CARACTERES PLASTIQUES
J'ai
pensé qu'il serait plus clair de diviser ce chapitre en
trois paragraphes
principaux :
forme, couleurs, composition.
FORME
Les
personnages de Georges de la Tour, même les plus
sacrés, restent toujours à l'échelle humaine.
Les visages sont tous expressifs, empreints de noblesse, même
dans la souffrance ou l'humilité. La grandeur
d'expression est
plus "parlante" que le soucis du décor. Les corps ont
l'apparence matérielle d'objets faits
au tour : chairs pleines
et solides comme de l'argile, sans saillies brutales : une
unité avec l'expression qui donne
au tableau une harmonie
émouvante.
Pourtant, parmi toutes ces particularités, les poses
restent
très équilibrées, très traditionnelles.
Que ce soit dans la Madeleine à
la veilleuse
ou dans le Christ aux outrages, le modèle est
campé, il occupe la surface
de la toile. Ainsi, l'expression
classique se maintient à travers les recherches
particulières de Georges de La
Tour.
A remarquer aussi que dans aucun de ses tableaux Georges de La Tour
n'emploie de fond. Quelques accessoires,
rares même : un livre,
une table, suffisent à situer la scène. Le sol
même est rare et n'est sol que
lorsque les acteurs le
foulent.
COULEURS
Dans toutes ses toiles, Georges de La Tour
emploie en dominante
le brun ou le roux. On pourrait croire à une monotonie facile,
mais en regardant les oeuvres, on
constate que de très
nombreux bruns, ocres, beiges, des combinaisons de roux, d'orange
chantent tous ensemble, en
parfaite intelligence. Pourtant, au milieu
de cette harmonie si bien conçue, certaines couleurs sont
d'une violence
qui étonne parfois.
Malgré tout, jamais Georges de la Tour n'a employé les
couleurs
âpres de certains Caravage, de ces
couleurs qui ont l'air d'avoir été posées
telles
qu'elles ont été broyées. La Tour cherche
à créer l'unité complète
entre
l'expression, la forme et la couleur.
Dans ses toiles, La Tour fait toujours intervenir un acteur
plus
vivant qu'un humain : le jeu de l'ombre et de la lumière.
Cette présence fait vibrer la toile comme
les sursauts d'une
chandelle prête à s'éteindre. En plus, elle
permet d'employer une nouvelle gamme de
tons : les jaunes. Elle
crée encore un "mystère du fond", de ce qui ne se voit
pas. Le clair-obscur donne
à certains personnages l'apparence
de spectres. Tout en forgeant cette atmosphère d'incertitude,
elle forge
celle du miracle ou du surnaturel.
Reste à voir maintenant comment La Tour traite ces jeux
d'ombre.
Les flammes sont toujours hautes; elles ont l'air d'être
palpables et incandescentes comme du métal
en fusion.
Contrairement aux lois de la physique, Georges de La Tour
n'éclaire que ce qu'il veut éclairer.
Ce
procédé donne une impression d'intimité ou de
mystère : le "sujet" est léché
par la lueur, le
fond est dans les ténèbres; ténèbres
opaques, lourdes : l'air est palpable,
lui aussi, car la nuit n'est
jamais noire : elle est brune comme une fumée lourde.
Intérieur
ou extérieur ? Les acteurs sont tellement
à leur place que nous n'avons pas besoin d'un paysage. Le fond
n'est
là que pour arrêter la composition. Est-il
à quelques centimètres ou à des mètres ?
Nous
l'ignorons.
L'éclairage des objets se fait par trois zones : clarté
intense, transition entre
les ténèbres et la
lumière, marquée comme une joute, puis nuit brune. Cela
donne aux objets
illuminés cette forme
géométrique.
Les contrastes ombre-lumière sont violents,
nets, coupants, ou
doux, diffus. Cela dépend de la nature de la scène.
L'adoration des bergers
est traitée avec
ménagement, alors que le Saint Joseph
charpentier est taillé à
grands coups.
COMPOSITION
Les compositions de La Tour offrent deux aspects principaux
: une
expression classique, où les personnages sont
traditionnellement campés pour garder à la toile
un
équilibre ordonné, et une autre expression, nouvelle,
par laquelle La Tour cherche une nouvelle harmonie
plus
dramatique.
L'adoration des bergers est l'exemple de la
"Composition clasique".
Par contre, le Saint Joseph
charpentier est, lui, de la nouvelle expression, plus
contrastée et
moins dosée.
Pourtant, Georges de La Tour cerne toujours le sujet dans une sorte
de roue, ayant pour
moyeu la source de lumière. Cette roue
tourne et vibre, comme on le voit nettement dans le Charpentier.
Quand aux personnages mêmes, certains sont traités comme
avec des écailles
jouant les unes sur les autres, se tenant
les unes par les autres comme des tuiles (Marie - Adoration
des
bergers).
CONCLUSION
Les oeuvres de La Tour sont toutes empreintes
de noblesse et de
gravité. Les personnages sont pour la plupart tirés du
milieu paysan, mais, traités
avec grandeur, ils perdent leur
caractère fruste pour un port aisé et digne.
Un autre
côté des toiles de La Tour, c'est cette sereine
mélancolie, soutenue par une lumière diffuse
et
doucement contrastée, cette mélancolie qui ne se plaint
pas. Jusque dans le dénuement ou la
souffrance, les
personnages sont calmes; à la mort même, leur visage est
résigné.
Pourquoi se sent-on mis en confiance devant les toiles de La Tour ?
Je crois que c'est parce que les personnages
sont tous à
l'échelle humaine. Les saints sont des hommes qui ont les
mêmes activités que nous.
C'est sans doute pour cette
raison que les toiles de La Tour étaient populaires à
cette époque : on
se sentait de même essence que les
saints.