gayet, lui, eut ce privilège de découvrir à Cheik Abadeh des tombes inviolées, et donc de rendre compte de mobiliers que l'on n'avait pas profanés: «de la tombe d'une dame byzantine sortait un miroir à verre convexe étamé, enchâssé dans une monture d'argent; d'une autre, des coussins de tapisserie, brodés peut-être sur le métier de la défunte, et qui servirent à parer ses divans, avant d'aller former sa couche funèbre d'un autre encore, des figurines de terre cuite, un Horkhouti ailé, chevauchant un sphinx; un Anubis, devenu entre les mains du modeleur grec un caniche frisé ; un Horus enfant, portant le doigt à ses lèvres; des Minerves; des lampes funéraires, décorées d'Amours et de têtes de Méduse; des pots de terre cuite et d'ivoire; des Vénus d'argile émaillée". Plus loin, dans la tombe de Leukyôné, Gayet retrouva intact au côté de la morte le petit autel sur lequel avaient été déposées à l'heure des funérailles les effigies de ses dieux familiers; témoignage unique que ce laraire ou se mêlent, où se confondent divinités égyptiennes, grecques et romaines. C'est encore tout un groupe de symboles, pousses et fleurs de palmier et de lotus, qui accentue le sens du rite génésiaque, indiqué par le laraire olympien. L'oeil mystique, qui conjure le mauvais sort; et le coeur, dont le rôle est de justifier son possesseur, lors de la comparution de celui-ci au tribunal d'Osiris. D'autres parures donnent à ce laraire son sens définitif, avec, d'abord, l'initiation aux mystères d'Isis, prouvée par la présence de boucles de cornaline. Dans le dogme de l'Egypte, la boucle de cornaline est le "sang d'Isis qui lave le mort de ses péchés", lors de la pesée de l'âme, après que le coeur l'a justifiée. La forme de cette boucle diffère, à cette époque, il est vrai; mais, pour affecter celle d'un anneau, aux temps romains, son sens n'en demeure pas moins le même. Les symboles des cultes de la Pierre Noire, mis en honneur par Héliogabale, en même temps qu'ils datent cette sépulture, donnent aux religions qui y sont représentées leur véritable interprétation. Et, complétant le tout, des têtes d'Isis-Vénus encore, de délicieux tanagras, aux opulentes chevelures étagées, entremêlées de feuillages, firent partie, autrefois, d'un autre collier, où, serties à une monture métallique, elles s'unirent aux emblèmes de la Vie Une.
La Tente de Purification
Le long cérémonial qui visait, bien plus qu'à conserver le corps, à lui assurer l'éternité en l'assimilant au destin d'0siris, à ranimer ses forces, à éveiller sa perception, avait perdu son sens profond, sa magie, chez les embaumeurs de Basse Epoque: on leur confiait un cadavre, ils livraient une momie! L'opération, pourtant, coûtait fort cher: une momie soignée pouvait engloutir, taxes comprises, les revenus d'une année entière. Le séjour dans la Tente de Purification, les soixante-dix jours de travail imposés, les émoluments des prêtres, des paraschistes, des taricheutes, des choachytes, de tout le personnel annexe, la location du matériel, tables, couteaux stylets, crochets, le natron sec, les onguents, les huiles balsamiques, les essences précieuses, les résines, les bandelettes de lin fin, les suaires, les amulettes, le masque enfin, tout se payait; une fois réglées les taxes d'Etat sur le transport du corps et la célébration de l'ultime rituel, la famille pouvait s'estimer quitte envers les hommes et envers les dieux. Mais était-on sûr de n'avoir été ni volé, ni trompé ? L'examen des momies a révélé d'innombrables fraudes: ici, les amulettes précieuses avaient été distraites par les emmallloteurs; là, les huiles précieuses, allongées d'eau par économie, s'étaient réduites à quelques dépôts brunâtres, sans autre vertu que de tacher les linceuls, là encore, on avait substitué aux viscères, sans doute égarés par l'officiant, des paquets d'étoupe et de corde glissés à la hâte dans la cavité abdominale. On retrouva même dans la cage thoracique d'un corps autopsié les restes desséchés de trois souris qui s'étaient fourvoyées là en cours d'embaumement!
Si les corps étaient martyrisés dans le secret de l'ouabet, on réservait les soins les plus jaloux à la parure funéraire: jamais les momies n'ont été mieux apprêtées qu'en période romaine: sur un premier suaire du lin le plus fin épousant le corps était posé le réseau complexe des bandelettes qui, membre par membre, doigt par doigt, assuraient l'intégrité du défunt. On allait parfois jusqu'à placer entre chaque enveloppement des tampons de rembourrage qui rendaient aux bras, aux jambes décharnés l'apparence de la vie. Un dernier lacis était posé, imitant une cotte, en losanges concentriques ornés d'un bouton floral de cire ou de stuc doré. Un ou plusieurs suaires peints complétaient l'ajustement. La momie était encore enfermée dans une gaine de cartonnage stuqué et polychromé; on y représentait parfois le défunt comme ressuscité déjà, en vêtements d'apparat brodés et rebrodés, enrichis d'ornements d'or, ou plus souvent, en léger relief, un ensemble de vignettes choisies pour leurs vertus protectrices dans le Livre des Morts.
Le cartonnage d'Artemidorus
Le cartonnage d'Artemidorus porte ainsi sur trois registres rehaussés d'or sur fond rose vif :
  1. Anubis parachevant la toilette de la momie, déposée sur le lit rituel à l'effigie du lion; Isis et Nephthys déplorant le défunt
  2. Horus et Thoth, coiffés l'un du pschent et l'autre de l'atef, veillant sur l'emblème de ta-our, du nome de la «grande Terre » d'Abydos, fief d'Osiris
  3. Osiris enfin, se dressant du lit funéraire, salué par Isis sous sa forme de faucon. Un large collier-ousekh à têtes de faucons couronnés, les deux Maat, et, aux pieds, le disque solaire ailé, complètent l'ensemble. Certaines momies, comme celle-ci, ne portent que les symboles essentiels, d'autres développent en revanche une iconographie infiniment complexe, tels les suaires de Dion ou de Tayntho semés de divinités et de monstres. Mais tous, cartonnages ou suaires, se réfèrent aux seuls mythes égyptiens classiques, sans autre trace d'influence grecque ou romaine que le voeu traditionnel, eupsuchi, "bonne route".
    Le masque enfin était fixé, et c'est la règle absolue, à l'emplacement du visage sur l'enveloppe extérieure de la momie, soit dans le réseau des bandelettes-cotte, soit par un bourrelet de stuc à même le cartonnage. Tels nous sont parvenus Artemidorus, Ammonius, Demetrios, tous les autres, embaumés, ils ont donc choisi, hommes d'Occident, de s'affilier pour l'éternité aux mystères de la vieille Egypte.
Le rituel classique
Le rituel classique visait, à animer un corps inerte, à le transfigurer, à le célébrer en tant qu'0siris vivant, rayonnant, ou plus exactement à lui faire connaître le destin même du dieu, à l'assimiler à ses épreuves: comme Osiris il connaît l'ombre de la mort; comme Osiris, son corps est démembré par les forces du Mal comme pour Osiris, les déesses tutélaires, Isis et Nephthys, à la fois épouse et soeurs, rassemblent ses membres épars, oignent son corps martyrisé, le purifient, puis, au cours d'un long cérémonial, le rendent à la vie, au jour; aidées par Anubis, par Sokaris parfois, par les quatre fils d'Horus, Amsit, Hapi, Douamoutef et Qebesennouf, par d'autres divnités, par d'autres génies encore, elles unissent leurs forces pour que s'ouvre l'oeil du dieu, pour que s'anime son regard.

Pendant des siècles, inlassablement, les prêtres répétèrent pour chacun, sur chacun, ce mystère, chaque parole, chaque formule, chaque geste, chaque offrande, chaque onction, chaque amulette, contribuaient à l'avènement d'un dieu «resplendissant de vie». Or il n'est pas peu frappant de constater, dans l'accomplissement des rites, l'importance accordée à la tête, au visage, ou à leur substitut, le masque; il semble bien que les prêtres aient considéré les yeux, les narines, la bouche, comme les liens mêmes qui unissent l'individu aux forces cosmiques, aux dieux qui en sont la manifestation; car c'est aussi transfigurer le défunt que de le fondre au sein des forces vives qui animent l'univers, d'appeler en lui ces forces mêmes pour l'aider à gagner la douat.

Pour chacun, les cérémonies du retour à la vie se déroulaient en deux temps, la momification proprement dite et la mise au tombeau, et en deux lieux, la Tente de Purification et l'avant-cour de la tombe. Tout d'abord, le corps était «préparé» par les embaumeurs, là déjà, la tête était l'objet de soins extrêmes qui exigeaient des prêtres une connaissance parfaite du rituel. Avant même de traiter le corps, ils oignaient le visage pour le punfier.
Après que le corps eut été vidé et qu'il eut séjourné dans le natron, après qu'on l'eut enfermé. dans un premier suaire et qu'eurent été posés aux mains et aux pieds les doigtiers d'or, on procédait à la pose des bandelettes, en enveloppant d'abord la tête. Après un séjour de quelque soixante-dix jours dans la Tente de Purification, le défunt, passé à l'état de momie, était porté au tombeau; là, avant même de l'y descendre, un dernier rituel était célébré, plus important encore que le précédent peut-être, puisqu'il visait à « animer » la momie, à lui rendre, faculté par faculté, tous les pouvoirs d'un être à part entière. Le corps emmailloté, enfermé dans un cercuell anthropoïde, était dressé sur un terre-plein de sable (ce qui justifie la taille singulière des bases des sarcophages du Nouvel Empire et de Basse Epoque); après que les pleureuses se eurent longuement lamentées à ses pieds, comme pour le retenir sur terre, après que la grande et la petite djeret se furent détachées du groupe pour mimer l'affliction, la douleur d'Isis et de Nephthys, les cérémoniaires s'avançaient: à leur tête, le prêtre-sem, revêtu d'une peau de panthère, dirigeait le «jeu»; Le sarcophage, purifié par lustrations et par fumigations d'encens répétées, était enfin livré aux desservants.

Alors, le masque était oint d'huiles sacrées, et l'on apposait sur son front l'oeil même d'Horus, le tout-puissant oudjat; vivifié, le défunt ouvrait ses yeux, déliait tout son corps.

Portraits du Fayoum et rituel classique
Les portraits peints du Fayoum ne répondent pas aux exigences du rituel égyptien: pour que soit célébré le «jeu» de l'Ouverture de la Bouche, pour que soient attouchés tour à tour le front, les yeux, le nez, la bouche, l'occiput, pour que s'animent les prunelles, pour que s'exhale le souffle recouvré par la puissance du verbe sacré, le masque, support et véhicule des forces divines, doit être traité en ronde-bosse. Il est difficile d'admettre en effet que le mystère, tel que nous en connaissons le déroulement, ait été célébré face à un panneau peint. Erronée donc, l'hypothèse qui voulait que nos portraits marquent l'étape dernière d'une longue évolution du masque funéraire à l'effigie modelée dans le stuc, puis à la figure de chevalet. A moins de limiter le râle du masque à son seul pouvoir de recognition, permettant à l'âme, après justification, de retrouver un corps, une enveloppe, on ne saurait donc inscrire les portraits du Fayoum dans la tradition égyptienne pure. C'est donc, en toute vraisemblance, qu'il faut les affilier au rite romain.
Portraits du Fayoum et rite romain
Nos portraits se situent tous entre le Ier siècle de notre ère et la fin du IVe siècle, des règnes de Tibère et de Caligula à ceux des Valentiniens; or la période impériale marque dès ses origines l'affaiblissement de la grande religion, ou tout au moins de la religiosité romaine. Les dieux veillent toujours dans leurs temples, Jupiter, Mars, Junon, Vénus, Minerve, président encore aux destinées humaines ; les pontifes leur consacrent les sacrifices exigés, les fêtes, les jours fastes et néfastes inscrits au calendrier des rites sont observés, mais l'élan s'est brisé, la foi glacée: les grands dieux de la République ne sont plus que de pâles fantoches, entraînés malgré eux dans d'invraisemblables aventures que l'on ose à peine appeler des mythes, les Immortels ont usé leur sang à la froideur de leurs sujets.

A l'encontre des dieux romains «qui n'ont plus d'oreilles», Isis sait entendre les prières qui lui sont adressées, et récompenser ceux qui la servent d'un coeur pur.

D'où la fascination qu'exercèrent les religions orientales, du culte d'Isis aux mystères de Mithra, voire au christianisme naissant: pour elles, la mort n'est pas une fin. Même pour un Romain, le royaume d'Osiris valait mieux que l'antre désolé où s'exerce la vindicte de Pluton: « il est une route en pente, qu'obscurcit l'ombre funébre de l'if; elle conduit, dans un silence que ne rompt aucune voix, à l'infernal séjour. Le Styx aux eaux mortes y exhale ses vapeurs, et par là descendent les ombres des morts récents, les spectres en règle avec le tombeau. La pâleur et le froid étendent leur empire sur ces lieux désolés ...».

Pour l'Egyptien, la mort est un avènement; pour le Romain qui n'a pas cherché le réconfort dans d'autres métaphysiques, dans d'autres mythes que les siens, elle est injuste.

Les temples des divinités orientales ne désemplirent donc plus; on s'en inquiéta, puis on s'en indigna: Juvénal stigmatise les bigotes, sectaires d'Isis, qui, pour obéir au rite, vont en plein hiver casser la glace du Tibre et se plonger par trois fois dans une eau sale qu'elles veulent croire lustrale!

C'en était trop! Les défenseurs de la vertu prirent peur; peur surtout que les âmes de leurs grands hommes n'aillent peupler quelque vâna exotique, quelque paradis perdu. On s'efforça donc au cours du Ier siécle de notre ère de raviver les coutumes ancestrales, de rendre aux Romains des honneurs de Romains.

Le déroulement des funérailles obéissait à un rituel précis: à l'instant même du décès, la famille, les proches, les gens de maison parcouraient le domaine entier en criant son nom. Puis on procédait à la toilette du corps, à sa purification, parfois à un embaumement rudimentaire. Les usages romains paraissent donc calqués sur ceux de la Grèce classique à Athènes aussi, le défunt était exposé dans le vestibule de sa maison, vêtu de blanc, le visage découvert ; le Grec et le Romain avaient une attitude fondamentalement différente face à la mort: le Grec honorait ses défunts, le Romain les célèbre. La participation de tous au deuil de la gens, l'exposition du corps au forum, la lecture publique de l'éloge funébre en témoignent.

A Rome, ce n'est pas l'apothéose du défunt que l'on célèbre, sa fusion avec les dieux comme en Egypte, mais sa grandeur terrestre, ses vertus, ses mérites; la valeur seule assure l'immortalité.

L'imago était moulée sur le visage même du défunt, peinte au naturel par un polinctor spécialisé, garnie d'yeux incrustés et de faux cheveux. On l'exposait au côté du corps pendant la conclamatio, elle accompagnait le convoi jusqu'au tombeau; au forum, elle se substituait même à la dépouille, puisque l'orateur lui adressait, comme à un être à part entière, sa laudatio. Elle trouvait place enfin dans l'atrium parmi les ancêtres, et on lui consacrait une tablette de bois, le tabulinum, sur laquelle était inscrite la copie, ou le résumé de l'éloge funèbre. Mais le rôle de l'effigie ne se limitait pas à la célébration du disparu: les imagines participaient, tout comme les génies domestiques, à la vie de la gens. Aux funérailles d'un membre de la famille, on les sortait de leur naos, on les assoclalt aux cérémonies;

Les portraits du Fayoum, les seules imagines?
Les portraits du Fayoum seraient-ils, les seules imagines qui nous soient parvenues? Non, sans doute, puisque tous les portraits ont été retrouvés dans des tombes, sur des momies, et non pas dans l'atrium des maisons particulières, comme le voulait l'usage de Rome. De plus, les imagines étaient moulées sur le visage même du défunt ; un portrait peint ne saurait se substituer à un buste.

Pourtant, il y a quelque soixante ans, Petrie, examinant de près les momies qu'il venait d'exhumer à Hawara, fit d'étranges constatations: les cartonnages qui les abritaient étaient marqués de cicatrices , ici, une profonde éraflure longitudinale, comme si la momie avait subi un choc alors qu'elle était placée debout; là, au niveau du mollet, un graffito malhabile, un bonhomme comme en dessinent les enfants ; là encore, des traces de mouillure sur l'enduit dues, semble-t-il, aux intempéries. Et encore des taches, des éclaboussures, et même des chiures de mouche, que l'on ne décèle jamals sur un objet qui, enfermé dans son caveau sitôt achevé, est donc protégé de toute agression extérieure.

Petrie émit l'hypothèse que les Romains d'Egypte avaient substitué aux imagines majorum les majores eux-mêmes, et que c'est à la momie qu'étaient rendus les cultes domestiques. Si déconcertante qu'elle paraisse de prime abord, l'hypothèse est vraisemblable : pour le Romain, l'imago était un simulacre, ne peut-on imaginer que les colons d'Egypte, 3 qui n'étaient certes pas initiés à tous les mystères du rituel égyptien, aient assimilé les momies que leur remettaient les embaumeurs, gainées dans leurs étuis peints de couleurs vives, aux bustes de la métropole ? C'est d'autant plus probable qu'on mit au jour à quelques années de là dans la concession allemande d'Abousir el-Melek des sarcophages d'un type inédit: les momies, revêtues de cartonnages anthropoïdes, étaient enfermées dans des naos, dans des armoires de bois munies de portes double battant, d'où le nom de Schranksarge que leur donnèrent les découvreurs.

Il faut donc admettre avec Petrie que les portraits du Fayoum, indissociables du défunt dont ils célébraient les traits, des bandelettes, du cartonnage et du Sarcophage, participaient d'un culte domestique des imagines ; mais le sens profond en avait évolué au contact de l'Egypte, au point que le corps, magnifié par la puissance magique de son enveloppe, s'était substitué à l'image.

Est-on sûr que les Romains du Fayoum célébraient encore leurs mânes ? Un portrait du Musée du Caire, L'Ecolière, en apporte la preuve; en fait, il s'agit moins d'un portrait que d'un autel: l'effigie de la jeune fille, en tondo cerclé d'une guirlande, est encastrée dans un édicule de bois peint soutenu par deux minces colonnettes; sur la base sont peintes les offrandes rituelles, bouquets de fleurs, paniers de fruits, une amphore et deux canthares. Un tel objet ne saurait être placé sur le visage d'une momie; à lui seul, l'autel de L'Ecoliére nous assure donc de la survivance du jus imaginum dans l'Egypte impériale. Voilà éclairé du même coup le mystérieux Tondo des deux Frères du Musée du Caire: sur un panneau circulaire sont représentés côte à côte, épaule contre épaule, deux jeunes hommes flanqués des effigies en camaïeu de divinités gréco-égyptiennes, Hermanubis Psychopompe et Osirantinoos, Antinous déifié. Si l'on persiste à croire que les portraits du Fayoum ne furent que des masques funéraires, le tondo est inexplicable; on ne saurait imaginer en effet une double momie à masque unique, un sarcophage abritant deux corps conjoints. Si par contre on admet que les portraits furent aussi des imagines, qu'on les célébrait comme telles, le mystère se dissipe: il s'agit de l'un de ces clipei dont Pline fait mention, de l'un de ces médaillons que l'on substituait parfois aux masques traditionnels, pour leur rendre les mêmes devoirs.

Au Fayoum, et dans toute l'Egypte romaine, le portrait a donc connu plus qu'une évolution, une mutation: de tradition romaine, il fut introduit en Egypte par les colons; on le vénérait dans les demeures patriciennes ou bourgeoises au même titre que le clipeus à Rome. Mais le mystère des religions égyptiennes exerça sur les Méditerranéens une telle fascination qu'ils se risquèrent bientôt à confier leurs morts à Osiris, à implorer pour eux la grâce d'une résurrection dont leur religion avait tu la grandeur. Romains cependant, ils gardèrent de leurs usages ce respect de la ressemblance, de la vera effigies, qui les amena à remplacer le masque à l'égyptienne par le clipeus, par l'imago sacrée. Mais on ne confie pas ses mânes à la terre; ils étendirent donc le culte de l'image à la momie entière.

Or tous les portraits ont été retrouvés dans les tombeaux. Nous savons que le rituel égyptien exigeait que le, corps soit confié à sa «demeure d'éternité ». A un moment donné, sans qu'il soit posslble dans l'état actuel de nos connaissances d'en fixer le terme exact, le rituel osirien reprenait ses droits, et les corps étaient descendus au caveau. Voilà pourquoi on mit au jour à Hawara, à Akhmîm, des chambres funéraires qui abritaient, au grand étonnement des fouilleurs, des momies d'une même famille, mais souvent de générations différentes, sans qu'on puisse jamals déceler à l'entrée du puits la moindre trace de réouver ture. Voilà aussi pourquol Petrie eut la surprise de découvrir dans une même fondation deux momies qui, étude faite de leurs bijoux et de leurs coiffures, furent datées l'une du règne de Trajan et l'autre de celui de Commode à près d'un siécle de là.

Peints d'après le modèle vivant?
Ces portraits ont-ils été peints d'après le modèle vivant, ou sur les traits, raidis déjà, d'un cadavre prêt à être confié aux embaumeurs ?

De prime abord, on serait tenté de pencher pour la seconde hypothèse: tous ces portraits, somme toute, appartiennent au domaine de la mort, qu'ils aient été conçus comme masques funéraires ou comme imagines. L'usage de Rome voulant que l'empreinte soit prise sur le visage quelques heures aprés le décès, on voit mal les Romains d'Egypte faire appel aux peintres de leur vivant déjà.

Et pourtant, ces portraits respirent une telle vie, une telle acuité qu'il paraît impossible, tout intuitivement, qu'un peintre, si génial soit-il, réussisse, confronté à un visage éteint, à animer à ce point un regard, à faire naître un sourire, à froncer imperceptiblement un sourcil, à infléchir un cou sur l'épaule.

Peints d'après le modèle vivant? Avis des spécialistes
Les avis des spécialistes sont aussi divergents que posslble:
  1. Smith, tous les portraits ont été peints post mortem
  2. Wilcken au contraire, le modèle était vivant lorsque l'artiste a fixé ses traits.
  3. Drerup, lui, admet que l'artiste a fait poser son modèle, mais que le portrait était réservé aux funérailles.
  4. Reinach adopte ses vues, tout en les nuançant: le commanditaire aurait fait appel à l'artiste dans un but «profane», pour orner sa demeure, pour faire figurer son image en bonne place dans l'exèdre; plus tard, à sa mort, le portrait aurait été remanié pour répondre aux exigences du rituel.
  5. Ebers pour sa part pense qu'il y a eu deux traditions distinctes: l'une du portrait «profane», du Salonbild, et l'autre du portrait «sacré», réservé à la momie; mais il tend à croire que les portraits «sacrés» n'étaient que les copies des portraits «profanes», exécutés par des artistes secondaires; aucun portrait «profane » n'ayant été retrouvé au Fayoum, nous aurions perdu, à l'en croire, tous les originaux.
  6. Buber: en arrive aux mêmes conclusions: constatant que certains portraits occupent toute la surface du panneau, alors que d'autres réservent des marges importantes, il estime que les premiers furent des portraits «profanes» et que les seconds, qui devaient être en partie recouverts par les bandelettes, avaient été peints pour la momie.
  7. Gayet enfin tranche une fois de plus sur toutes les opinions émises: pour lui, il n'y a pas à distinguer entre portraits «sacrés» et portraits «profanes», ni à tenter de savoir si les portraits ont été peints ante ou post mortem , tous ont été achetés à des peintres, voire à des marchands, qui proposaient à leurs clients un échantillonnage de races, de types, d'âges, de costumes, de coiffures, de bijoux; il ne restait donc qu'à choisir dans la série celui qui ressemblait le plus à son cher disparu !
Les portraits du Fayoum ont bel et bien été peints sur le modèle vivant; ils ont figuré dans leurs maisons pour ne prendre leur sens dernier qu'au moment de la mort, remaniés s'il le fallait pour répondre aux exigences du rituel.

Un dernier argument paraît décisif: si les portraits avalent été peints pour les funérailles, il faudrait, en toute logique, que les modèles aient été représentés tels que la mort les a saisis. On n'a pasjugé bon jusqu'ici de procéder à l'examen systématique des momies gréco-romaines; mais certaines ont trahi à la radiographie d'étranges secrets: la Ny Carlsberg Glyptothek de Copenhague possède l'un des plus beaux portraits de Hawara, l'un des plus anciens aussi, daté du règne de Vespasien: un homme énergique, dans la force de l'âge, au visage solidement charpenté, intelligent et sensuel à la fois. Or les rayons X ont révélé sous les bandelettes et les suaires le corps d'un vieillard, d'un octogénaire aux cheveux rares, aux articulations nouées, au dos voûté, aux dents usées; le portrait avait donc été peint quelque quarante ans avant le décès de son modèle. De même le Demetrios de l'Art Museum de Brooklyn , l'un des portraits de période flavienne les plus incisifs: on donnerait quarante-cinq ans au modèle, alors qu'une inscription tracée sur le premier linceul nous apprend qu'il «quitta la vie à l'âge de quatre-vingt-neuf ans». On sait les Romains d'Egypte trop épris de vraisemblance pour se rallier au «portrait idéal»; dans les deux cas donc, l'image avait été peinte bien avant la mort de son commanditaire.

Mais ne croyons pas pour autant que les portraits du Fayoum étaient oeuvres profanes, pièces de circonstance; Pline l'Ancien a bien montré de quelle vénération on entourait l'effigie des siens, de leur vivant déjà.

Image de vie, le portrait du Fayoum est aussi un défi à l'éternité.

Les portraits de près
Mais à regarder les portraits de près, à détailler la touche,le grain, à les retourner, à les palper, on est amené à faire soi-même de curieuses constatations: on remarque tout d'abord que leur revers est souvent griffé, taché, qu'on y décèle des traînées de plâtre, de bitume, comme si les portraits, avant d'être déposés sur la momie, avaient été encastrés dans un revêtement de mortier. D'autres portent sur leur pourtour des traces de clous ou de chevilles. A Hawara, Petrie retrouva même sur l'un d'eux la cordelette qui avait servi à le suspendre. Le doute n'est plus possible: les portraits du Fayoum, avant d'être érigés en masques funéraires, ont eu une autre fonction, sinon ornementale du moins domestique. On sait par Pline que la tradition romame n'ignorait pas le portrait de genre; peut-être les portraits du Fayoum furent-ils cela aussi.

En dégageant les portraits des bandelettes et des suaires qui les emprisonnaient, on s'aperçut que nombre d'entre eux avaient conservé tout ou une partie de leur cadre d'origine: baguettes de bois peint, bourrelets de stuc parfois dorés, enrichis de motifs de lierre et de vigne, ou plus simplement larges bordures pourpres ou ocres peintes à même le panneau. Un portrait de Worcester garde encore son cadre complet: de format rectangulaire, il est bordé d'un liseré tracé au pinceau, enrichi d'une guirlande de petites perles.

Pour être adaptés sur la momie, pour occuper la place qu'on leur réservait, la plupart des portraits ont été transformés: lorsqu'ils étaient trop grands, on les rognait, et trop petits, on les élargissait en quelques coups de pinceau hâtifs posés à même le suaire. Le format carré ou le tondo, s'inscrivant mal à l'emplacement du visage, on sciait les coins supérieurs, on rabotait les côtés, pour donner au panneau la forme caractéristique d'une stèle allongée. Si le portrait se brisait à être ainsi manipulé, on le restaurait grossièrement au moyen de joints de toile trempés dans un gesso clair et encollés.

En outre, des impératifs religieux pouvaient amener, semble-t-il, à remanier le portrait: l'un des plus beaux panneaux Hawara, un patricien au visage alourdi, mais transfiguré par le pinceau d'un artiste de qualité, a été littéralement «réhabillé»; son vêtement, peut-être jugé inconvenant à sa mort, a été recouvert d'une épaisse couche de peinture blanche, sans que l'exécutant ait pris la moindre peine d'en modeler la matière. La belle jeune fille d'antinoopolis dont le cou est comme nimbé d'or a été maltraitée elle aussi: en l'examinant aux rayons X, on s'est aperçu que ce brouillard précieux, évocation maladroite d'un collier-ousekh peut-être, recouvrait une premiére parure, un collier de chien composé de plusieurs rangs de disques d'or. On est en droit de penser dès lors que nombre des bijoux, des couronnes rituelles qui ceignent les fronts des défunts, ont été ajoutés au moment des funérailles, comme pour exalter leur nouvelle divinité.

Notons encore que toutes les modifications relevées, que toutes les interventions ont été exécutées avec la dernière brutalité rapidement, grossièrement, et qu'elles témoignent d'une parfaite désinvolture à l'égard des originaux. Il est même arrivé que certains portraits abîmés, brisés ou délaissés, le modèle étant mort sans que l'on juge nécessaire de déposer son imago sur la momie, soient réemployés: le Musée de Dresde possède un panneau dont le recto est occupé par l'effigie à l'encaustique d'une femme que l'on peut dater de la fin du Ier ou du IIe siècle ap J.-C., alors qu'au verso figure un homme peint à la tempera dans la seconde moitié du IIIe siécle, portrait médiocre par ailleurs.

Portraits du Fayoum et singularité
Les portraits, en dépit de leur similitude, comportent des différences que l'oeil doit apprendre à déceler, des singularités, des accents propres; il s'agit donc d'un art qui s'inscrit moins dans des formules, comme on serait tenté de le croire de prime abord, que dans une modulalion à partir d'un type idéal. Dans la mesure où les portraits du Fayoum ne sont pas un "groupe", un ensemble, soumis aux principes et aux méthodes de l'historien, mais des oeuvres qui concernent des êtres singuliers, des moeurs singulières, il est évident que c'est à cette singularité même qu'il faut prêter attention. Une telle démarche est affaire de sensibilité ; elle implique que sous les classifications dont on fait usage, on perçoive toujours le frémissement d'un contact, et non pas la déduction qu'on tire d'une suite de concepts.
Portraits du Fayoum et musées
Les portraits du Fayoum sont donc accrochés aujourd'hui aux cimaises des musées, mais les musées, et la plupart des collections particulières, sont faits, qu'on se le rappelle, de «prélèvements». De l'ensemble du sarcophage, de la tombe même, seul le portrait a été retenu. Tel est d'ailleurs le sort de presque toutes les oeuvres d'art: un crucifix, Malraux l'a fait observer, devient oeuvre de musée dès qu'on l'a retiré de l'église, et donc soustrait à sa fonction originelle. Le musée, le livre aussi bien, nous obligent à poser un regard différent sur les choses, même sur ce que nous appelons «art». Regard non moins légitime que celui de l'historien, à condition de conserver à l'esprit les mutations qu'il entraîne: ne se sent-on pas saisi quand, après avoir admiré les monuments égyptiens du Louvre, de Berlin, de Turin, de New York, on découvre Louxor, Karnak, les lieux mêmes d'ou ils ont été arrachés, mais où subsiste encore quelque chose de leur rayonnement.
Portraits du Fayoum et interrogation
De minces panneaux de bois, voilà ce qui nous reste, matériau léger, friable, pellicule de couleur posée sur un tissu de lin non moins fragile; et pourtant c'est d'eux qu'émanent non seulement le regard, mais cette longue interrogation cent fois reprise, qui finit par nous obséder comme si nous étions nous-mêmes concernés. Et peut-on ne pas l'être quand se conjuguent l'oeil et l'esprit, dans des traits qui pourraient être aussi les nôtres ? Ce n'est pas que l'au-delà devienne perceptible, ou même saisissable, mais qu'il prend ici une valeur sensible qui nous touche: les yeux ordonnent le portrait comme si, en dépit du type, de l'âge, du sexe, une même aimantation les animait, et nous animait à leur contact. Pupille non pas dilatée (l'art du Fayoum ignore l'effet), mais immense, enveloppée d'une cornée si vaste qu'on dirait «un galet abandonné par la mer», souvenir peut-être des incrustations de jadis; pupille élargie à la dimension de l'interrogation, et que l'espace clair de l'oeil transforme aussi en astre sombre. Mais notre condition terrestre n'est-elle pas comme un galet à la dérive sur le sable, et nos espoirs, par-delà la mort, comme autant d'étoiles dans l'infini?
Portraits du Fayoum et réalisme
Le point décisif est que, sous l'enveloppe charnelle que fouille l'artiste, fût-ce dans ses altérations, dans ses tares parfois, se manifeste avec insistance quelque chose qui dépasse l'individualité. Si le réalisme consiste à reproduire les traits de la réalité, par quoi l'on entend ce que l'oeil perçoit, on peut dire que les portraits du Fayoum sont réalistes à la condition d'ajouter qu'ils ne s'y réduisent en aucune façon. L'attention que porte l'artiste à ses modèles n'est qu'un aspect de son art; ce qui est livré à la perception, à l'oeil, et qu'on peut d'un mot appeler l'identité, se trouve à la fois enveloppé et sous-tendu par un jeu formel qui transcende les limites du réalisme.
Portraits du Fayoum et actualité
A reprendre nos portraits, on constate que, quelles que soient les différences épidermiques, on accède par une attention renouvelée à un autre niveau, celui de la signification spirituelle; comme si l'artiste, face à ses modèles, avait cherché à les acheminer, trait par trait, jusqu'au point où l'esprit s'ouvre à une unité, à une destinée commune.

On peut se demander si les portraits du Fayoum ne posent pas une question fondamentale, que l'histoire de l'art trop souvent écartée. Etudier la découverte des nécropoles, suivre à la trace l'étrange destinée de ces panneaux peints, les grouper sous la dénomination d'«art du Fayoum», les situer dans le temps, analyser leurs rapports avec d'autres civilisations, d'autres bassins culturels, établir une chronologie, est une chose. C'est d'abord le souci, historique, de restituer le passé qui domine. Les faits établis au crible de la critique aboutissent à une connaissance de caractère essentiellement scientifique; connaissance dont il faut néanmoins reconnaître les limites. On pourrait en effet imaginer que les portraits du Fayoum, réétudiés à la lumière de sources nouvelles, exhaustives, cessent définitivement de faire problème, que toutes les questions de provenance, d'attribution, d'influence, soient enfin résolues. A quoi serions-nous conduits ? A nous trouver en présence d'un corpus d'oeuvres et de faits aussi irréfutables les uns que les autres; mais ce seraint encore des faits. Et même si l'on parvenait à les définir en fonction des croyances, des rites, de leur rôle spécifique, nous serions toujours confrontés à des faits.

Or il y a bien plus, nous le sentons: on se plaît à évoquer l'actualité des portraits du Fayoum. Mais gardons-nous de l'équivoque: il ne s'agit pas seulement de la redécouverte d'un domaine longtemps tenu pour secondaire, en marge des arts majeurs -- l'art égyptien, l'art grec, l'art romain --, ni même de réhabilitation, comme si, à explorer ces marges, on finissait par atteindre l'ensemble d'un champ de connaissances jugé définitif. L'actualité se situe ailleurs, elle doit être comprise autrement que par rapport à ce qui est cerné par les connaissances traditionnelles. Si nous nous adressons aux portraits du Fayoum, c'est que nous avons établi avec eux un dialogue nouveau, que nous avons découvert en eux quelque chose que ne révèlent pas les expressions artistiques classiques dont nous croyions, il n'y a pas si longtemps, qu'elles constituaient l'essentiel de notre passé. Ce passé même se transforme à la mesure de nos propres mutations, à la mesure de nos propres interrogations. C'est dans cette perspective que s'inscrit, me semble-t-il, l'attirance nouvelle que nous éprouvons pour des expressions qui, hors de la voie royale des grands arts, nous révèlent nos propres doutes, ces interrogations que nous subissons et que nous avons peine à formuler, ou même que nous nous défendons de formuler, comme s'il était indécent de mettre en question ce que nous avons nous-mêmes forgé.

Les supports
Les portraits du Fayoum sont tous peints soit sur bois soit sur toile, préparés ou non.

le bois

Les panneaux de bois ont une épaisseur qui varie entre 2 et 20 millimètres; on a remarqué que les panneaux les plus minces adoptent souvent la forme de stèles, c'est-à-dire que le bord supérieur en est cintré, ou les angles rognés. Leurs dimensions varient entre 40 et 44 centimètres de hauteur sur 21 et 24 centimètres de largeur. Les panneaux forts, de 6 à 8 millimètres d'épaisseur, sont presque sans exception rectangulaires; de moindres dimensions, ils dépassent rarement 31 centimètres de hauteur sur une largeur constante de 21 à 24 centimètres. Les bois les plus utilisés sont les essences natives, telles que le sycomore ou l'acacla, l'un des portraits d'Antinoopolis a même été exécuté sur une simple planchette de figuier (ficus carica). Mais les portraits étant objets de luxe, on fit appel aussi aux essences importées, le cèdre et le tilleul en particulier, dont on prisait la densité et la finesse de grain.

A guelques rares exceptions près, et quelle que soit l'essence choisie, le bois a été travaillé de manière à ce que les veines suivent verticalement la surface à peindre. On peut imaginer que ce parti facilitait la mise en place du portrait sur la face bombée de la momie.

Quelques rares portraits furent brossés à même le bois; mais la surface à peindre était plus souvent recouverte d'un enduit blanc de texture lisse et serrée, parfois teinté par adjonction de pigments noirs ou bleus. Cet enduit était composé dans la plupart des cas étudiés de sulfate de calcium, soit de plâtre, auquel on ajoutait en quantité variable un liant albuminoïde. Il s'agit donc d'un gesso. Le gesso était connu des Egyptiens depuis la plus haute antiquité, puisqu'on l'a identifié pour la première fois dans les appartements funéraires du roi Djéser à Sakkara, scellant aux parois les éléments de faïence bleue qui les décorent, statues et statuettes de l'Ancien, du Moyen et du Nouvel Empire étaient recouvertes du même gesso avant d'être polychromées. Les peintres du Nouvel Empire n'en varièrent pas la formule pour préparer les parois des tombes qu'ils avaient à décorer. A l'époque ptolémaïque et romaine encore, les masques funéraires plastiques étaient faits de gesso moulé, ou plus rarement modelé sur une âme de papyrus ou de chiffons encollés. Le bois soigneusement poli, recouvert d'une couche de gesso que l'on avait laissé sécher, puis lissé, était prêt à être peint. L'artiste traçait alors en quelques traits de pinceau une esquisse rapide de son modèle, en noir ou à l'ocre rouge. Certaines de ces esquisses, premier jet de la création, ont été retrouvées au dos même des panneaux.

la toile

Autre support, la toile. L'usage en était antérieur aux Romains, puisqu'on a exhumé à Deir el-Medineh et à Deir el-Bahari de petits tableaux votifs sur lin, représentant le défunt devant sa table d'offrandes ou son arrivée aux portes de l'Amenti datant des XVIII-XXI ièmes dynasties. Mais le plus ancien exemple de peinture sur toile, conservé aujourd'hui au Musée de Turin, remonte à la première moitié du IV ième millénaire av. J.-C.; retrouvé en fragments à Gebelein, il représente les apprêts d'une cérémonie funèbre. Dans les ateliers du Fayoum, la toile de lin, peinte au naturel ou enduite de gesso, fut d'usage presque aussi commun que le bois. La souplesse de sa texture permet de croire qu'on la réservait aux portraits de caractère strictement funéraire, destinés à être déposés sans autre fonction sur la momie.
Les pigments
La fraîcheur légendaire des peintures égyptiennes tient, on le sait, à la qualité des pigments utilisés, presque tous d'origine minérale, plus résistants que les pigments organiques.La palette des artistes égyptiens de période pharaonique, celle des peintres du Fayoum qui leur succédèrent, étaient aussi étendues que la nôtre, puisqu'elles offraient dans leurs infinies variations le blanc, le noir, et donc le gris, les bruns, du beige au marron, les bleus, les rouges, qui en combinaison donnaient le violet, le jaune et le vert.

le blanc, noir et gris

Le blanc était fait, comme le gesso auquel il s'apparentait, de carbonate ou de sulfate de calcium. Le noir avait pour base le charbon de bois réduit en poudre fine ou la suie, très rarement la pyrolusite, un dérivé du manganèse provenant de la région du Sinaï. Le gris était issu du mélange en proportions variables du blanc et du noir, ou parfois tiré de l'argile naturelle avec inclusion de fer.

les bruns

Les bruns, s'ils n'étaient pas dûs à la combinaison du rouge et du noir, consistaient en ocres naturelles, plus rarement en oxydes de fer. Ces oxydes de fer servaient de base à tous les rouges, même aux terres d'Egypte que vante Pline sous le nom de sinopis et de rubica.

les bleus

Les bleus étaient extraits de l'azurite, soit d'un carbonate de cuivre qu'on allait chercher dans le Sinaï. On a trouvé trace d'azurite en dépôt au fond d'un coquiIlage qu'un artiste de Meïdoum avait utilisé comme godet à peindre en IVe dynastie déjà. A défaut d'azurite, on fabriqua dès les temps les plus anciens une fritte d'un bleu intense qui se présente à l'analyse comme un silicate calcium-cuivre; on l'obtenait en faisant fusionner des carbonates de calcium et de cuivre, de la malachite par exemple, du sable et, semble-t-il, du natron; ce serait le caeruleum dont parle Vitruve. Cette fritte a été identifiée dans des tombeaux de l'Ancien Empire, ce qui infirme les assertions des historiographes grecs et latins qui la prétendaient inventée à Alexandrie sous les Ptolémées. Quant à l'usage du lapis-lazuli réduit en poudre, il est du domaine de la légende il a été démontré que le procédé, fort coûteux par ailleurs, ne donne à l'usage qu'un bien piètre bleu tirant sur le gris terne.

les jaunes

Les jaunes étaient de deux natures: d'ocre jaune pour les moins intenses, abondant à l'état naturel dans tout le pays; pour les autres, d'orpiment, un dérivé naturel de l'arsenic sulfuré. Au Nouvel Empire, à une époque où l'or était considéré comme le symbole suprême de l'essence divine, les artistes privilégièrent l'orpiment dont les tons chauds, aux parois des hypogées, luisaient comme le métal précieux. En dépit de sa sinistre réputation (ses composants sont tous toxiques, voire mortels) l'orpiment fut encore largement utilisé par les peintres des grandes écoles alexandrines.

les verts

On produisait les verts communs en combinant le bleu et le jaune, les peintres leurs préféraient une fritte à composants cuivreux, ou plus simplement de la malachite du Sinaï broyée.

oranges, violet et rose

L'orange, le violet, le rose enfin, s'obtenaient par alliages de pigments respectivement rouges et jaunes, rouges et bleus, rouges et blancs. En période gréco-romaine, on mit au point un rose plus intense, plus cru que le rose classique en ajoutant à du gesso étendu d'eau de l'extrait de racine de garance importée de Grèce, puis acclimatée dans la région du Fayoum; ce rose, assez proche de ce que nous appelons le rouge de Turquie, fut en faveur pendant toute la période romaine. La pourpre telle que la définissent les Anciens, ou tout autre dérive de coquillages, n'a été décelée sur aucun des portraits examinés jusqu'ici. Les pigments broyés, lavés de leurs impuretés, se présentaient dans de petits godets de pierre sous forme de pains compacts. Ils étaient alors prêts à être mélangés aux liants.
Les liants
Les Egyptiens n'ont pas connu la technique de l'huile telle que nous la pratiquons traditionnellement, en détrempant les pigments dans une huile fixe qui sèche lentement au contact de l'air, l'huile de noix ou l'huile de lin par exemple. La plupart des huiles fixes, et certaines huiles essentielles dont la térébenthine, leur étaient familières; mais ils n'en firent pas usage en peinture avant le VIe siècle ap. J.-C.

Dès les premières dynasties, les médiums privilegiés furent l'eau additionnée de gomme, de colle albuminoïde ou d'albumine pure, le blanc d'oeuf le plus souvent (technique de la tempera), et la cire « composée », soit enrichie de résines ductiles (technique de l'encaustique).

Les techniques de création
La technique de la tempera, illustrée par les artistes égyptiens dès l'Ancien Empire à Meïdoum et tout au long des Moyen et Nouvel Empires à Beni Hassan et à Thèbes, est trop connue pour nous retenir: les pigments broyés, détrempés à l'eau, étaient appliqués sur le support, paroi ou panneau, enduit de gesso sec. Les portraits à la tempera se reconnalssent à leur aspect mat, à leurs couleurs étouffées et à un graphisme sec, incisif.

Jusqu'à la fin du IIe siècle ap. J.-C., on préféra à la tempera l'encaustique, plus souple, plus riche aussi, qui permettait de faire chanter des couleurs brillantes, d'exalter une ligne sinueuse, un modelé délicat. En dépit des commentaires de Pline, la technique de l'encaustique pose encore aux commentateurs modernes de nombreux problèmes : en soi, le procédé est simple, puisqu'il ne se distingue de la tempera que par le choix du liant, la cire au lieu de l'eau. Selon Pline, les pigments auraient été mélangés à de la cera punica, puis appliqués à chaud. Le travail achevé, la cire solidifiée, on aurait passé délicatement sur le panneau un instrument de métal chauffé, une plaque de bronze semble-t-il, qui, provoquant le ramollisement du liant, aurait permis d'obtenir l'inimitable fondu propre aux oeuvres des maîtres. La peinture à l'encaustique fut illustrée par Pausias, le rival d'Apelle;mais les chroniques n'ont pas retenu le nom de son inventeur:Ceris pingere, ac picturam inurere quis excogitaverit non constat.

Ce procédé, souvent expérimenté dès le XVIIIe siècle, n'a jamais donné que des résultats catastrophiques. On est donc en droit de supposer que les exégètes de l'Histoire naturelle ont mal interprété le texte original. L'un des spécialistes les plus éminents des techniques de l'antiquité, Philippe de Tubières, comte de Caylus, qui présenta en 1755 son Mémoire sur la Peinture à l'Encaustique et sur la Peinture à la Cire à l'Académie des Belles-Lettres fut le premler à traduire picturam inurere non par «brûler la peinture», ou «passer la peinture au fer », mais par «fixer la peinture en la chauffant». Il tenta l'expérience, et frôla le désastre! Les termes urere et inurere s'appliqueraient donc au médium, à la cire même, plutôt qu'à l'oeuvre achevée. Pline rapporte en effet que la cera punica s'obtenait avec de la cire d'abeille plusieurs fois usta, «brûlée», c'est-à-dire bouillie avec adjonction d'eau de mer enrichie de carbonate de sodium, de natron. L'opération permettait d'éliminer les impuretés de la cire vierge, de la blanchir et de la rendre souple au pinceau. Exposée aux rayons du soleil puis de la lune, elle gagnait, à en croire l'auteur, une stabilité à l'épreuve des agressions atmosphériques. L'usage de la cire d'abeille en peinture était connu des Egyptiens au Nouvel Empire déjà, puisqu'on en a trouvé trace sur les parois de huit tombes des nécropoles thébaines remontant à la XVII" dynastie, aux règnes d'Aménophis Ier à Aménophis II. Rarement mélangée aux pigments, elle était étendue sur l'oeuvre achevée, comme un vernis, pour aviver les couleurs et protéger la surface peinte; ainsi dans l'hypogée de Séthi Ier, et sur certains pavements ornementaux des palais de Tell elAmarna. En qualité de liant, on ne l'a guère identifiée que sur le sarcophage en granit rouge de Ramsès III où, mélangée à de l'ocre jaune, elle emplissait les hiéroglyphes incisés, et incidemment sur le buste polychromé de la reine Nefertiti. Les Egyptiens savaient sans doute que la cire pure, si intense soit le pigment avec lequel on la pétrit, s'opacifie avec le temps et tourne au blanc plombé; les inscriptions d'un coffret découvert par Carter dans la tombe de Tout-ankh-Amon, enrichies de cire et de poudre de lapis-lazuli, sont aujourd'hui presque illisibles. En livrant certains portraits du Fayoum à l'analyse de laboratoire, on a pu douter que la cire d'abeille ait été la base de la cera punica : les experts ont constaté en effet que le degré de fusion de la matière prélevée était beaucoup plus élevé que celui du produit brut. Sans réfuter le résultat de l'analyse, on admet cependant que le traitement à l'eau de mer et au natron, et surtout que l'ancienneté des matières étudiées sont seuls responsables des modificafions relevées.

Dès les premières décennies du IIIe siècle ap. J.-C., les artistes superposèrent les deux techniques: les portraits étaint peints à la tempera, puis recouverts d'un film de cire. Les pigments fragiles étaiént ainsi protégés, les couleurs exaltées, tout en respectant le graphisme incisif propre à la tempera.

Un examen attentif des portraits révèle aussi l'emploi conjugué des deux techniques : le peintre avait recours à la tempera pour les fonds, hardiment hachurés, pour les vêtements, traités à larges coups de brosse, l'encaustique étant réservée au visage, qui exigeait plus de fini, et surtout ce modelé délicat que l'on obtenait par petites touches fondues, en valeurs décroissantes d'ocre claire. L'étude des portraits en lumière frisante révèle combien l'artiste était attentif à souligner de son pinceau la structure du visage, à rendre par empâtements la rondeur d'un cou, la saillie d'une pommette, la plénitude d'un menton.

Sur les portraits les plus précieux, la parure, les bijoux, la chevelure parfois étaient traités en léger relief: l'artiste levait le champ en modelant le gesso, ou en façonnant diadèmes, boucles d'oreilles et colliers avec de la cire. Ces éléments privilégiés étaient recouverts d'une feuille d'or collée au blanc d'oeuf dont l'épaisseur varie entre 0,09 et 0,02 millimètres. Certaines des feuilles examinées ne dépassent pas 0,001 millimètre!

Les instruments de création
Lorsqu'on se penche sur la technique des peintres antiques, il n'est pas de problème plus épineux que celui de l'atelier. Pline, qui décrit dans le détail le matériel de l'artiste, donne aux pinceaux, aux brosses, aux spatules, des noms qui sont loin de faire l'unanimité des spécialistes: ses cestrum, viriculum, cauterium, prêtent encore à discussion. Dès les premières dynasties, et jusqu'au IIIe siècle ap. J.-C., les Egyptiens utilisèrent pour peindre la tige d'un jonc natif, le juncus maritimus, le jonc étêté, coupé à longueur voulue, était taillé en biseau à l'une de ses extrêmités, que l'on martelait ou que l'on mâchonnait pour en séparer les fibres. Les lignes pleines étaient exécutées avec le plat de la brosse, les fines avec son tranchant, cependant que le haut de la tige, taillé en pointe, servait à gratter la couleur, à corriger le dessin. Onze de ces calames retrouvés dans une tombe de la XVIIIe dynastie mesurent de 26 à 23 centimètres, pour une largeur de brosse de 1 à 2 centimètres. En période gréco-romaine, On préféra au jonc le roseau, phragnites communis , coupé en double biseau, tout comme notre plume d'oie. Neufs, ils mesuraient environ 27 centimètres de longueur. On les retaillait lorsque la pointe était par trop émoussée: les fouilles d'une communauté copte de Thèbes en livrèrent qui ne mesuraient plus que 6 centimètres. Les brosses étaient, elles aussi, d'origine végétale: elles étaient faites de fibres de palme réunies en faisceau, pliées en deux à la moitié de leur longueur et liées à leur extrémité; certaines d'entre elles, mises au jour à Deir el-Medineh, portent encore des traces de couleur. Les brosses les plus fines étaient tirées de la nervure médiane du palmier, et, comme les calames, martelées ou mâchonnées à leur extrémité l'examen des peintures ornementales de Tell el-Amarna a permis de déceler de minuscules fragments de fibres inclus dans les pigments.

Selon toute vraisemblance, le matériel de l'artiste se limitait aux pinceaux et aux brosses d'épaisseur variable. L'examen macro-photographique des portraits fait douter de l'usage de la spatule; les empâtements que l'on distingue en lumière frisante paraissent dûs à un grattoir, ou plus simplement à l'extrémité supérieure du pinceau.

On reconnaît aujourd'hui que les portraits du Fayoum furent peints sur chevalet, en position verticale, car l'observateur attentif peut déceler sur la plupart d'entre eux des gouttes, des coulures parfois, toujours orientées vers le bas du panneau. Nous ne savons rien du chevalet des peintres hellénistiques et romains, Pline n'en parle que sous le nom, bien peu explicite, de machina. Grâce à un relief du mastaba de Mererouka à Sakkara, nous connaissons par contre le chevalet des maîtres égyptiens de l'Ancien Empire: le défunt assis, calame et godet en main, parachève une composition qui groupe les trois saisons de l'année akhet, peret et chemou, le tableau est posé sur une selle de bois dont une tirette à crans permet de régler l'inclinaison. C'est sans doute la plus ancienne représentation d'un artiste à l'oeuvre qui nous soit parvenue.

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