FONDATION JACQUES-EDOUARD BERGER: À la rencontre des Trésors d'Art du Monde

Oublions nos critères ! Si l'on veut aborder, ne serait-ce que dans un survol, les arts de la Chine, il est impératif de se dégager de toute forme d'ethnocentrisme. La "sacralisation" de l'artiste, "l'art pour l'art" sont des concepts occidentaux. Pour les Chinois, l'homme est peu de chose en soi, un fragment passager dans l'immensité de l'univers, dont il ressent symbiotiquement l'harmonie. Harmonie du ciel et de la terre, des montagnes et des nuages, des rochers et des torrents, des arbres et des fleurs, qui se fonde sur la dualité inhérente au couple polaire et concomitant du Yin et du Yang (littéralement l'ombre et la lumière). Ce mode de pensée est inscrit dans l'âme chinoise aussi loin que l'on remonte dans le passé. On en trouve trace dans des inscriptions oraculaires sur os et carapaces de tortues datant du XIIIe av. J.-C. ; il constitue le fond commun du Taoïsme, du Confucianisme et même du Bouddhisme Chan.

Il devient dès lors évident que les critères esthétiques des Chinois ne sont pas superposables aux nôtres. Les créations artistiques sont ordonnées selon une hiérarchie qui tient compte de leur lien avec l'esprit capable d'exprimer l'harmonie du monde. Donc, seules l'écriture - la calligraphie et la poésie - la peinture qui en est l'illustration et la musique, la forme sonore, sont considérées comme des arts "gratuits", pratiqués pour eux-mêmes, et authentiques. L'architecture, la sculpture, la céramique, la taille du jade ou de la pierre, l'orfèvrerie sont oeuvres d'artisan, elles répondent à une commande. Que les productions aient une vocation utilitaire, rituelle ou religieuse ne change rien à leur statut.

Toutefois, si la spiritualité conserve la primauté, la matière, manifestation tangible de la nature, n'en est pas moins exaltée : bois, pierre dure, bronze, soie, papier... Autant de supports propices à l'expression de cette harmonie et dont certains, par leur fragilité même, rappellent l'illusoire quête de pérennité dans l'éphémère.

Dans le cadre qui nous occupe aujourd'hui, ce seront justement de ces "arts de commandes" que nous traiterons. Mais, " l'esprit " n'en sera pas pour autant absent : de même qu'il a préludé au choix de chaque pièce de cette collection, il nous guidera dans ce parcours en le jalonnant des courts poèmes élus par Jacques-Edouard Berger pour initier ses conférences.